La directive 2022/2464, dite Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), adoptée en décembre 2022 et entrée en vigueur en janvier 2023, devait constituer une avancée normative majeure de l’Union européenne en matière de durabilité. En élargissant considérablement le champ de la directive NFRD de 2014, elle imposait à près de 50 000 entreprises européennes l’obligation de publier un reporting standardisé sur leurs performances environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), selon les normes européennes de durabilité (European Sustainability Reporting Standards, ESRS). L’ambition affichée était claire : instaurer une transparence comparable à celle des obligations financières, afin de lutter contre le greenwashing et de renforcer la confiance des investisseurs, des consommateurs et des parties prenantes.

Or, à peine deux ans après son adoption, la Commission européenne a présenté en 2025 un paquet législatif dit « Omnibus », destiné à simplifier la réglementation de durabilité. Parmi les propositions phares figure une réduction significative du périmètre de la CSRD : seules les entreprises de plus de 1 000 salariés – contre 250 initialement – resteraient soumises aux obligations de reporting, avec des seuils complémentaires en termes de chiffre d’affaires (plus de 450 millions d’euros) et de total de bilan. De surcroît, les PME cotées sortiraient en grande partie du champ, tandis que les obligations des vagues 2 et 3 seraient repoussées de deux années supplémentaires. En parallèle, les normes ESRS sont également revues à la baisse : nombre de données exigées réduit, clarification de certains indicateurs et simplification des modalités de la double matérialité.

Ces modifications, justifiées par la Commission au nom de la compétitivité et de la réduction de la charge administrative, suscitent de vives critiques. Du point de vue juridique, elles traduisent une contradiction manifeste avec la philosophie initiale de la CSRD : celle d’une transparence élargie à toutes les entreprises significatives, indépendamment de leur taille stricte, afin de couvrir l’ensemble des chaînes de valeur. Réduire le champ aux seules grandes entreprises crée des angles morts réglementaires : des sociétés de taille intermédiaire, parfois fortement polluantes, échapperont désormais aux obligations de reporting, alors même que leurs donneurs d’ordre restent soumis à des exigences de traçabilité. Le risque est double : d’une part, affaiblir la comparabilité et la fiabilité des données disponibles pour les marchés financiers ; d’autre part, fragiliser juridiquement les grandes entreprises, contraintes de compenser les manques d’information de leurs sous-traitants.

Les justifications avancées protection des PME, simplification, compétitivité méritent d’être interrogées. Certes, le coût de conformité peut être élevé pour les entreprises moyennes, et le risque d’une surcharge administrative réelle. Mais le recul réglementaire ne résout pas cette difficulté : il la déplace. Les entreprises exclues de la CSRD risquent d’être malgré tout sollicitées par leurs partenaires ou investisseurs, dans le cadre contractuel ou de la responsabilité sociétale, pour fournir des données climatiques et sociales. Autrement dit, la simplification affichée pourrait déboucher sur une complexification indirecte, par des demandes multiples, non standardisées, émanant des acteurs privés.

Au-delà de l’efficacité technique, la modification interroge la crédibilité de l’Union européenne en matière de gouvernance durable. Comment concilier la révision actuelle avec l’ambition du Green Deal et l’objectif de neutralité carbone à 2050 ? Comment justifier, dans un contexte de multiplication des contentieux climatiques, que l’UE réduise son niveau d’exigence en matière de transparence extra-financière ? Le risque est celui d’un signal politique négatif : l’Europe, longtemps pionnière en matière de régulation durable, pourrait apparaître hésitante, oscillant entre affirmation normative et concessions économiques.

L’avenir de la CSRD dépendra dès lors de l’équilibre qui sera trouvé entre ces deux impératifs : alléger la charge administrative des entreprises sans sacrifier la portée juridique et politique de la directive. À défaut, la révision en cours pourrait être perçue non comme une adaptation pragmatique, mais comme une régression normative – un recul réglementaire qui affaiblit la crédibilité de l’Union et compromet la cohérence de son droit de la durabilité.