30_99x128.jpg)
Y a-t-il un droit au silence dans l’entreprise ? Proposition d’une méthodologie d’évaluation du risque bruit
Par Sophie RENARD
Juriste Qualite - Securite - Environnement
GDF Suez - GRTgaz
Posté le: 22/02/2013 22:56
Deux pans de la règlementation relatifs au bruit sont susceptibles de concerner l’entreprise :
- celle relative à l’environnement (troubles anormaux de voisinage) qui ne sera pas envisagée ici
- celles relative à la santé et à la sécurité au travail, à laquelle cet article est consacré.
I. Qu’est-ce que le bruit ?
Le bruit est un « phénomène acoustique produisant une sensation auditive considérée comme désagréable ou gênante ». On mesure physiquement le niveau du bruit en décibels. Pour prendre en compte le niveau réellement perçu par l’oreille, on utilise un décibel dit « physiologique » appelé décibel A, dont l’abréviation est dB(A).
II. Quelles sont les effets du bruit sur la santé et la sécurité au travail ?
Le bruit a des conséquences graduées sur la santé et la sécurité du salarié en fonction de son intensité.
- L’atteinte à la sécurité : le bruit peut mener à un accident de travail.
A partir de 60 décibels par jour, le salarié exposé au bruit peut ressentir des symptômes de stress et de fatigue, des troubles cadriovasculaires, une augmentation de la pression artérielle. Cela n’a rien d’anodin car c’est générateur de déconcentration pouvant mener à un accident de travail.
- L’atteinte à la santé : le bruit peut mener à la surdité.
A partir de 80 décibels par jour, les premières conséquences sur le système auditif apparaissent. Elles peuvent mener à une surdité partielle ou totale. Depuis 1963, la surdité est reconnue comme une maladie professionnelle (tableau numéro 43 du Code du Travail), et c’est l’une des plus couteuses, 94 000 euros en moyenne pour l’entreprise selon l’INRS. Aujourd’hui, c’est un handicap social qui est très largement sous-estimé et nombre de surdité ne sont pas reconnue comme des maladies professionnelles aujourd’hui. En 2008, seulement mille soixante-seize cas de surdité totale ont été reconnus comme des maladies professionnelles.
III. Pourquoi évaluer et maitriser le risque bruit ?
L’entreprise doit donc naturellement intégrer la prévention du risque bruit au cœur de son système de sécurité.
L’une des actions élémentaires pour la prévention du risque bruit est la visite médicale d’embauche. Si celle-ci est évidemment obligatoire, il est impératif de réaliser un examen auditif du nouvel embauché, car depuis un arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 2010 la maladie professionnelle liée au bruit est présumée imputable au dernier employeur sauf si l’employeur réussit à prouver que cette affection est le résultat des conditions de travail du salarié au sein des entreprises précédentes. L’examen audiométrique lors de la visite médicale d’embauche permet au nouvel employeur d’apporter la preuve que la surdité de son salarié existait avant la prise de poste dans son entreprise.
Par ailleurs, le bruit est un facteur de pénibilité. Depuis le 1er février 2012, les entreprises ont l’obligation d’établir des fiches individuelles de prévention d’exposition au bruit qui doivent prévoir d’identifier les conditions habituelles d’exposition ainsi que les événements particuliers survenus ayant eu pour effet d’augmenter l’exposition.
Dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat découlant de l’article L 4121-1 du Code du Travail, l’employeur qui a identifié le risque bruit dans son Document unique doit mettre en œuvre des actions pour le maitriser. La non-protection des salariés exposés peut conduire à la mise en œuvre de la responsabilité civile de l’employeur et la reconnaissance de sa faute inexcusable, ainsi que sa responsabilité pénale dont découlent des peines très élevées : 3750 euros d’amende multiplié par le nombre de salariés exposés ou trois ans d’emprisonnement et 45 000euros d’amende.
III. Proposition d’une méthodologie de mesure du risque bruit (basée sur la méthode de l’INRS)
La législation a évolué vers une plus grande sévérité en 2006 avec la transcription de la Directive européenne 2003/10/CE dans le Code du travail, par le décret n° 2006-892 du 19 juillet 2006. L’article R 4431-2 du Code du travail prévoit désormais trois seuils d’exposition maximum pour le salarié, sur une période donnée de huit heures, avec ou sans le port de protection auditive. Face à ces seuils, des actions de prévention et de protection sont obligatoires.
1) Quel que soit le niveau de bruit :
- Mener une évaluation du risque
- Supprimer ou réduire au minimum le risque, en particulier à la source
- Consulter et faire participer les travailleurs pour l’évaluation des risques, les mesures de réduction, le choix des PICB
- Réduire le bruit dans les locaux de repos à un niveau compatible avec leur fonction
2) Au-delà de 80dB(A)
- Mettre à disposition des PICB
- Informer et former les travailleurs (sur les risques liés au bruit, sur les mesures et les moyens de prévention collective et individuelle, sur l’usage des PICB etc)
- Proposer des examens audiométriques préventifs
3) Au-delà de 85sB(A)
- Mettre en œuvre un programme de mesures techniques de réduction d’exposition au bruit
- Signaler des lieux de travail bruyants et limitation d’accès
- Utiliser des PICB
- Imposer des examens audiométriques périodiques (surveillance médicale renforcée)
4) Au-dessus de 87dB(A) compte tenu de l’atténuation du PICB
- A ne dépasser en aucun cas, mesures de réduction d’exposition sonore immédiate
A noter qu’il existe un tableau de correspondance entre le temps mesuré et le seuil de bruit accepté. Par exemple, si la base est de 80dB(A) sur 8h, elle équivaut à 94dB(A) sur 1h. L’ensemble des préconisations du Code du Travail est un guide référentiel pour l’employeur. Il doit s’en servir pour se faire une idée des actions à mener selon les niveaux de bruit mesuré.
Cependant, la démarche de maitrise du risque bruit doit s’inscrire dans une démarche générale de prévention des risques, et les simples mesures cosmétiques ne sont pas suffisantes. Un arrêt du 19 mai 2011 de la Cour de Justice de l’Union européenne est venu confirmer que la simple mise à disposition des travailleurs de protecteurs auditifs permettant de réduire l’exposition quotidienne au bruit à moins de 80 dB(A) ne suffit pas pour que l’employeur soit considéré comme ayant rempli ses obligations.
La lecture de la loi est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour établir une véritable méthodologie de mesure du bruit. L’entreprise doit alors se tourner vers des documents professionnels. Parmi eux, il y a deux documents de référence :
- La norme NF EN ISO 9612 de 2009
- Le guide INRS
Ces documents insistent sur le fait que l’entreprise doit se concentrer non pas sur la multiplication des mesures des métiers et lieux qu’elle sait bruyants (c’est-à-dire dépassant les seuils règlementaires) mais au contraire, évaluer précisément les métiers et lieux se situant dans la zone d’incertitude de 80-90dB(A), susceptibles d’être proches des seuils règlementaires.
Les résultats de l’évaluation des risques liés au bruit doivent être retranscrits dans le Document unique, et mener à un plan d’action de réduction du bruit et de protection des salariés en cas de dépassement des seuils règlementaires.