Le démantèlement nucléaire, contrairement à une déconstruction, comprend la destruction de tous les composants, y compris les réacteurs nucléaires ou les bombes atomiques. Il signifie l'arrêt total et définitif de l'exploitation, et implique la destruction des bâtiments et le traitement puis l'évacuation des déchets radioactifs ou dangereux (pour des raisons de toxicité chimique, en évitant les réutilisations illégales possibles).

En vue de l'augmentation prochaine des déchets issus du démantèlement des installations nucléaires, l'ASN s'est penchée sur certaines voies envisagées par les exploitants.

La loi de 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs a posé le principe d'une évaluation prudente des coûts de démantèlement des installations nucléaires et de la gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs.

La même loi a créé à cet effet une Commission nationale d'évaluation du financement de ces coûts (Cnef), chargée d'évaluer le contrôle, par l'autorité administrative (la DGEC), de l'adéquation des provisions actualisées aux charges brutes, telles qu'évaluées par les exploitants, ainsi que de la gestion des actifs dédiés.

La Cnef devait rendre un premier rapport en 2008, puis une fois tous les trois ans. Elle a présenté sa première évaluation devant l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), avec quatre ans de retard. Outre la mise en œuvre tardive de ses travaux, la Commission a peiné à répondre à la question qui lui était posée. La raison : les nombreuses incertitudes liées aux charges de démantèlement et de gestion des déchets.

En s'appuyant sur le rapport de la Cour des comptes de janvier 2012 sur le coût de la filière électronucléaire et sur des avis de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la Cnef estime que, "par définition, le véritable coût des charges de démantèlement ne sera connu que lorsque seront terminées des opérations qui vont s'étaler sur plusieurs dizaines d'années jusque vers la fin des années 2100".

Les entreprises évaluent de leur côté, dans leurs bilans, ce coût à 34,776 milliards d'euros, dont 97 % pour trois d'entre elles : EDF (18,5 Md€), Areva (4,7 Md€) et le CEA (10,5 Md€). S'interrogeant sur le "degré de plausibilité" de cette évaluation par les exploitants, la Cnef estime qu' "il y aurait lieu de préparer un processus tendant à demander aux exploitants d'introduire un degré de prudence supplémentaire dans leurs évaluations".

Elle revient en particulier sur l'autorisation, qui a été délivrée par décret en 2010, de considérer comme couverture, pour EDF, des actions de la société RTE, non liquides. Ainsi, 50 % des actions de RTE sont affectées à la couverture des provisions, faisant passer les dotations en trésorerie au portefeuille de placements de 2,4 Md€ en 2007 à 315 M€ en 2011. Le président de l'ASN, André-Claude Lacoste, interrogé en avril par la Commission sénatoriale d'enquête sur le coût réel de l'électricité, avait dénoncé ce "contournement de l'esprit de la loi".

"L'option qui a été prise par la France de conserver les actifs dédiés au sein des bilans des entreprises entraîne la nécessité de ne créer aucun doute sur le fait que la valorisation de ces actifs est indiscutable et qu'ils sont gérés dans l'objectif unique de garantir la couverture de ces charges futures et en dehors de toute situation de conflits d'intérêt avec l'entreprise elle-même", observe la Cnef.

En 2010, selon l'inventaire national des matières et déchets radioactifs de l'Andra, 1,32 million de mètres cubes (Mm3) de déchets radioactifs, hors déchets historiques, ont été produits en France. Ce chiffre passera à 1,9 Mm3 en 2020 et 2,7 Mm3 en 2030, en cas de poursuite du nucléaire (avec une durée d'exploitation des centrales de cinquante ans). Les déchets de très faible activité, qui ont représenté 360.000 m3 en 2010, devraient augmenter rapidement avec le démantèlement des premières centrales et des centres de recherche (762.000m3 en 2020 et 1,3 Mm3 en 2030).

En vue de l'élaboration du prochain plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (2013-2015), l'ASN s'est penchée sur les études des exploitants concernant la gestion des déchets de très faible activité (TFA) et de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC). Une attention particulière a été portée à l'optimisation de l'utilisation des capacités de stockage pour ce type de déchets, comme le demandait le décret du 23 avril 2012.

Dans un premier temps, l'ASN considère comme satisfaisantes les "optimisations réalisées afin d'améliorer la compacité du centre de stockage des déchets de très faible activité (CSTFA) permettant, pour une même emprise au sol, une augmentation du volume théorique de stockage par alvéole d'environ 14 300 m3, soit environ 58% par rapport au concept de stockage initial". Cette solution permettrait d'allonger la durée de fonctionnement de ce site, situé dans l'Aube.

Mis en service en 2003, le CSTFA affichait déjà un taux d'utilisation de 31% fin 2011. Le flux des déchets livrés est en hausse depuis 2009 et la capacité de stockage prévue devrait finalement être atteinte plus tôt que prévu (2025).

"L'ASN demande que l'Andra, en lien avec Areva, le CEA et EDF, établisse pour le 31 décembre 2014 une prévision d'évolution du taux de remplissage du CSTFA prenant en compte les déchets issus des chantiers de démantèlement prévus et que cette étude soit également étendue aux déchets à stocker dans le centre de stockage des déchets de faible et moyenne activité (CSFMA)".

Pour limiter le stockage, l'ASN mise également sur la réduction du volume des déchets ultimes et le développement de filières de valorisation des déchets. Densification, amélioration du tri et développement de moyens de traitement complémentaires (traitement des boues, broyage des contenants en plastique…) doivent donc être étudiés d'ici fin 2015 par les producteurs de déchets radioactifs.

D'ores et déjà, les producteurs ont présenté des études sur la valorisation des gravats et des matériaux métalliques issus de ces opérations. Les exploitants indiquent que "leur valorisation dans la filière nucléaire pourrait être techniquement envisageable mais que l'équilibre économique reste à vérifier pour les premiers et sera incertain et fragile pour les seconds". Selon eux, l'absence de seuils de libération en France, malgré un cadre réglementaire européen favorable, les empêche de développer la valorisation à l'extérieur de l'industrie nucléaire. Mais pour l'ASN, "le traitement des gravats et matériaux métalliques doit être réalisé au sein d'une filière dédiée à la gestion des déchets radioactifs permettant de satisfaire aux exigences de traçabilité associées".

Pour certains gravats (25 à 50% des gravats TFA), les exploitants envisagent une utilisation, dans le CSTFA, de matériaux finement concassés compatibles avec les besoins de remplissage nécessaires au comblement des vides à l'intérieur des colis et au remplissage des vides entre colis dans les alvéoles. Cependant, l'étude des exploitants fixe "de manière arbitraire" l'activité des gravats valorisables (1 Bq/g), estime l'ASN, qui demande donc que l'Andra détermine leurs caractéristiques radiologiques et physico-chimiques.

Quant auxmatériaux métalliques, les exploitants proposent une réutilisation des métaux ferreux pour la réalisation de conteneurs de stockage de déchets utilisables dans le CSFMA. Pour l'ASN, les études doivent être poursuivies et approfondies sur certains points, notamment l'acceptabilité de conteneurs en fonte recyclée dans les sites de stockage actuels et en projet, et dans les sites de production de déchets. "L'ASN demande que l'Andra, AREVA, le CEA et EDF évaluent les modalités de réalisation d'une filière de valorisation des matériaux métalliques et présentent une synthèse des différents travaux réalisés avant le 31 décembre 2014. Sur cette base, l'ASN demande qu'AREVA, le CEA et EDF réévaluent, à cette même échéance, l'inventaire des matériaux métalliques susceptibles d'être valorisés (activité, niveau de contamination…) et l'opportunité d'inclure à cet inventaire d'autres familles de matériaux (matériaux de faible ou moyenne activité décontaminables) ou des gisements non pris en compte tels que les générateurs de vapeur".

D'ici fin 2013, l'ASN demande également à EDF, au CEA et à Areva de réaliser des inventaires des déchets hors normes issus des opérations de démantèlement et d'évaluer les filières d'élimination de ces déchets ainsi que des pièces massives à faible taux de vide qui pourraient être pris directement en stockage pour les déchets produits ou à produire.