
Les apports de la Directive 2008/98/CE à la réglementation internationale relative aux transferts transfrontaliers de déchets.
Par Andrea KERMORGANT
Avocat
Barreau de Paris
Posté le: 12/09/2012 19:19
La directive-cadre du Parlement européen et du Conseil n°2008/98/CE reprend les dispositions de la direction n°75/442/CEE (I) afin d’apporter, entre autres, une évolution de la notion de producteur (II), et plus particulièrement du régime de responsabilité applicable à ce dernier (III).
I- De la directive de 1975 à la Directive de 2008
La directive-cadre déchets du Parlement européen et du Conseil n°2008/98/CE en date du 19 novembre 2008 venant préciser et remplacer les dispositions de la directive cadre n° 75/442/CEE de 1975 en matière de gestion des déchets pourrait de son côté apporter des améliorations à la réglementation internationale en matière de traitement et de responsabilité du producteur dans la gestion de ses déchets. En effet, si les Conventions de Bâle et de Bamako s’attachent tout particulièrement à la question des transferts transfrontaliers et à la lutte contre le transit illicite, la directive européenne, quant à elle, s’attache à la gestion même des déchets. De plus, la directive vient pour la première fois proposer et imposer une hiérarchisation des méthodes de traitement des déchets. Ainsi, la réglementation internationale pourrait à terme s’inspirer de cette directive pour se développer et atteindre un niveau supérieur de protection de l’environnement et de la santé humaine.
Par « gestion des déchets » il faut entendre, aux termes de l’article 3 de la directive cadre de 2008, « la collecte, le transport, la valorisation et l’élimination des déchets, y compris la surveillance de ces opérations ainsi que la surveillance des sites de décharge après leur fermeture et notamment les actions menées en tant que négociant ou courtier ».
La directive de 1975 était jusqu’alors la référence en matière de cadrage des déchets en ce sens que cette dernière a été adoptée en respect d’un principe de base développé au début des années 1970 avec le premier programme d’action pour l’environnement (voir le JOCE n°C 112 du 20 décembre 1973) adopté en 1973 qui prônait la conciliation entre la croissance économique et la protection de l’environnement. Les bases de la gestion des déchets sont ainsi posées. La directive de 1975 vient alors préciser que « toute réglementation en matière d’élimination des déchets doit avoir comme objectif essentiel la protection de la santé de l’Homme et de l’environnement contre les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transfert, le traitement, le stockage et le dépôt des déchets ».
On retrouve en fond le principe de « pollueur-payeur » avec pour conséquence l’engagement de la responsabilité du producteur de déchets et l’incitation à la réduction à la source des déchets.
Par l’importance de ses dispositions, la directive de 1975 servira de base à un ensemble de réglementations communautaires dont certaines seront d’ailleurs abrogées par la directive cadre de 2008.
Cette directive cadre déchets de 2008, sans pour autant représenter une véritable révolution dans le droit communautaire, apporte des précisions concernant les définitions des notions de bases et renforce les mesures nécessaires en matière de protection de l’environnement. De plus, elle tient compte de tout le cycle de vie du déchet, de sa production à sa sortie du statut de déchet. Pendant tout ce laps de temps, le producteur du déchet pourra voir sa responsabilité engagée.
II- Le producteur de déchets : une notion, des évolutions
Il faut, dans un premier temps, définir ce que l’on entend par producteur de déchets.
Au sens de l’article 3 de la directive cadre, il s’agit d’une « personne dont l’activité produit des déchets (producteur de déchets initial) ou toute personne qui effectue des opérations de prétraitement, de mélange ou autre conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets ». Cette définition du producteur fait référence à deux types de producteurs. D’un côté le producteur de déchets initial et de l’autre le producteur subséquent. Cela pourrait alors conduire à un cumul de responsabilités de ces deux producteurs mais cela n’a pour le moment pas été prévu par les textes.
De manière plus extensive, le détenteur est visé, toujours par l’article 3 de la directive, comme étant à la fois le producteur du déchet, ce qui semble cohérent, mais également la personne, physique ou morale, qui se trouve en possession des déchets.
Une telle définition pourrait, à terme, conduire à la question, certes de la responsabilité du producteur mais également celle du détenteur, non producteur, si celui-ci est mis au même niveau. Une telle définition pourrait d’ailleurs poser certains problèmes d’interprétation puisqu’elle inclut la possession, notion de droit civil des biens incluant la détention (Colloque AFITE en date du 28 juin 2011, « La directive cadre déchets : transpositions et interrogations »). Le risque étant alors de voir la responsabilité d’un propriétaire de terrain engagée au motif que les déchets étaient situés sur sa propriété.
La jurisprudence, en France par exemple, a ainsi pu considérer que le propriétaire du terrain était responsable sans même que son statut de propriétaire ou de détenteur ne soit établi. La seule présence des déchets sur son terrain suffisait à engager sa responsabilité.
Dans l’autre sens, le juge administratif a considéré que le propriétaire d’un terrain sur lequel des pneumatiques avaient été entreposés n’avait pas la qualité de détenteur, au motif d’une absence « d’acte d’appropriation des déchets ».
Une telle variation dans la jurisprudence s’avère être une source de trouble dans l’interprétation de la directive cadre et du champ d’application de la responsabilité du producteur.
Toutefois, si l’on arrive à faire ressortir la responsabilité du producteur, ce dernier se voit contraint de procéder ou faire procéder au traitement de ses déchets. Sa responsabilité étant alors levée qu’une fois l’élimination ou la valorisation menée à son terme. Le Parlement européen et le Conseil font ici le choix de laisser courir la responsabilité jusqu’à l’élimination finale du déchet.
III- La spécificité communautaire : l’hypothèse de la responsabilité du producteur initial du déchet.
De plus, la directive apporte un autre élément relatif à la responsabilité du producteur. Cette dernière vient préciser que la responsabilité du producteur initial du déchet peut également être engagée. Ce principe n’était auparavant qu’une interprétation jurisprudentielle de la directive de 1975. En effet, dans deux affaires bien connues en matière de déchets, les arrêts Van de Walle (CJCE, 7 septembre 2004, affaire C-1/03) et Commune de Mesquer (CJCE, 24 juin 2008, affaire C188/07), la CJCE a précisé, conformément au principe de pollueur-payeur incombant aux personnes à l’origine des déchets, qu’elles soient détentrices, actuelles ou antérieures, ou encore productrices, que cette obligation financière leur incombait en raison de leur contribution à la production des déchets et au risque de pollution en résultant.
La directive cadre de 2008, dans ses articles 8, 14 et 15 vient donc préciser les éléments relatifs à la responsabilité du producteur de déchets. Ainsi, lesdits articles disposent que le producteur, entendu au sens large dans la directive, doit s’assurer de la bonne gestion des déchets découlant de son activité et prendre à sa charge les coûts inhérents à leur traitement. Afin de garantir cette gestion adéquate des déchets dont il est à l’origine, le producteur aura alors tout intérêt à informer le public des moyens de traitement relatifs à ces déchets.
Cette directive semble donc renforcer les contraintes pesant sur le producteur en matière de gestion des déchets au risque pour celui-ci de voir sa responsabilité engagée en cas de défaillance dans le circuit de traitement. Cela pourrait alors être une nouvelle avancée au niveau international si une telle responsabilité était adoptée par l’ensemble des États membres de la communauté internationale. Le cadre stratégique pour la période 2012-2021 semble en tout cas vouloir guider le droit international dans ce sens.
En effet, parmi les principes proposés, ce dernier reprend la responsabilité élargie du producteur pour l’appliquer non plus au niveau communautaire mais à l’ensemble des États Parties à la Convention de Bâle.
Nous l’avons vu également, la directive propose une hiérarchisation des méthodes de traitement. Si les différents traitements possibles pour un déchet ont déjà été présentés préalablement, cette hiérarchisation prévue par la directive serait une réelle avancée dans la protection de l’environnement en ce sens qu’en plus d’unifier davantage les réglementations nationales en matière de déchets, elle pourrait aussi favoriser l’adoption par tous des meilleurs moyens disponibles pour le traitement de leurs déchets.
Cette hiérarchie des méthodes de traitement a été adoptée par le Parlement européen et le Conseil dans le but d’aider les États à atteindre les objectifs toujours plus poussés du développement durable. On y retrouve alors les cinq catégories de traitement que l’on a pu voir précédemment classées dans l’ordre de priorité prévu par la directive.
Ces cinq niveaux sont alors classés dans un ordre allant du plus « durable » à l’élimination finale. L’article 4 de la directive cadre les classe de la manière suivante :
-La prévention ;
-La préparation en vue du réemploi ;
-Le recyclage ;
-La valorisation ;
-L’élimination.
Développer au niveau international la priorité faite à la prévention par le droit communautaire imposerait alors à tous les industriels de réels efforts de réduction de leur production de déchets et ce au bénéfice de la protection de l’environnement mais également de la santé humaine. Une telle idée se retrouve d’ailleurs dans le cadre stratégique proposé par la Conférence des Parties à la Convention de Bâle pour la période 2012-2021, reste alors aux États Parties d’appliquer ces recommandations pour aller toujours plus loin dans la protection de la santé humaine et de l’environnement.