La réforme du régime des nullités en droit des sociétés : entre sécurité juridique et clarification normative.
Par Youssouf Djonouma Tordibaye
Specialisé en Droit des industries extractives-Compliance bancaire-RSE
UNIVERSITE PARIS SACLAY
Posté le: 19/09/2025 17:41
I. La sécurisation des décisions sociales par un encadrement du prononcé et des effets des nullités
A. L’instauration du « triple test » judiciaire
L’innovation la plus significative réside dans la création d’un nouvel article 1844-12-1 du Code civil, qui rompt avec l’automaticité du prononcé de la nullité. Désormais, le juge doit procéder à une analyse en trois étapes :
Contrôle du grief : le demandeur doit démontrer que l’irrégularité a lésé ses intérêts, ce qui renforce l’exigence de légitimité de l’action en nullité.
Contrôle de l’influence : il convient de vérifier si l’irrégularité a eu une incidence réelle sur le sens de la décision contestée.
Contrôle de proportionnalité : le juge doit mettre en balance les conséquences de l’irrégularité et celles de l’annulation, introduisant ainsi une logique de justice corrective.
Ce mécanisme traduit une évolution majeure : la nullité cesse d’être une sanction automatique pour devenir l’issue d’un contrôle raisonné, empreint de proportionnalité.
B. Le cantonnement des effets et la réduction des délais
La réforme encadre également les effets des nullités. Deux dispositifs méritent d’être soulignés :
Les irrégularités de composition ou de désignation d’un organe social ne suffisent plus à elles seules à invalider les décisions ultérieures ; Le juge peut différer dans le temps les effets de l’annulation, afin d’éviter un bouleversement trop brutal de la vie sociale.
Par ailleurs, le délai de prescription de l’action en nullité est réduit de trois à deux ans, traduisant une volonté de renforcer la stabilité juridique. Un régime spécifique est en outre prévu pour les augmentations de capital :
Dans les sociétés cotées, aucune action en nullité n’est possible après la réalisation de l’opération ;
Dans les autres sociétés, un délai restreint de trois mois est prévu, protégeant notamment les fondateurs ou minoritaires contre des manœuvres d’éviction. Ainsi, la réforme opère un équilibre entre la sanction des irrégularités et la continuité de la vie sociale.
II. La clarification et la simplification du régime juridique des nullités
A. L’unification normative et la redéfinition des causes de nullité
Jusqu’alors, le régime des nullités se déployait sur deux terrains : les articles 1844-10 et suivants du Code civil, et les articles L. 235-1 et suivants du Code de commerce. Cette dualité générait des chevauchements et des divergences. L’ordonnance restitue au Code civil son rôle de droit commun des nullités, tout en relocalisant certaines dispositions spécifiques dans le Code de commerce (notamment pour les restructurations et les opérations sur capital).
Autre innovation majeure : le critère de localisation formelle (au sein du Code civil ou du Code de commerce) est abandonné au profit d’un critère matériel, celui du droit des sociétés, déjà reconnu par la jurisprudence. Cette évolution met fin à une incertitude persistante et rend le régime plus cohérent.
B. La redéfinition des actes concernés et le rôle des statuts
La terminologie ancienne des « actes et délibérations » issue de la loi du 24 juillet 1966 cède la place à celle de « décisions sociales ». Ce choix emporte des conséquences importantes :
Sont couvertes exclusivement les décisions internes de la société (assemblées, décisions d’organes sociaux),
Sont exclues les conventions conclues avec des tiers, ainsi que les avis, recommandations ou opinions émises par des instances consultatives.
La réforme clarifie également la délicate question de la nullité pour violation des statuts. Désormais, un principe général d’exclusion est posé, tout en permettant des dérogations. De manière spécifique, les SAS se voient reconnaître la faculté de prévoir statutairement la nullité des décisions sociales prises en violation de leurs règles internes. Cette innovation, très attendue par les praticiens, consacre la flexibilité contractuelle propre à ce type sociétaire.
Conclusion
L’ordonnance du 12 mars 2025 consacre une évolution substantielle et systématique du droit des nullités en matière sociétaire. Par le triple test, elle érige la proportionnalité en principe directeur du contrôle juridictionnel. Par le cantonnement des effets et la réduction des délais, elle renforce la stabilité des sociétés, en particulier des sociétés par actions. Enfin, par l’unification normative et la redéfinition des causes de nullité, elle simplifie un régime devenu trop complexe. Cette réforme illustre un mouvement général du droit des sociétés contemporain : protéger l’efficacité et la sécurité de la vie sociale, tout en garantissant les droits des associés et la loyauté des décisions collectives. Elle marque ainsi un pas décisif vers une meilleure conciliation entre la logique économique de l’entreprise et les exigences de justice dans le contentieux sociétaire.
SOURCES:
Ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025