Le philosophe Bernard Stiegler définit la technique comme étant «à la fois remède et poison, puissance curative et puissance destructrice, émancipation et aliénation».
C'est la parfaite illustration du paradoxe face à la catastrophe technologique.
Depuis la Révolution industrielle, l’essor technologique semble sans limites. Chaque jour des centaines de milliers de trains et d’avions circulent sans problèmes et des usines fonctionnent en continu partout dans le monde. Si grâce à son intelligence, l’homme a su maîtriser la puissance de l’atome et conquérir la lune, il reste faillible et ses réalisations toujours plus ambitieuses et complexes sont susceptibles de lui échapper à chaque instant.
L’envers du progrès c'est l’accident technologique et a fortiori la catastrophe.
Comment appréhender juridiquement cette notion ?


A l’inverse des catastrophes naturelles qui sont le fait des mouvements de la Terre, l'origine humaine de l’accident technologique amène forcément aux accusations et à la recherche de la responsabilité de l'homme, dans la mesure où les ayant rendues possibles, il se trouve fatalement impliqué.
La catastrophe est la mise en échec de la sécurité, laquelle est définie par le dictionnaire le Larousse comme étant « la situation réelle objective dans laquelle quelqu’un ou quelque chose n'est exposé à aucun danger, à aucun risque ». René Demogue avait déjà pressenti en 1911 la place centrale qu’occuperait la sécurité au XXème siècle et au-delà. Il indique que « Nous touchons ici peut-être au plus grand desideratum de la vie juridique et sociale, au moteur central, le besoin de sécurité. C'est un des intérêts dont la législation moderne se préoccupe le plus. Donner de la sécurité aux individus, cette idée, si simple a, dans le droit de nos jours, une importance colossale ».

Pourtant, si des accidents se produisent et démontrent que la sécurité n’est pas totale, elle connaît depuis ces cinquante dernières années une amélioration globale dans le monde.
La sécurité a cependant atteint un certain plafond que certains analystes comparent à un « tango sur une asymptote ». En d’autres termes, les résultats pour une année donnée sont légèrement moins bons ou légèrement meilleurs que ceux de l’année précédente et la tendance vers une meilleure sécurité est bien moins rapide qu’il y a plusieurs décennies, voire n’est plus constatée.
Le sondage baromètre IRSN 2012 sur la perception des risques et la sécurité en France (pourtant réalisé quelques mois après la catastrophe de Fukushima) illustre bien que le lien de confiance entre la technologie et la société reste solide. En effet 41,5% des personnes interrogées s'accordent à dire que le développement de la science et de la technologie engendre plus de bénéfices que d’effets néfastes et 33,9% se disent « plus ou moins d’accord » avec cette proposition.

Si la notion de catastrophe technologique a été définie de façon objective en fonction de son origine et de l’ampleur de ses dégâts (II.), elle s’inscrit par ailleurs à un instant T, selon la société et les individus qu’elle touche, conduisant à l’analyser de façon subjective (I.)


I. La dimension psychologique et sociologique de la notion

Le mot « catastrophe » vient du grec katastrephein qui signifie tourner sens dessus dessous, notion résolument subjective. La catastrophe est en effet définie selon une appréciation particulière, en fonction d’un seuil d'acceptabilité qui varie selon les époques, les sociétés et les individus. Il y a catastrophe lorsque les dommages dépassent le seuil de tolérance du système naturel et social.


L'arrivée brutale du pire

Il y a une gradation entre accident et catastrophe, en ce que l'accident renvoi à l'événement ponctuel grave qui permet de réagir vite et dans l'ordre. La catastrophe c'est la crise, autrement dit, c’est l'accident auquel s’ajoute la déstabilisation.
La catastrophe marque une rupture avec le cours habituel de la vie, pour tous les individus de la société, voire un traumatisme, au-delà même d’effets observables et mesurables sur le terrain.
Ainsi, dans le vocabulaire courant du XXème siècle, la catastrophe désigne « un malheur effroyable et brusque ».
Pour le Professeur Liliane Daligand, « le terme catastrophe vibre dans une série sémantique où se trouvent: panique, tragédie, vision apocalyptique. (…) La catastrophe évoque donc à la fois le désastre brusque, effroyable et sa mise en scène dans un mouvement de résolution.»
Dans sa tentative de définition de la catastrophe, Magali Reghezza aussi évoque la notion de brutalité et la dimension psychologique de la catastrophe. Il retient quatre critères de définition. C'est un événement néfaste, extraordinaire, social, fédérateur.
Les caractères de brutalité et de gravité sont inhérents à la notion de catastrophe. Elle marque les esprits et provoque une forte émotion dans l’opinion publique, ce qui fait peser un certain devoir à la société dans la recherche du responsable.


L’origine anthropique de l’accident

Une catastrophe technologique est toujours d'origine humaine, c’est ce qui la distingue intrinsèquement de la catastrophe naturelle.
Traditionnellement, les auteurs distinguent quatre risques technologiques susceptibles de se muer en catastrophe technologique :
le risque nucléaire
Si les conséquences humaines et environnementales peuvent être terribles -la catastrophe de Fukushima et celle de Tchernobyl marquent par leur gravité-, juridiquement, les conséquences d’un accident nucléaire sont régis par un cadre juridique spécial qui ne sera pas étudié ici. L’indemnisation des préjudices causés par l’énergie nucléaire est organisée par la convention de Vienne du 29 juillet 1960 sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire complétée par la Convention de Bruxelles de 1963 sur la responsabilité du fait de l’exploitation des navires nucléaires par la Convention de Bruxelles.
le risque industriel qui correspond au risque inhérent à tout ouvrage ou usine parmi lesquels on peut citer la marée noire de l’Amoco Cadiz en 1978 ou l’explosion d’une usine de pesticide à Bhopal en Inde le 3 décembre 1984. Il est généré principalement par les activités chimiques et pétrolières mais aussi pyrotechnique, agroalimentaire notamment et les risques engendrés sont surtout l’incendie de produits inflammables, l’explosion de produits gazeux et la propagation d’un nuage toxique.
le risque de transport de matières dangereuses, réglementé par une convention internationale spéciale
le risque de rupture de barrage qui est spécialement réglementé par les nomenclatures IOTA
On compte évidemment d’autres secteurs de l’organisation de la société tels que l’aérospatiale, l’informatique, la robotique, le génie génétique.

Comme souvent en droit de l’environnement qui est indissociable de la science et donc sujet à controverse, l'inacceptable est subjectif. Mais au-delà, des éléments objectifs ont été données pour
appréhender la notion de catastrophe technologique sous l’angle purement juridique.



II. La nécessaire dimension objective de la notion

Si la définition de catastrophe technologique se ressent, en ce qu’elle touche à l’horreur et à l’humain, le Législateur a dû intervenir en posant une définition objective, selon une certaine quantité de perte de vies et de biens. L’Union Européenne est d’abord intervenue, suivie du législateur français.


La notion juridique communautaire

Pour évoquer la catastrophe technologique, l’UE utilise la notion plus juridique d' «accident majeur».
C’est la directive Sévéso II de 1996 et la directive Sévéso III qui la remplace, concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses qui donne la définition.
« L'accident majeur est un événement tel qu'une émission, un incendie ou une explosion d'importance majeure, résultant de développements incontrôlés survenus au cours d'exploitation d'un établissement couvert par la présente directive, entraînant pour la santé humaine, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'établissement, et/ou pour l'environnement, un danger grave immédiat ou différé, et faisant intervenir une ou plusieurs substances dangereuses. »
De son côté, le législateur français a donné sa propre conception de la catastrophe technologique, en fonction de la procédure d’indemnisation.


La notion juridique française

Le droit français a instauré la possibilité de déclenchement d’un plan d’urgence engendrant l’ouverture à indemnisation en cas d’accident majeur dans une installation classée, une installation souterraine de produits dangereux ou un accident de transports de matières dangereuses. C’est l'état de catastrophe technologique », codifié à l’article L. 128-1 du Code des assurances. Il prévoit qu' « en cas de survenance d'un accident dans une installation relevant du titre I er du livre V du code de l'environnement et endommageant un grand nombre de biens immobiliers, l'état de catastrophe technologique est constaté par une décision de l'autorité administrative qui précise les zones et la période de survenance des dommages auxquels sont applicables les dispositions du présent chapitre. Les mêmes dispositions sont applicables aux accidents liés au transport de matières dangereuses ou causés par les installations mentionnées à l'article 3-1 du code minier. » La notion a été créée par la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages dite « Bachelot » complétée par le décret n°2005-1466 du 28 novembre 2005 sur l’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques qui modifie le Code des assurances. Elle a été prise en réaction à la catastrophe AZF de Toulouse.
Ce plan d’urgence lié à l'accident majeur n’est enclenché qu’à partir du moment où sont endommagés un grand nombre de biens immobiliers. La procédure d'indemnisation est susceptible d'être déclenchée lorsque le sinistre concerne plus de 500 logements. L'état de catastrophe technologique est constaté, dans un délai maximal de 15 jours, par le préfet.