
L’atteinte visuelle d’un parc éolien vis-à-vis d’une commune voisine : la question des intérêts propres en jeu.
Par JIMMY HUSSON
Posté le: 20/01/2013 11:09
Le préfet de l'Aisne a délivré le 7 avril 2005 un permis de construire à la SNC MSE LE HAUT DES EPINETTES en vue de l'implantation d'un parc de six éoliennes sur la commune de Perles. Ce permis a été annulé, à la demande de la commune limitrophe de Vauxcéré, par un jugement du tribunal administratif d'Amiens en date du 31 décembre 2007. La SNC MSE LE HAUT DES EPINETTES s’est pourvu en cassation contre l'arrêt du 22 janvier 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'elle a formé contre cette décision. Par sa décision du 22 mai 2012, le Conseil d’Etat, la demande de la commune de Vauxcéré présentée devant le tribunal administratif d'Amiens et tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Aisne en date du 7 avril 2005 est rejetée. La commune de Vauxcéré s’est bornée à faire état de l'atteinte que le projet litigieux porte à l'environnement visuel de ses habitants, sans se prévaloir d'une incidence sur sa situation ou sur les intérêts dont elle a la charge.
Cela pose un certain nombre de questions. Une collectivité locale peut elle justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour tendre à l’annulation d’un permis de construire de six éoliennes sur le territoire de la commune limitrophe, suivant l’argument que celles-ci portent atteinte à l’environnement visuel de ses habitants et constitue un trouble du voisinage? A cette interrogation intéressante, le Conseil d’Etat a répondu par le non, interprétante de façon réduite la notion d’intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir. Afin de justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation du permis de construire, la collectivité aurait du se prévaloir d’une incidence des travaux autorisés par le permis de construire contesté sur sa situation ou sur les intérêts dont elle a la charge, ce qu’elle n’a pas fait en l’occurrence.
1- La question des travaux sur la collectivité :
En droit le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'article 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature est en soi intéressant. Celui-ci indique que les préoccupations d'environnement qu'aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature doivent respecter les travaux et projet d'aménagement qui sont entrepris par une collectivité publique ou qui nécessitent une autorisation ou une décision d'approbation ainsi que les documents d'urbanisme, sont celles qui sont définies à l'article 1er de ladite loi. Les études préalables à la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages prescrites par le présent décret sont faites par le pétitionnaire ou le maître de l'ouvrage. Il en est toutefois autrement si une procédure particulière établie par décret et concernant certains travaux ou projets d'aménagement charge une personne publique de ces études. "Dans tous les cas, la dénomination précise et complète du ou des auteurs de l'étude doit figurer sur le document final". Les préoccupations d'environnement sont prises en compte par les documents d'urbanisme dans le cadre des procédures qui leur sont propres. La réalisation d'aménagements ou d'ouvrages donne lieu à l'élaboration d'une étude d'impact. " Le pétitionnaire ou le maître de l'ouvrage peut obtenir de l'autorité compétente pour autoriser ou approuver le projet de lui préciser les informations qui devront figurer dans l'étude d'impact. Le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'environnement. L'étude d'impact présente successivement : une analyse de l'état initial du site et de son environnement portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes ou de loisirs, affectés par les aménagements ou ouvrages ; une analyse des effets "directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l'environnement", et en particulier sur la faune et la flore, Ies sites et paysages, "le sol, l'eau, l'air, le climat", les milieux naturels et les équilibres biologiques, "sur la protection des biens et du patrimoine culturel" et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses), ou sur l'hygiène, " la santé, ", "la sécurité" et la salubrité publique ; les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d'environnement, parmi les partis envisagés " qui feront l'objet d'une description ", le projet présenté a été retenu ; les mesures envisagées par le maître de l'ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement " et la santé ", ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes, une analyse des méthodes utilisées pour évaluer les effets du projet sur l'environnement mentionnant les difficultés éventuelles de nature technique ou scientifique rencontrées pour établir cette évaluation. Afin de faciliter la prise de connaissance par le public des informations contenues dans l'étude, celle-ci fera l'objet d'un résumé non technique. Ne sont pas soumis à la procédure de l'étude d'impact les travaux d'entretien et de grosses réparations, quels que soient les ouvrages ou aménagements auxquels ils se rapportent et ne sont pas soumis à la procédure de l'étude d'impact, tous aménagements, ouvrages et travaux dont Ie coût total est inférieur à " 1,9 million d'euros ". L'étude d'impact est insérée dans les dossiers soumis à enquête publique lorsqu'une telle procédure est prévue. Il est créé dans chaque préfecture un fichier départemental des études d'impact qui indique pour chaque projet l'identité du maître d'ouvrage, l'intitulé du projet, la date de la décision d'autorisation ou d'approbation du projet et l'autorité qui a pris la décision, le lieu où l'étude d'impact peut être consultée. Ce fichier est tenu à la disposition du public. Lorsqu'une enquête publique n'est pas prévue, I ‘étude d'impact est rendue publique dans les conditions suivantes :
Toute personne physique ou morale peut prendre connaissance de l'étude d'impact dès qu'a été prise par l'autorité administrative la décision de prise en considération ou, si une telle décision n'est pas prévue, la décision d'autorisation ou d'approbation des aménagements ou ouvrages. Si la procédure ne comporte aucune de ces décisions, la date à laquelle il peut être pris connaissance de l'étude d'impact est celle à laquelle la décision d'exécution a été prise par la collectivité publique maître de l'ouvrage. Les demandes de consultation de l'étude d'impact sont adressées "à l'autorité qui est compétente pour prendre la décision d'autorisation, d'approbation ou d'exécution.
2- Le trouble anormal de voisinage :
La collectivité aurait du démontrer, que le trouble de voisinage est avéré anormal et que le préjudice est certain, ces deux conditions étant bien évidement cumulatives et qu’il excède les inconvénients normaux du voisinage. La présence d’un parc éolien, qui ne génère aucun trouble particulier, excepté la présence dans le champ visuel, ne peut être qualifiée en soi de trouble anormal, nul n’ayant de droit acquis à un paysage immuable. La Cour de Cassation a jugé (cass, 3ème civ, 21/10/2009, pourvoi n°08-16.692) : « qu’avait légalement justifié sa décision la Cour d’Appel ayant retenu que nul n’était assuré de conserver son environnement. », reprenant les arguments de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence (13 mars 1992, arrêt n°88.806) : « le Droit Français ne protège aucun droit à la vue sur l’horizon, droit qui réduirait considérablement le droit de propriété s’il était reconnu. La Charte de l’Environnement, présente dans le bloc de constitutionnalité, souligne dans le préambule que la préservation de l’environnement doit être recherchée « au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation et qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». L’article 6 indique que : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » Or, l’énergie éolienne participe à l’intérêt général et à l’amélioration globale de l’environnement, sachant en l’espèce que qu'en se référant ainsi au seul intérêt de ses résidents, sans caractériser en quoi l'intérêt propre de la collectivité était lésé par la décision que celle-ci attaquait. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les installations éoliennes sont d’intérêt général, du fait de leur contribution au développement durable des ressources naturelles (CEDH, 26 février 2008, Lars and Astrid Fägerskiöld c. Suède, req. n° 37664/04). La directive 2009/28 / CE sur les énergies renouvelables, mis en œuvre par les États membres en Décembre 2010, fixe des objectifs ambitieux pour tous les Etats membres sur relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et fixe pour chaque Etat membre des objectifs contraignants de production d'énergie renouvelable. De fait la présence d’un parc éolien ne peut être en soi qualifiée de trouble anormal de voisinage.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000025918292&fastReqId=546759297&fastPos=7
http://www.ineris.fr/aida/consultation_document/3297
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:140:0016:0062:fr:PDF
► CE, 22 mai 2012, n° 326367, Société LE HAUT des EPINETTES.