Introduction

La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023, dite Industrie Verte, s’inscrit dans un mouvement plus large de « verdissement » du droit économique et industriel, marqué par l’impératif de transition écologique et énergétique. L’ambition affichée est double : accélérer la réindustrialisation du pays tout en réduisant l’empreinte carbone des activités productives. Ce texte, à la croisée du droit de l’environnement et du droit économique, impose aux entreprises un faisceau d’obligations nouvelles qui touchent directement à la sécurité des sites industriels, à la protection de l’environnement et à la conformité opérationnelle. La question est alors de savoir si cette loi constitue une véritable rupture normative ou si elle s’apparente à un ajustement cosmétique, porté davantage par une logique de communication politique que par une exigence de transformation structurelle.

Sur le plan environnemental, le texte renforce nettement les obligations qui pèsent sur les entreprises. Il impose, notamment, la réalisation d’un bilan simplifié des émissions de gaz à effet de serre pour les sociétés de 50 à 500 salariés, ce qui marque une extension substantielle du champ des entités concernées par le reporting climatique. De même, il instaure un nouveau dispositif de compensation écologique via les sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation (SNCRR), destiné à corriger les lacunes de l’ancien système de compensation. À cela s’ajoute la réhabilitation obligatoire des friches industrielles et la responsabilisation des exploitants en liquidation, la loi conférant à l’administration des moyens renforcés pour contraindre à la dépollution et à la mise en sécurité. Sur ce point, l’intention est claire : éviter que le coût environnemental des activités économiques ne soit socialisé. Mais l’efficacité de ces dispositifs dépendra largement de la capacité de l’État à contrôler et sanctionner, ce qui, dans la pratique, demeure incertain au regard des moyens alloués à l’inspection environnementale.

La dimension sécuritaire de la loi ne doit pas être sous-estimée. Les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) sont désormais soumises à un contrôle plus strict, l’administration disposant de leviers renforcés pour exiger la mise en sécurité et la remise en état. Toutefois, cette rigueur affichée coexiste paradoxalement avec une volonté de simplification procédurale : accélération des autorisations environnementales, réduction des délais, modernisation des consultations. Ce choix, dicté par l’objectif de compétitivité et d’attractivité industrielle, comporte un risque évident de dilution des garanties de sécurité, si les procédures se trouvent vidées de leur substance par la course à la rapidité. L’exigence d’une analyse approfondie des risques technologiques et sanitaires pourrait en pâtir, exposant les entreprises comme les riverains à des externalités négatives.

Sur le terrain de la conformité opérationnelle, la loi opère un tournant significatif en conditionnant l’accès aux aides publiques à des critères environnementaux précis. Les entreprises bénéficiaires doivent produire des bilans d’émissions et engager des plans de transition, sous peine d’exclusion. De plus, le verdissement de la commande publique introduit un filtrage inédit : les opérateurs économiques qui ne respectent pas certaines obligations environnementales peuvent être exclus des marchés publics. Ces mécanismes traduisent une extension du droit de la commande publique comme outil de régulation écologique, mais posent également la question du risque de distorsion de concurrence pour les PME, moins armées pour satisfaire à ces critères que les grandes entreprises déjà dotées d’une ingénierie normative. Le droit de la concurrence et le principe d’égalité d’accès aux marchés publics pourraient être invoqués pour dénoncer d’éventuelles discriminations déguisées.

La loi Industrie Verte illustre la tension permanente entre impératifs de rapidité économique et exigences de rigueur environnementale. Elle érige des obligations juridiques nouvelles, sans doute structurantes à moyen terme, mais dont la mise en œuvre soulève plusieurs interrogations : contrôle effectif des bilans carbone, sincérité des plans de transition, risques de greenwashing dans l’accès aux aides, équilibre entre simplification administrative et préservation de la sécurité. Si l’ambition affichée est incontestable, son efficacité réelle dépendra de la capacité de l’État à exercer une régulation ferme et cohérente, et des entreprises à dépasser une logique de conformité minimale pour engager une véritable stratégie de durabilité. À défaut, la loi Industrie Verte pourrait demeurer un instrument davantage incantatoire que transformateur, plus politique que juridique, incapable d’opérer la mutation structurelle qu’exige l’urgence climatique.