Nuisance sonore et garantie décennale
Par Julie POUPEE-MONTETAGAUD
Juriste
Posté le: 18/08/2012 18:30
La garantie décennale est mise en œuvre à l’article 1792 al1er du Code civil. Il est ainsi indiqué que « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. »
Ce régime de plein droit est donc exclusivement applicable aux constructeurs, c’est-à-dire à « tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage ». Ainsi en vertu de l’article 1792-1 la nature de la relation contractuelle de l’intervenant avec le maître de l’ouvrage est essentielle.
A cet égard, la jurisprudence a pu définir le contrat de louage d’ouvrage. La cour de cassation dans sa décision du 19 février 1968 (n° de pourvoi 64-14315) a défini ce contrat comme étant « la convention par laquelle une personne charge un entrepreneur d’exécuter, en toute indépendance, un ouvrage ».
Dès lors, les intervenants réalisant une prestation de service en exécutant un ouvrage moyennant un prix convenu avec le maître de l’ouvrage, seront soumis au régime de plein droit des constructeurs.
Toutefois, la seule qualité de constructeur ne suffit pas à faire peser sur l’intervenant la présomption de responsabilité visée à l’article 1792 du Code civil. En effet, ce même article vise les constructeurs d’ouvrage. De la sorte, la responsabilité sera engagée seulement si le constructeur réalise un ouvrage.
La jurisprudence a pu confirmer le rejet de l’application de la garantie décennale pour les travaux de construction d’une chose qui n’est pas considérée comme un ouvrage. A titre d’exemple, la Cour de cassation dans sa décision du 17 novembre 1998 (n° de pourvoi 96-21899) a rejeté l’application du régime pour des travaux de peinture qui ne peuvent être considérés comme un ouvrage.
En tout état de cause, si la notion d’ouvrage n’est pas définie par la loi, la jurisprudence a pu isoler les critères de définition. Les critères existants peuvent notamment être :
- La construction d’un ensemble composé d’une structure, d’un clos et d’un couvert (Cass, 3ème civ, 18 juin 2008, n° de pourvoi 07-12977)
- L’immobilisation des travaux réalisés (Cour d’appel de Versailles, 4ème ch, 9 novembre 2009, SCI IDE DE France / DONNE)
- L’importance des travaux réalisés notamment dans les cas de chantiers dans un immeuble existant (Cass, 3ème civ, 28 janvier 2009, n° de pourvoi 07-20891)
A titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris dans sa décision du 5 mars 2002 (CA de Paris, 19ème chambre section A, 5 mars 2002, ME BELHASSEN / SDC 22 RUE BEAUTREILLIS PARIS 4E) a pu considérer qu’un ascenseur peut être regardé comme un ouvrage.
Enfin, l’engagement de la responsabilité du constructeur d’ouvrage ne pourra avoir lieu qu’en cas de « dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. ». De la sorte, la mise en œuvre de la responsabilité de plein droit des constructeurs ne peut être mise en œuvre que si le dommage est d’une certaine gravité. Il peut notamment être cité deux principaux types de dommage à caractère décennal ; ceux qui :
- Portent atteinte à la solidité de l’ouvrage (CA d’Aix-en-Provence, 3ème ch, 25 janvier 2006)
- Rendent l’immeuble impropre à sa destination (CA de Dijon, ch civ, 23 janvier 2007)
Si le désordre constaté rend l’immeuble inhabitable, le désordre sera de nature à engager la responsabilité du constructeur. L’un des sujets souvent évoqué s’agissant de gêne dans l’habitabilité de l’immeuble est la nuisance sonore. S’agissant d’immeuble neuf la réglementation acoustique est particulièrement complète (décret n°2006-1099 du 31 août 2006). Toutefois, une nuisance sonore peut-elle être considérée comme un désordre de nature décennale permettant d’engager la responsabilité de plein droit du constructeur ?
Sur cette question la jurisprudence est variée non pas en raison d’une incertitude sur le fait de savoir si une nuisance sonore peut être constitutive d’un désordre de nature décennale, mais en raison de l’application au cas par cas de la notion d’impropriété à destination.
Malgré tout il est établit qu’une nuisance sonore puisse faire l’objet de la garantie décennale. A cet égard, il peut être cité la décision de la Cour de cassation du 27 octobre 2006 (Cass, ass plén, 27 octobre 2006, n 05-19408) qui relève que « les désordres d'isolation phonique d'un immeuble peuvent relever de la garantie décennale ».
Cependant, il convient de garder à l’esprit que si la nuisance sonore peut faire l’objet d’une garantie décennale, la notion d’impropriété à destination variera en fonction du bruit constaté. En effet, le ressenti subjectif des occupants de l’immeuble ne saurait être un critère pris en compte par la juridiction.
Source : Droit de la construction : responsabilités et assurances, Droit et professionnels urbanisme et construction, LexisNexis, Edition 2011