
La clarification juridique du statut des terres non excavées in situ
Par Julia BERKOWICZ
Juriste environnement
Cabinet d'avocats Allena
Posté le: 16/12/2012 17:33
I. La confirmation du statut réglementaire des terres polluées non excavées in situ
La « Directive Cadre sur les Déchets » 2008/98/CE du 19 novembre 2008 est venue mettre un terme aux débats sur la qualification des sols pollués non-excavés. Ainsi, la directive exclut de son champ d’application les sols non excavés ou les sols excavés utilisés sur site (in situ). Les terres polluées excavées, lorsqu’elles sont évacuées du site pour être traitées à l’extérieur conservent leur statut de déchets et relèvent de l’application de cette Directive.
Cette directive a été transposée en droit interne par l’Ordonnance 2010-1579 du 17 décembre 2010, inscrivant ainsi un nouvel article L-541-4-1 dans le Code de l’Environnement selon lequel « les sols non-excavés, y compris les sols pollués non excavés et les bâtiments reliés au sol de manière permanente ne sont pas soumis à la législation des déchets. » Donc en principe, le droit des déchets ne s’applique pas concernant les sols pollués non excavés. Néanmoins, la jurisprudence applique de manière imprécise le droit en la matière.
II. Une incertitude jurisprudentielle du statut des terres polluées non excavées in situ
À l’origine de cette confusion se trouve l’arrêt « Van de Walle » du 7 septembre 2004 de la CJCE, qui avait qualifié de déchets des terres polluées même non excavées, permettant ainsi de fonder en droit par la police des déchets une remise en état des sols pollués (il s’agissait en l’espèce de terres pollues par des hydrocarbures). La CJCE a ainsi voulu étendre la notion de déchet afin de limiter les inconvénients ou nuisances inhérents à leur nature.
Cet arrêt a été rendu caduc par l’article 2 de la Directive Cadre sur les Déchets de 2008 qui est venu y mettre un terme permettant ainsi d’appliquer la législation dont relevaient les sols pollués avant cet arrêt: le droit des ICPE. Cette extension n'était pas anodine: elle permettait à la CJCE de faire supporter les coûts de dépollution, non pas sur un seul responsable, l'exploitant ou le dernier exploitant de l'installation classée, mais sur plusieurs responsables, conformément au principe du pollueur-payeur sur lequel est fondé la réglementation des déchets.
En effet, l’article L-541-2 du Code de l’Environnement prévoit que « Toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d'une façon générale, à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination dans des conditions propres à éviter lesdits effets.»
En étendant la qualification de déchet aux sols pollués, la CJCE permettait de faire supporter les coûts de dépollution par le détenteur ou le producteur de déchets. Par conséquent, cette législation permettait de pouvoir engager la responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel étaient situés les sols pollués, en le qualifiant de « détenteur » du déchet quand bien même il serait extérieur à la pollution.
Cependant, depuis l’entrée en vigueur de la Directive-Cadre sur les Déchets, les terres polluées non excavées sont de nouveau soumise à la législation sur les ICPE. En vertu des articles L. 512-6-1, L. 512-7-6 et L. 512-12-1 du code de l’environnement l’obligation de remise en état d’un site industriel pèse sur l’exploitant ou le dernier exploitant d’une ICPE. La législation réduit donc le champ des responsables car le propriétaire du terrain sur lequel repose les terres polluées non-excavées n’est ainsi plus visé. En sa seule qualité de propriétaire du terrain, il n’est plus considéré comme détenteur des sols pollués.
Néanmoins, depuis la transposition de la directive Cadre sur les déchets, plusieurs décisions du Conseil d’État en date du 18 et 26 juillet 2011 ainsi que du 23 novembre 2011 continuent d’appliquer le droit des déchets aux terres polluées non excavées. La Haute juridiction apprécie au travers de ces jurisprudences, la légalité des décisions administratives prises avant la transposition de la directive Cadre sur les Déchets, soit le 17 décembre 2010. De ce fait, la jurisprudence « Van de Walle » trouve son application dans la mesure où les dates des mises en demeure de dépollution sont antérieurs à la date butoir de transposition de la directive (principe de non-rétroactivité).
III. Une difficulté d’articulation entre droit des déchets et droit des ICPE entrainant une « rupture d’égalité » entre propriétaires de sols pollués
L’application du droit des déchets aux terres non excavées engendrerait selon certains auteurs, une rupture d’égalité entre propriétaires de sols pollués. Ceux ayant fait l'objet de prescriptions de remise en état avant la publication de l'Ordonnance du 17 décembre 2010 se voient appliquer la législation relative aux déchets. Ainsi, leur responsabilité peut être engagée quand bien même ils ne seraient pas responsables car en tant que propriétaire du terrain, ils peuvent être qualifiés de détenteur du déchet. Les autres propriétaires de sols pollués sont désormais légalement protégés par le droit des ICPE, qui en leur qualité de seul détenteur du terrain, n’ont pas à devoir payer la dépollution sur le fondement du droit des déchets. Le nouvel article L 556-1 du Code de l’environnement qui prévoit que l'exploitant du site pollué ou le responsable de la pollution doit remettre en l’état le site pollué. À défaut, l'État avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, pourra confier cette remise en état à l’Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie. Ce qui devrait, en principe exonérer le propriétaire du terrain sur ce fondement. On peut à ce titre rappeler deux jurisprudences du Conseil d’Etat allant dans en ce sens: « SCI Les Peupliers », 1997 et « Société Alusuisse-Lonza-France », 2005. La Haute juridiction avait ainsi déclaré que « le propriétaire du terrain sur lequel une ICPE est exploitée n’est pas l’exploitant en tant que tel et n’est donc pas débiteur de l’obligation de remise en état. »
En effet, selon la législation ICPE, à moins d'être lui-même l'auteur des dépôts de déchets ou d'avoir accepté en connaissance de cause des dépôts polluants sur son terrain, un propriétaire ne peut en principe être tenu responsable des faits d'une pollution qui demeurent à la charge de l'exploitant. Si l'article L. 541-3 du code de l'environnement a prévu, que "au cas où des déchets sont abandonnés, déposés ou traités… l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'élimination des dits déchets aux frais du responsable", elle n'a pas pour autant précisé ce qu'il fallait entendre par responsable. Ce qui pourrait amener à interpréter de manière extensive la notion de « responsable » et rendre le propriétaire du sol pollué responsable, bien que ce dernier ne soit pas initialement visé par les textes.