Un bref rappel des faits. La commune de Mesquer a vu ses côtes souillées par le naufrage de l’Erika en décembre 1999. Ses prétentions, le remboursement des frais de dépollution engagés, ne sont pas reconnues par le jugement du tribunal de commerce de Saint Nazaire le 6 décembre 2000. Elle interjette appel.

La Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 2e ch. com., 13 févr. 2002, Commune de Mesquer c./SA Total raffinage distribution) a rejeté toutes les tentatives de la commune de Mesquer de retenir un chef de responsabilité des sociétés TOTAL.
La commune argue que le fioul lourd est un déchet au sens de la Directive 75/442/CEE relative aux déchets, modifiés par la Directive 91/156/CEE en vigueur à l’époque des faits, aujourd’hui abrogée par la Directive 2006/12, qui va être à son tour remplacée par la Directive cadre relative aux déchets (sur le sujet voir Melle Said, La révision de la Directive Cadre sur les déchets pourrait bientôt entrer en vigueur, LJE ; v. aussi M. Reynaud, La proposition de directive relative aux déchets : introduction de la notion de cycle de vie dans la politique des déchets, LJE), ce à quoi la Cour répond qu’il est « une matière combustible constituant un produit énergétique élaboré pour un usage déterminé non d'un déchet devant être éliminé, c'est à dire devant faire l'objet d'un abandon ou dont il y avait lieu de se défaire ». TOTAL ne peut donc être responsable de son élimination. Par contre le fioul déversé sur le littoral, transformé en boulette par son mélange avec l’eau de mer et le sable, a généré des déchets.
Il pourrait donc y avoir responsabilité du fait des choses, dangereuses de surcroît. Pourtant la Cour affirme que les sociétés TOTAL « ne sont pas transporteurs (…) le transfert de garde s’est opéré lors du chargement du fuel lourd ».
Enfin le fuel lourd qui pollue les eaux et les plages aurait pu être considéré comme un produit défectueux, ce que réfute la Cour.

Pourtant l’arrêt Van de Walle (CJCE, 7 sept. 2004, aff. C-1/03) semblait avoir ouvert une brèche dans un potentiel élargissement de l’interprétation de la notion de déchet. Un terrain belge avait subi la pollution d’hydrocarbures provenant des fuites d’une station service voisine. La CJCE estime que les hydrocarbures, des produits bruts lors de leur versement dans les cuves, deviennent des déchets dés que leur détenteur se « défait » de ces substances lors de la fuite même si elle est accidentelle. Mme Boutonnet y voyait, à raison, « que le déversement d’hydrocarbures accidentel, lors des marées noires, pourraient [être] plus facilement appréhendé » (JurisClasseur Environnement Fasc. 4960, 127).

En effet, la commune de Mesquer débouté par la Cour d’appel a exercé un pourvoi en cassation. La haute juridiction a décidé de surseoir à statuer jusqu’à ce que la Cour de Justice des Communautés Européennes réponde à plusieurs questions préjudicielles (CJCE, 24 juin 2008, aff. C-188/07).
La première question préjudicielle, visait à déterminer si une substance comme le fioul lourd vendu à des fins de combustible peut être qualifié de déchet au sens de la directive 75/442. Dés l’instant qu’elle est exploitée ou commercialisée dans des conditions économiquement avantageuses et qu’elle est susceptible d’être effectivement utilisée en tant que combustible sans nécessiter d’opération de transformation préalable, la CJCE estime qu’elle n’est pas un déchet.
La deuxième question porte sur le fuel lourd accidentellement déversé en mer à la suite d’un naufrage, peut il être qualifié de déchet au sens de cette même directive ?
De telles substances « sont à considérer comme des substances que leur détenteur n’avait pas l’intention de produire et dont il « se défait », quoique involontairement, à l’occasion de leur transport, si bien qu’elles doivent être qualifiées de déchets au sens de la directive ».
La troisième et dernière question, cherche à établir si lors d’un naufrage, le producteur et/ou le vendeur de ce fioul et affréteur du navire doivent supporter les coûts liés à l’élimination de ces déchets.
La CJCE rappelle que la directive déchets prévoit que ce coût doit être supporté par les « détenteurs antérieurs » ou par le « producteur du produit générateur de déchets ». Lors du naufrage, le propriétaire du navire est en possession des hydrocarbures juste avant qu’ils ne deviennent des déchets, il peut donc être considéré comme « ayant produit ces déchets » et être qualifié à ce titre de « détenteur ». Si le juge national aboutit a la conclusion que « le vendeur / affréteur a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage, s’il s’est abstenu de prendre les mesures visant à prévenir un tel évènement telles que celles concernant le choix du navire, il pourra être considérer comme ayant « produit les déchets » ».
Si les coût liés à l’élimination des déchets ne sont pas pris en charge par le FIPOL ou ne peuvent l’être en raison de l’épuisement du plafond et / ou des exonérations de responsabilité prévues, le droit national d’un Etat membre empêche que ces coûts soient supportés par le propriétaire du navire et / ou l’affréteur de ce dernier. Les coûts seront alors supportés par le producteur du produit générateur des déchets, dans le respect du principe pollueur / payeur, c'est-à-dire si son activité à contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage.

La société TOTAL, vendeur et affréteur, pourrait être considérée comme producteur de déchet, donc détenteur antérieur au sens de la directive. Si TOTAL a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage lors du choix du navire ; si de par son activité d’industrie pétrolière elle a contribué au risque de pollution maritime ; alors les coûts de nettoyage et de dépollution, au-delà des fonds d’indemnisation et des exonérations de responsabilité, pourraient être pris en charge par TOTAL.

Après avoir été condamné à l'indemnisation de préjudice moral et d’atteintes à la réputation des collectivités locales par le tribunal de grande instance de Paris le 16 janvier 2008 (voir M. Desideri, Le premier jugement rendu dans l'affaire de l'Erika caractérise-t-il un progrès du droit à réparation des victimes de pollutions maritimes ?, LJE), voici que TOTAL pourrait à nouveau voir sa responsabilité civile mise en jeu sur le fondement de la Directive « déchets ».