
La biodiversité en danger : mise en péril des semences paysannes
Par Julia BERKOWICZ
Juriste environnement
Cabinet d'avocats Allena
Posté le: 08/02/2013 14:33
I Le Catalogue Officiel des espèces et variétés de semences : volonté historique de protéger le consommateur au détriment de la sauvegarde de la biodiversité
A) Au niveau national
En 1932, un catalogue officiel des espèces et variétés est mis en place par les autorités nationales. Son but est d’améliorer la circulation des semences ainsi que de leur apporter une garantie d’authenticité et de qualité. La volonté principale des autorités étant de protéger le consommateur.
Le 18 mai 1981 paraît le Décret 81-605 sur le commerce de semences et plants pris pour l'application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits et services. L’article 5 stipule que « le ministre de l’agriculture tient un catalogue (susvisé) comportant la liste limitative des variétés dont les semences et plants peuvent être “mis sur le marché” du territoire national. L’inscription sur le catalogue est subordonnée à la triple condition que la variété soit distincte, stable et suffisamment homogène (DHS) ». La stabilité des semences paysannes repose sur leur adaptabilité à des conditions de culture non homogénéisées grâce à la diversité et la variabilité des plants qui les constituent. Par essence, ce sont des populations de plants non homogènes et non stables. Ainsi juridiquement, elles ne seront jamais appelées à figurer dans le catalogue et sont donc vouées à être interdites à la vente ou à l’échange.
En 1997, est ajoutée en complément du catalogue officiel, une annexe incluant les variétés anciennes. Cette annexe particulière vise à faciliter l'inscription et la commercialisation d'anciennes variétés auprès des jardiniers amateurs (non professionnels) qui cultivent pour leur propre consommation. Pour inscrire une variété sur cette liste, les critères DHS sont moins nombreux. Selon la législation actuelle, est donc interdit à la vente ou à l’échange entre paysans ou jardiniers amateurs toutes semences non inscrites aux catalogue officiels qui sont assimilés par le Ministère de l'agriculture à des ventes dissimulées. Néanmoins, tout jardinier amateur peut récolter des semences, issues de sa propre culture à toutes fins de culture ultérieure sans en avoir à référer à quiconque. L’association Kokopelli est alors créée en 1997 en réaction à la publication cette annexe.
B) Au niveau européen
Parallèlement, au niveau européen, toute variété doit être inscrite au catalogue officiel pour être commercialisée. Le catalogue commun des variétés des espèces de légumes a été publié en 1972 (aujourd’hui défini dans la Directive 2002/53CE). Ce catalogue est la somme des catalogues officiels des différents pays de l’Union européenne, et regroupe aujourd’hui plus de 34 500 variétés commercialisables dans l’ensemble de ces pays. Une série de directives européennes donnent par la suite, les règles de commercialisation et de certification des semences. La directive 2002/55CE en date du 10 juin 2002, soumet l’inscription de variétés d’espèce de légumes en vue de leur commercialisation sur le catalogue national d’un Etat-Membre, au respect des 3 conditions DHS.
La Directive 2009/145 en date du 26 novembre 2009, établit néanmoins une dérogation pour certaines variétés de légumes, traditionnellement cultivées dans des localités et régions spécifiques et menacées d’érosion génétique « variétés de conservation » ainsi que pour des variétés de légumes sans valeur intrinsèque pour la production commerciale mais créées en vue de répondre à des conditions de culture particulières. Les semences paysannes entrent dans le champ d’application de ces exceptions. Dans un but de sauvegarde de la biodiversité agricole, la directive fixe des conditions particulières pour leur inscription au Catalogue Officiel. Il convient néanmoins de noter que cette directive soumet l’utilisation de ces semences à des conditions d’utilisation restrictives. A titre d’exemple, en vertu des articles 13 et 14 de la Directive, les semences de variétés de conservation ne peuvent être produites et commercialisées qu’à titre exceptionnel en dehors de leur région d’origine et dans une quantité très limitée. Ce qui restreint fortement leur utilisation puisqu’un paysan qui cultiverait ses semences hors de leur région d’origine serait contraint dans la majorité des cas d’y mettre fin.
Ainsi, au niveau national comme européen, la régularisation du commerce des semences s’est développée en vue de la protection du consommateur mais indépendamment de toute sauvegarde de la biodiversité.
II La biodiversité sacrifiée: condamnation de l’association Kokopelli par la CJUE
Par jugement du 14 janvier 2008, le tribunal de grande instance de Nancy a condamné l’association Kokopelli au paiement de dommages et intérêts à l’entreprise semencière Graines Baumaux pour concurrence déloyale. La juridiction a constaté que Kokopelli et Baumaux étaient en situation de concurrence et a considéré que Kokopelli se livrait à des actes de concurrence déloyale en vendant des semences de variétés d’espèces potagères ne figurant ni sur le catalogue français ni sur le catalogue commun des variétés des espèces de légumes.
Kokopelli a fait appel de ce jugement devant la cour d’appel de Nancy, et a par la suite posé une question préjudicielle à la Cour de justice sur la validité de la directive concernant la commercialisation des semences de légumes et de celle autorisant certaines dérogations pour les « variétés de conservation » et les « variétés créées pour répondre à des conditions de culture particulières » au regard des droits fondamentaux de l’UE tel que les principes de proportionnalité, de liberté des activités économiques, de non-discrimination (égalité de traitement) et de libre circulation des marchandises. En effet, pour bon nombres de semences paysannes, les preuves de critères DHS ne peuvent pas être apportées, et par conséquent elles ne peuvent pas être utilisés et commercialisés. La question se pose dès lors de savoir si cette restriction aux échanges et à la commercialisation de semences est justifiée.
Selon une recommandation de l’avocat général de la CJUE, Juliane Kokott, en date de janvier 2012, l’interdiction de commercialiser des semences « anciennes » de légumes non officiellement admises au catalogue de l’UE était considérée comme violant les principes fondamentaux du droit de l’UE. L’avocat général retenait dans sa conclusion que l’’interdiction prévue par la directive 2002/55/CE de commercialiser des semences d’une variété dont il n’est pas établi qu’elle est distincte, stable et suffisamment homogène ni, le cas échéant, qu’elle possède une valeur culturale ou d’utilisation suffisante est invalide en ce qu’elle viole le principe de proportionnalité, la liberté d’entreprise, la libre circulation des marchandises ainsi que le principe d’égalité de traitement.
Contre toute attente, la CJUE n’a pas suivi les recommandations émises par son avocat général et valide en juillet 2012, les directives de commercialisation des légumes mises en cause par Kokopelli, considérant qu’elles ne violent ni les principes fondamentaux du droit de l’UE, ni les termes du traité TIRPAA (Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture). Les semences que distribuent Kokopelli ne répondant qu’à un critère sur trois pour pouvoir être inscrites au catalogue officiel : distincte mais ni stable ni homogène, elles sont considérées comme « potentiellement nuisibles » par la CJUE. Pourtant l’avocat général n’avait pas manqué d’affirmer que les règles relatives à l’admission des semences au Catalogue Officiel, n’ont “aucun rapport avec la santé des plantes“ et estimait que « le fait que les agriculteurs soient cantonnés à des variétés admises réduit la diversité génétique dans les champs Européens ».
On assiste dans cet arrêt à un changement de cap absolu de la CJUE et il convient de soulever les flous juridiques émanant de cet arrêt. Il semble nécessaire de clarifier la qualification des semences paysannes de « potentiellement nuisibles » pour la santé du consommateur ; En effet, selon l’avocate de l’association Kokopelli les effets de ces semences sur la santé n’ont jamais été évoqués et ont nourri les populations depuis des générations. Ensuite, il convient de noter que les conséquences de cette décision sur la biodiversité ne sont pas des moindres puisqu’elle tend à une restriction de l’utilisation et de la commercialisation des semences paysannes ; et enfin, plus généralement il convient de se demander si la réglementation actuelle est adaptée à la diversité des modes d’activité agricole.
Par ailleurs, dans un contexte d’érosion généralisée de nos ressources phytogénétiques, et alors que les variétés anciennes présentent de véritables atouts tel que leur adaptabilité due à leur non homogénéité à faire face aux changements climatiques, la décision de la CJUE reste incomprise par de nombreux agriculteurs et associations de protection de l’environnement.
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation (FAO) vient appuyer le caractère critiquable de cette décision puisqu’elle a dénoncé dans un rapport de 1999, la disparition de 80% de la biodiversité agricole entre 1900 et 2001. La création du catalogue officiel en 1932 a contribué en parti à la disparition de nombreuses variétés. Il convient donc d’observer, que le droit économique a pris un pas d’avance sur le droit de l’environnement.