
La proposition de directive relative aux déchets : introduction de la notion de cycle de vie dans la politique des déchets
Par Julien REYNAUD
Promotion 2007/2008
Universite de Versailles - Saint Quentin en Yvelines
Posté le: 31/07/2008 9:52
D'ici peu, sera formellement adoptée la nouvelle directive cadre relative aux déchets.
Cette proposition de directive abrogerait la directive 2006/12 (abrogeant elle-même le directive de 1975) et également la directive sur les huiles usagées.
L’objectif général de cette proposition est d’éviter la production de déchet et de les utiliser comme ressources. Sa réalisation permettrait à l’Union européenne de tendre vers une « société de recyclage ».
Cependant, les différents articles de la proposition de directive peuvent laisser leurs lecteurs quelque peu dubitatifs tant ils apparaissent en retrait face à l’ambitieuse philosophie que la Commission a voulu insuffler à cette proposition.
En effet, l’approche juridique n’est que partiellement modifiée, puisque notamment la notion majeure de déchet se traduisant comme « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire » est conservée.
Mais cette proposition apporte tout de même des changements d’importance.
Parmi les modifications principales, nous étudierons l’introduction par la proposition de directive d’une prise en considération des produits et des composants tout au long de leur cycle de vie, et pas seulement au stade où ils sont à l’état de déchet. Il est en effet reconnu que l’impact environnemental d’un grand nombre de ressources est souvent lié à la phase d’utilisation. En conséquence, les différentes phases du cycle de vie sont identifiées, et reçoivent une définition leur étant propre. Il y a donc un phénomène de disqualification, les produits et composants pouvant recevoir, par la prise en considération de certaines phases de leur cycle de vie, une appellation autre que celle de déchet. La proposition suggère quatre axes de disqualification.
- Le texte évoque notamment la phase de réemploi :
Il s’agit de « toute opération par laquelle des produits ou des composants qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été
conçus ». (article 3).
Cette définition, excluant les produits et composants qui sont des déchets, peut toutefois laisser perplexe lorsqu’elle est mise en parallèle avec la définition de « préparation en vue du réemploi », qui vise quant à elle les produits ou composants devenus des déchets et préparés en vue d’être réutilisés (article 3). Ainsi, par exemple, si une entreprise fait appel à son fournisseur initial pour que celui-ci récupère des produits utilisés afin de les nettoyer, donc de les préparer en vue du réemploi par cette même entreprise, les produits recevront la qualification de déchet, au terme de la définition de la préparation en vue du réemploi, et ce, malgré le fait que la définition du réemploi exclut les produits étant des déchets. Or, il est évident que la préparation en vue du réemploi est antérieure au réemploi lui-même.
Au delà du risque d’incohérence entre ces deux définitions, se présente celui que rencontrera l’entreprise, d’être reconnue comme ayant produit des déchets alors que les produits en question ont été réemployés.
- Le texte évoque également la phase de sous-produit :
le sous-produit se définit comme « une substance ou un objet issu d'un processus de production dont le but premier n'est pas la production dudit bien ne peut être considéré comme un sous-produit et non comme un déchet au sens de l'article 3, point 1), que si les conditions suivantes sont remplies:
a) l'utilisation ultérieure de la substance ou de l'objet est certaine ;
b) la substance ou l'objet peut être utilisé directement sans traitement supplémentaire
autre que les pratiques industrielles courantes ;
c) la substance ou l'objet est produit en faisant partie intégrante d'un processus de
production, et
d) l'utilisation ultérieure est légale, c'est-à-dire que la substance ou l'objet répond à
toutes les prescriptions pertinentes relatives au produit, à l'environnement et à la
protection de la santé prévues pour l'utilisation spécifique et n'aura pas d'incidences
globales nocives pour l'environnement ou la santé humaine. » (article 4).
Cette définition apporte pour les industriels davantage de sécurité juridique, puisque jusqu’alors seule la jurisprudence fixait d’approximatifs contours pour cette notion par le biais d’une évaluation au cas par cas. Dorénavant, seules les conditions citées sont à prendre en considération pour définir le sous-produit.
Certaines de ces conditions peuvent toutefois apparaître comme imprécises, notamment la notion de « pratiques industrielles courantes », qui s’oppose à celle de « traitement supplémentaire ». Il est probable que, par exemple, le traitement physico-chimique ou biologique d’une substance ou d’un objet ne soit pas considéré comme une pratique industrielle courante, mais relève de la notion de traitement supplémentaire. Dans ce cas, la substance ou l’objet ne serait pas considéré comme un sous-produit, mais comme un déchet.
Précisions également que la définition de sous-produit se heurte à celle de la « valorisation », consistant en « toute opération produisant principalement des déchets servant à des fins utiles en remplaçant d'autres matières qui auraient été utilisées à une fin particulière, ou des déchets préparés à être utilisés à cette fin, dans l'usine ou dans l'ensemble de l'économie. L'annexe II énumère une liste non exhaustive d'opérations de valorisation » (article 3). En effet, la valorisation vise les déchets, et certaines opérations de valorisation énumérées dans l’annexe II peuvent en tout point répondre aux conditions relatives au sous-produit.
Une fois encore, la disqualification de la notion de déchet, conséquence de la prise en compte du cycle de vie des produits et composants, se voit mise à mal par un risque de chevauchement de définitions contradictoires.
- La proposition de directive précise aussi la phase de la fin du statut de déchet :
la définition est la suivante : « Certains déchets cessent d'être des déchets au sens de l'article 3, point 1), lorsqu'ils ont subi une opération de valorisation et répondent à des critères spécifiques à définir dans le respect des conditions suivantes:
a) la substance ou l'objet est couramment utilisé à une fin spécifique;
b) il existe un marché ou une demande pour une telle substance ou un tel objet;
c) la substance ou l'objet remplit les exigences techniques à la fin spécifique visée au
point a) et respecte la législation et les normes applicables aux produits, et
d) l'utilisation de la substance ou de l'objet n'aura pas d'effets globaux nocifs pour
l'environnement ou la santé humaine.
Les critères comprennent des valeurs limites pour les polluants, si nécessaire. » (article 5).
Cet article offre donc la possibilité de disqualifier les déchets en produits si certains critères environnementaux restant à déterminer sont respectés. Le Parlement européen a accepté que la détermination de ces critères soient soumise à la procédure de comitologie, et non à celle de co-décision.
La disqualification des déchets en produits s’opère donc après leur valorisation. L’article 3 précité dispose que l’opération de valorisation doit avoir lieu dans « l’usine ou dans l’ensemble de l’économie ». Ainsi, si cette opération a lieu sur le site de l’entreprise, il est probable que la disqualification pourra avoir lieu, et le produit ne sera pas comptabilisé comme déchet. En revanche, si l’opération se déroule sur le site d’un prestataire extérieur, il n’y aura vraisemblablement pas de fin du statut de déchet.
- La proposition de directive prévoit une responsabilité élargie du producteur de produit :
L’article 7 précise notamment qu’« en vue de renforcer la prévention et la valorisation en matière de déchets, les États membres peuvent prendre des mesures législatives ou non pour que la personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule et traite ou vend des produits (le producteur du produit) soit soumise au régime de responsabilité élargie des producteurs.
De telles mesures peuvent notamment prévoir le fait d'accepter les produits renvoyés et les
déchets qui subsistent après l'utilisation de ces produits, ainsi que la gestion qui en découle
et la responsabilité financière de telles activités. »
Il découle du deuxième paragraphe un fondement textuel sur lequel les industriels peuvent s’appuyer pour exhorter leurs fournisseurs à la réduction des déchets issus des produits fournis.
Précisions que la bonne application de telles mesures reste à la discrétion des Etats membres, puisque ce système de prévention renforcée n’est toujours pas défini comme contraignant.
La Commission est toutefois chargée, après une phase de consultation, de proposer des mesures concrètes pour soutenir des activités de prévention d’ici fin 2011. Des objectifs chiffrés seront éventuellement définis en 2014 pour être appliqués en 2020.
La prise en considération de l’ensemble du cycle de vie des produits et des matières, et la disqualification des déchets qui en découle, divisent les commentateurs au delà des seules difficultés d’interprétation des textes.
Pour les industriels, ce point de la proposition de directive peut être un avantage, notamment en matière de communication. Leur production de déchet étant de fait revue à la baisse, ils sont en droit de se présenter comme davantage respectueux de l’environnement.
Or, d’aucuns avancent que le déchet disqualifié sera exonéré des contraintes de la réglementation déchet, ce qui ne peut en aucun être considéré comme une avancé pour l’environnement.
Pour d’autres, l’introduction de la notion de cycle de vie dans la politique des déchets est nécessaire. Certaines mesures adoptées pour réduire l’impact environnemental d’une phase peuvent augmenter l’impact d’une autre. Pour éviter cela, il est donc primordial de prendre en considération le cycle en son ensemble, afin d’ "identifier les priorités, d’établir une politique ciblée pour chaque phase, et de maximiser les bénéfices environnementaux par rapport aux efforts investis".