Analyse du décret n° 2011-2018 du 29 décembre 2011 portant réforme de l’enquête publique
Par Elodie PROTAT
Juriste Droit nucléaire et Environnement
CEA Saclay
Posté le: 31/07/2012 14:25
Pris en application des lois n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (dite loi Grenelle I) et n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (dite loi Grenelle II), le décret du 29 décembre 2011, a pour objectif de simplifier et d’harmoniser les procédures d’enquête publique, qui étaient issues de législations distinctes.
Ces nouvelles dispositions ont notamment pour objet de :
- redéfinir le champ d’application de l’enquête publique (I)
- préciser les conditions de son organisation (III).
- revenir sur le statut du commissaire enquêteur (II)
- moderniser la procédure d’enquête publique grâce au développement de la communication électronique (IV).
I. Le champ d’application de l’enquête publique
Conformément à l’article L. 123-1 du code de l’environnement, tel que modifié par l’article 236 de la loi Grenelle II, l’enquête publique a pour objet d’assurer l’information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l’élaboration des décisions susceptibles d’affecter l’environnement.
A. La soumission de principe de certains projets à enquête publique
1. Les projets soumis à enquête publique
Sont désormais systématiquement soumis à enquête publique, préalablement à leur autorisation, leur approbation ou leur adoption, les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements devant comporter une étude d’impact , c’est-à -dire ceux qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine. Ces projets sont listés en annexe de l’article R. 122-2 du code de l’environnement .
Seront également systématiquement soumis à enquête publique :
- les plans, schémas, programmes et autres documents de planification soumis à une évaluation environnementale ;
- les projets de création d’un parc national, d’un parc naturel marin, les projets de charte d’un parc national ou d’un parc naturel régional, les projets d’inscription ou de classement de sites et les projets de classement en réserve naturelle et de détermination de leur périmètre de protection.
Le code de l’environnement prévoit cependant des exceptions à ce principe.
2. Les exceptions prévues à l’article R. 123-1
- les demandes d’autorisation temporaire d’un ouvrage, d’une installation, d’un aménagement, de travaux ou d’une activité ;
- les demandes d’exploitation temporaire d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE);
- les demandes d’autorisation de création d’une courte durée d’une installation nucléaire de base (INB).
En raison des besoins et nécessités de la défense nationale, ne sont pas non plus soumises à enquête publique :
- les installations classées constituant un élément de l’infrastructure militaire et réalisées dans le cadre d’opérations secrètes intéressant la défense nationale ;
- les demandes d’autorisation relatives aux installations et activités nucléaires intéressant la défense, sauf lorsqu’il en est prévu autrement par les textes les concernant ;
- les opérations mentionnées à l’article R. 123-44 .
Enfin, à défaut de dispositions contraires, les travaux d’entretien, de maintenance et de grosses réparations, quels que soient les ouvrages ou aménagements auxquels ils se rapportent, ne sont pas soumis à la réalisation d’une enquête publique. Il en va également ainsi lorsque des travaux ou ouvrages sont exécutés en vue de prévenir un danger grave et immédiat.
B. La simplification du régime applicable aux enquêtes publiques
1. L’uniformisation des régimes d’enquête publique
Le décret du 29 décembre 2011 procède aux modifications réglementaires rendues nécessaires par le regroupement des enquêtes publiques existantes, qui étaient classées en deux catégories principales :
1° les enquêtes publiques relatives aux opérations susceptibles d’affecter l’environnement, prévues par le code de l’environnement ;
2° les enquêtes d’utilité publique, prévues par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique .
En effet, si l’article L. 11-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique définit les projets nécessitant l’organisation d’une enquête d’utilité publique dans le cadre d’une procédure d’expropriation, les conditions d’organisation de cette enquête font désormais l’objet d’un renvoi au code de l’environnement : la procédure spécifique d’enquête d’utilité publique, qui était régie par les articles R. 11-14-1 à R. 11-14-15 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique est donc ainsi supprimée.
Ce rapprochement des procédures d’enquête publique est un gage de simplicité qui permet également de limiter les sources de contentieux liés à la spécificité et à la complexité des procédures.
2. Le régime de l’enquête publique unique
Lorsque la réalisation d’un projet, plan ou programme est soumise à l’organisation de plusieurs enquêtes, il peut désormais être procédé à une enquête publique unique . Cette procédure remplace l’ancienne enquête publique conjointe.
Le dossier soumis à enquête publique unique comporte les pièces ou éléments exigés au titre de chacune des enquêtes initialement requises et une note de présentation non technique du projet, plan ou programme. La durée de l’enquête unique ne peut être inférieure à la durée minimale la plus longue prévue par l’une des réglementations.
II. Le statut du commissaire enquêteur
L’enquête publique est conduite, selon la nature et l’importance des opérations, par un commissaire enquêteur ou une commission d’enquête, choisi par le président du tribunal administratif .
Si la mission du commissaire enquêteur demeure inchangée, le décret du 29 décembre 2011 intègre de nouvelles dispositions visant à accroître son indépendance mais également ses responsabilités.
A. Une indépendance accrue
1. L’indépendance financière liée à la fonction de commissaire enquêteur
Les conditions d’indemnisation du commissaire enquêteur ne sont pas substantiellement modifiées : la principale modification concerne le versement par le responsable du projet d’une provision au commissaire enquêteur.
Cette provision, dont le montant et le délai de versement sont fixés par le président du tribunal administratif, était déjà prévue par le code de l’environnement mais devient désormais obligatoire dès la nomination du commissaire enquêteur. Cette modification permet notamment au commissaire enquêteur de saisir le président du tribunal administratif à tout moment afin de lui demander une allocation provisionnelle. L’indépendance financière du commissaire enquêteur est ainsi mieux garantie.
2. L’incompatibilité de certaines fonctions avec celle de commissaire enquêteur
Compte tenu des missions qu’il exerce, le commissaire enquêteur doit être indépendant. A ce titre, l’article R. 123-4 du code de l’environnement rend impossible la nomination d’un commissaire enquêteur ayant exercé des fonctions, depuis moins de cinq ans, dans la collectivité, l’organisme ou le service qui assure la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre ou le contrôle du projet soumis à enquête. Il est également proscrit que le commissaire enquêteur soit issu d’associations ou d’organismes directement concernés par le projet.
Au-delà de ce principe, le décret institue deux nouvelles obligations à la charge du commissaire enquêteur.
- Avant sa désignation, il est désormais tenu d’indiquer au président du tribunal administratif les activités exercées au titre de ses fonctions précédentes ou en cours qui pourraient être jugées incompatibles avec sa mission de commissaire enquêteur.
- Il doit par ailleurs signer une déclaration sur l’honneur attestant qu’il n’a pas d’intérêt personnel au projet soumis à enquête. Le manquement à cette règle constitue un motif de radiation de la liste d’aptitude de commissaire enquêteur .
B. Une responsabilité renforcée
1. Le non-respect du délai de remise du rapport
Le commissaire enquêteur est tenu d’établir, dans un délai de trente jours à compter de la clôture de l’enquête, un rapport qui relate le déroulement de l’enquête et examine les observations recueillies. A sa demande, un délai supplémentaire peut lui être accordé.
Dans le cas où le commissaire enquêteur ne respecterait pas le délai imparti pour la remise de son rapport, l’autorité compétente pour organiser l’enquête peut désormais, « avec l’accord du maître d’ouvrage et après une mise en demeure du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête demeurée infructueuse, demander au président du tribunal administratif […] de dessaisir le commissaire enquêteur et lui substituer son suppléant ou un nouveau commissaire enquêteur» .
Dans le cas du dessaisissement du commissaire enquêteur, son suppléant ou le nouveau commissaire enquêteur dispose, à compter de sa nomination, d’un délai maximum de trente jours pour remettre son rapport.
2. L’insuffisance de motivation des conclusions
Conformément aux dispositions de l’article R. 123-20 du code de l’environnement, l’autorité compétente pour organiser l’enquête peut, lorsqu’elle constate une insuffisance ou un défaut de motivation à la réception des conclusions du commissaire enquêteur, en informer le président du tribunal administratif dans un délai de quinze jours. Cette information prend la forme d’une lettre d’observations.
Cette faculté est également ouverte au président du tribunal administratif, qui peut lui même constater une insuffisance ou un défaut de motivation des conclusions pouvant constituer une irrégularité de procédure.
III. Le déroulement de l’enquête publique
La réforme mise en œuvre par le décret du 29 décembre 2011 se traduit également par un certain nombre de modifications affectant le déroulement de l’enquête publique, concernant notamment les conditions de son ouverture et la définition de sa durée.
A. L’ouverture de l’enquête publique
L’enquête publique est ouverte et organisée par l’autorité compétente pour prendre la décision en vue de laquelle l’enquête est requise. La procédure est fondée sur l’élaboration, par le responsable du projet, d’un dossier d’enquête publique.
1. La composition du dossier d’enquête publique
Avant la réforme, le code de l’environnement déterminait de manière exhaustive la liste des pièces composant le dossier soumis à enquête publique. Désormais le dossier devra comprendre les pièces et avis exigés par les législations et réglementations applicables au projet, plan ou programme. L’article R.123-8 impose toutefois que ce dossier comprenne au moins :
- lorsqu’ils sont requis, l’étude d’impact et son résumé non technique ou l’évaluation environnementale et son résumé non technique, et, le cas échéant, le résumé au cas par cas de l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement , ainsi que l’avis de l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement
- à défaut d’étude d’impact ou d‘évaluation environnementale, une note de présentation précisant les coordonnées du maître d’ouvrage ou du responsable du projet, l’objet de l’enquête, les caractéristiques les plus importantes du projet, et présentant un résumé des raisons pour lesquelles, notamment d’un point de vue de l’environnement, le projet soumis à enquête a été retenu ;
- la mention des textes qui régissent l’enquête publique en cause ;
- lorsqu’ils sont rendus obligatoires par un texte législatif ou réglementaire préalablement à l’ouverture de l’enquête, les avis émis sur le projet ;
- le bilan de la procédure de débat public, de concertation ou de toute autre forme de participation du public organisée préalablement à l’ouverture de l’enquête ;
- la mention des autres autorisations nécessaires à la réalisation du projet.
2. L’organisation de l’enquête publique
Concernant tout d’abord l’arrêté d’ouverture de l’enquête publique, son contenu est précisé par l’article R. 123-9. La plupart des mentions obligatoires demeurent inchangées. Il convient toutefois de souligner que cet arrêté devra dorénavant préciser :
- la ou les décisions pouvant être adoptées au terme de l’enquête ;
- les autorités compétentes pour prendre la décision d’autorisation ou d’approbation ;
- le cas échéant, l’adresse du site Internet sur lequel les informations relatives à l’enquête publique pourront être consultées ou les moyens offerts au public de communiquer ses observations par voie électronique. Cette dernière exigence traduit le recours croissant à la communication électronique (cf. IV infra) comme moyen de garantir une participation plus aisée du public aux procédures d’enquête publique.
La garantie de cette participation est également favorisée par l’étendue des jours et heures consacrés à l’enquête publique. L’article R. 123-10 du code de l’environnement précise que « les jours et heures, ouvrables ou non où le public pourra consulter un exemplaire du dossier et présenter ses observations sont fixés de manière à permettre la participation de la plus grande partie de la population, compte tenu notamment de ses horaires de travail ». Outre les jours habituels d’ouverture au public, l’enquête publique peut « comprendre des heures en soirée ainsi que plusieurs demi-journées prises parmi les samedis, dimanches et jours fériés ».
B. La durée de l’enquête publique
La durée de l’enquête publique demeure comprise entre un et deux mois.
1. La prolongation de la durée de l’enquête publique
La faculté du commissaire enquêteur de prolonger la durée de l’enquête publique est maintenue toutefois, l’article R. 123-6 lui permet désormais de prolonger la durée de l’enquête publique de trente jours (au lieu de quinze jours avant la réforme), notamment lorsqu’il décide d’organiser une réunion d’information et d’échange avec le public.
De la même manière, l’autorité compétente pour prendre la décision d’autorisation ou d’approbation peut décider de la prorogation de la durée de validité de l’enquête publique. Cette durée est fixée à cinq ans. Si dans ce délai les projets qui font l’objet d’une enquête publique n’ont pas été entrepris, l’autorité compétente peut décider de sa prorogation pour une nouvelle durée maximale de cinq ans.
Cependant, l’article R. 123-24 du code de l’environnement précise que cette prorogation ne peut intervenir si le projet a fait l’objet de modifications substantielles ou si des modifications de droit ou de fait nécessitant une nouvelle consultation du public sont intervenues depuis la décision arrêtant le projet.
2. Les conséquences de la modification du projet sur l’enquête publique
Le décret précise les modalités d’application de deux mécanismes instaurés par la loi Grenelle II.
2.1 La suspension de l’enquête publique
Si le responsable du projet estime nécessaire d’apporter des modifications substantielles à son projet, l’autorité compétente pour ouvrir l’enquête peut, après avoir entendu le commissaire enquêteur, suspendre l’enquête pour une durée maximale de six mois. Cette possibilité ne peut cependant être utilisée qu’une seule fois. A l’issue de la suspension, l’enquête publique est prolongée d’une durée d’au moins trente jours et est menée, dans la mesure du possible, par le même commissaire enquêteur.
2.2 L’enquête publique complémentaire
Le responsable du projet peut également envisager d’apporter des modifications à son projet suite aux conclusions du commissaire enquêteur. Dans ce cas, si les modifications envisagées modifient l’économie générale du projet, il peut demander à l’autorité organisatrice de l’enquête publique d’ouvrir une enquête complémentaire. A l’issue de cette enquête complémentaire d’une durée minimale de quinze jours, le commissaire enquêteur établit un rapport complémentaire et des conclusions motivées.
Dans les deux cas, le responsable du projet est tenu de compléter son dossier initial et d’y ajouter une note présentant les modifications apportées à son projet, l’étude d’impact ou l’évaluation environnementale intégrant ces modifications ainsi que l’avis actualisé de l’autorité environnementale.
IV. Le développement de la communication électronique dans la procédure d’enquête publique
A. Des conditions d’accès à l’information facilitées par les nouvelles technologies
L’article L. 123-10 du code de l’environnement, issu de la loi Grenelle II, prévoit que « l’information du public est assurée par tous moyens appropriés, […] notamment par voie d’affichage sur les lieux concernés de l’enquête, par voie de publication locale ou par voie électronique». L’avis d’enquête publique doit, au moins quinze jours avant l’ouverture de l’enquête, être affiché sur les lieux de l’enquête, dans deux journaux et, innovation du décret, « sur le site Internet de l’autorité compétente pour ouvrir et organiser l’enquête, lorsque celle-ci dispose d’un site ». Dans ce cas, à l’issue de l’enquête publique, l’autorité compétente est tenue de publier sur son site Internet le rapport et les conclusions du commissaire enquêteur et de les tenir à disposition du public pendant un an.
Le recours à la communication électronique concerne également le déroulement de l’enquête publique, sous réserve qu’ils soient indiqués dans l’arrêté d’ouverture d’enquête publique , pour offrir la possibilité au public de formuler ses observations, propositions et contre-propositions.
Enfin, le décret prévoit la possibilité pour le commissaire enquêteur de procéder, le cas échéant, à l’enregistrement audio ou vidéo des réunions d’information et d’échange avec le public, à condition que ce dernier en soit averti afin de les joindre à son rapport.
B. Une expérimentation mise en œuvre pour certains projets
Un deuxième décret du 29 décembre 2011 (décret dit Expérimentation) renforce le recours à la communication électronique dans le cadre de la procédure d‘enquête publique.
Pris en application du II de l’article L. 123-10 du code de l’environnement, ce décret arrête une liste de projets, plans et programmes pour lesquels la communication par voie électronique des principaux documents constituant le dossier d’enquête publique est obligatoire. Cette communication électronique ne dispense pas le responsable du projet des autres modalités de publicité rendues obligatoires par le code de l’environnement.