
La sanction du trafic illicite de déchets
Par Andrea KERMORGANT
Avocat
Barreau de Paris
Posté le: 11/09/2012 18:03
La Convention de Bâle prévoit effectivement d’instaurer un outil répressif relatif aux mouvements transfrontières illicites. Ainsi, le paragraphe 3 de l’article 4 de cette dernière dispose que « les Parties considèrent que le trafic illicite de déchets dangereux ou d’autres déchets constitue une infraction pénale ». À ce titre, il convient alors de mettre en place un panel de sanctions administratives, civiles et pénales à l’encontre des auteurs d’un tel transfert (I). La Convention va d’ailleurs insister sur ce point au paragraphe 5 de l’article 9 qui dispose que « chaque Partie adopte les lois nationales/internes voulues pour interdire et réprimer sévèrement le trafic illicite ». De telles sanctions seront alors applicables au délit caractérisé par les juges (II). Il convient d’ailleurs d’illustrer ces propos par un exemple récent, l’affaire Viridor Resource Management Limited (III)
I-Le panel des sanctions offertes
À la suite d’une conférence sur le crime environnemental, Monsieur Steven MOLINO présente trois types de poursuites : la poursuite criminelle et les procédures administratives et civiles. À chaque affaire de trafic illicite de déchets, il faudra en effet s’interroger si cette dernière doit faire l’objet de simples poursuites administratives, civiles ou de poursuites pénales. Pour ce faire, il conviendra alors d’évaluer l’ampleur du préjudice relativement à la conduite coupable et les chances de réussites de la poursuite envisagée.
Ces sanctions peuvent être de diverses importances, allant de la simple amende à des peines d’emprisonnement pour les responsables de l’activité illicite. Il est également envisageable de suspendre des licences ou de faire porter à la charge du responsable les coûts inhérents au traitement des déchets. Deux intérêts peuvent ressortir de ces sanctions, le premier relatif aux sanctions financières qui permettent de supprimer les bénéfices de l’activité criminelle ; le second, quant à lui, est relatif aux sanctions privatives de liberté qui apparaissent alors comme les mesures les plus dissuasives à l’égard des producteurs de déchets qui souhaiteraient exporter illicitement leurs déchets.
Il est intéressant de constater que les sanctions administratives sont les plus largement utilisées par les autorités en ce sens que ces dernières peuvent être prononcées sans procès et que le champ de sanctions disponibles est suffisamment étendu pour s’adapter à la gravité du délit pris en compte.
De leur côté, les sanctions civiles peuvent être utilisées dans les cas où un procès criminel n’est pas le plus approprié. La souplesse de ces dernières permet d’améliorer le respect des réglementations.
Toutefois, ces sanctions ne sont pas nécessairement plus lourdes que les sanctions administratives ou pénales, elles viennent seulement simplifier la procédure et s’avèrent ainsi plus rentables et plus rapides à exécuter.
II- La caractérisation du délit
Afin d’initier de telles procédures relatives aux trafics illicites, il faudra cependant caractériser le délit et en apporter la preuve avant toute réflexion sur les sanctions envisageables.
Pour constituer un tel délit de trafic illicite, les organismes d’application de la Convention devront prouver l’existence d’un déchet et de son caractère dangereux. En effet, une fois un tel élément établi, la Convention sera présumée applicable. Il sera toutefois nécessaire d’avoir en face de soi une législation nationale explicite en cohérence avec la Convention dont l’État est Partie. Nous le voyons donc ici, la caractérisation du délit de trafic illicite passera avant tout par le type de déchet concerné, souvent révélé par les faits de l’affaire et son caractère dangereux ou non.
Ces éléments rassemblés, il sera important de connaître l’identité de la personne à poursuivre. En théorie cela peut être toute personne impliquée dans le mouvement transfrontière illicite, le producteur du déchet, l’exportateur, l’importateur, les personnes en charge de la documentation et l’éliminateur. De plus, il devra être indiqué si les accusations seront portées à l’encontre d’une personne physique, d’une personne morale ou des deux.
Dans le cadre des transferts transfrontaliers illicites, la preuve pourra être recherchée conjointement entre les différentes institutions concernées, conformément au principe de coopération interétatique prôné par la Convention de Bâle.
La dernière étape dans la procédure de poursuite des mouvements illicites sera la détermination des peines applicables. Ces sanctions seront, pour la plupart du temps, prises en fonction des circonstances atténuantes et aggravantes des faits présentés.
Toutefois, ces sanctions devront permettre aux États Parties de respecter les dispositions du paragraphe 4 de l’article 4 de la Convention de Bâle qui dispose que ces derniers devront « prendre les mesures juridiques, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre et faire respecter les dispositions de la présente Convention, y compris les mesures voulues pour prévenir et réprimer tout comportement en contravention de la Convention ». Afin de déterminer ces sanctions, les questions suivantes pourront être posées :
-« Quels sont les coûts de tout dommage découlant de l’Illégalité́ – tant financier que qualificatif (dommages à l’environnement, etc.)?
-Quels sont les coûts de toute réparation des dommages et qui les assumera? Une ordonnance de compensation peut-elle être émise pour couvrir une partie ou l’ensemble des coûts?
-Les comptes de la société sont-ils disponibles? Que révèlent-ils au sujet de l’impact de l’illégalité sur les finances de l’entreprise?
-Quels sont les coûts de l’exploitation licite de l’entreprise – obtenir des licences, des permis, réaliser des travaux correctifs, préparatoires ou relatifs au respect afin qu’une licence soit octroyée, etc.?
-Quels sont les pouvoirs du tribunal – amende, détention, etc.? Compensation? Frais relatifs à la poursuite? Ordonnance de confiscation ou toutes autres ordonnances accessoires?
-Quelles peines ont été imposées dans d’autres causes semblables? »
Les réponses à ces questions permettront ainsi de déterminer au plus juste les sanctions relatives aux transferts transfrontaliers déclarés illicites.
III- L’exemple de l’affaire Viridor Resource Management Limited
Afin d’illustrer ces propos, prenons l’exemple du Royaume-Uni et de l’affaire Viridor Resource Management Limited en date du 15 mai 2009. En l’espèce, la société Viridor Resource Management Limited a expédié de manière illicite plus de 430 tonnes de déchets de plastiques mélangés à destination de Dubaï. L’Agence pour l’environnement ajoute également que la société était au courant du caractère illicite de ces mouvements puisque l’Agence lui avait précédemment refusé l’autorisation d’exporter des déchets à destination de pays non membres de l’OCDE. De plus, la société avait déjà été condamnée en 2007 pour des faits similaires à une amende de 55 000 livres sterling. Le juge a alors considéré, compte tenu de ces éléments et de la mise en danger évidente de l’environnement et de la santé humaine, que la société Viridor Resource Management Limited était coupable de trafic illicite de déchets. À ce titre, cette dernière s’est vue condamner à une amende de 75 000 livres sterling et au paiement des frais de justice à hauteur de 35 000 livres sterling.
Une telle sanction pécuniaire illustre bien la volonté de retirer au contrevenant le profit du délit. En effet, pour la société Viridor Resource Management Limited le fait de devoir s’acquitter de la somme de 110 000 livres sterling va nécessairement réduire voire annuler l’intérêt du trafic illicite. Cependant, les faits montrent que la société avait déjà été condamnée deux années auparavant pour des faits similaires, ce qui laisse penser que la réglementation applicable nécessite des ajustements afin de lutter efficacement contre les transferts illicites et éviter ainsi toute récidive.