L'office du juge de l'excès de pouvoir en matière de contentieux environnemental
Par Marc BASSENE
Posté le: 24/08/2025 16:06
L’office du juge de l’excès de pouvoir en matière de contentieux environnemental.
L’émergence du contentieux émergent n’a pas été sans incidence pour le juge de l’excès de pouvoir particulièrement dans l’exercice de son office. Ce contentieux marqué par les plus grands défis de notre temps à savoir la conciliation entre développement économique et impacts environnementaux au travers de la question du changement climatique, nous amène à relever que dans l’exercice de son office le juge par moment fait preuve d’un « volontarisme avéré » d’une part et d’autre part il semble asseoir une sorte de modération dans la mise en œuvre de ses pouvoirs lui valant même des critiques sur l’efficacité de ses interventions, de ses moyens.
Les affaires Commune de Grande-Synthe de 2023 (CE, 10 mai 2023, n° 467982, Cne de Grande-Synthe et a., Lebon : AJDA, 2023, p. 919 ; GPL 29 août 2023, n° GPL452r5, note I. Michel) et les Amis de la Terre de la même année (CE, 24 nov. 2023, n° 428409, Assoc. Les Amis de la Terre France, Lebon : GPL 16 janv. 2024, n° GPL457x1, note N. Finck et S. Seroc) sont une parfaite illustration de l’office du juge de l’excès de pouvoir affirmant d’un côté son audace, mais également ses « limites ».
S’agissant de l’affaire les Amis de la Terre, celle-ci a pris source en 2015 et était question pour les requérants en saisissant le Conseil d’Etat de contraindre l’Etat à se conformer aux prescriptions de la directive européenne du 21 mai 2008 portant pollution de l’air.
Le Conseil d’Etat va relever l’existence d’une carence en ordonnant au gouvernement par la suite de baisser les concentrations de dioxyde d’azote et de particules fines (CE, 12 juill. 2017, n° 394254, Assoc. Les Amis de la Terre France). Trois ans plus tard rien n’est fait et le Conseil d’Etat va prononcer une astreinte à hauteur de 10 millions d’euros par semestre de retard. C’est dans sa décision du 24 novembre 2023 qu’il va condamner l’Etat au paiement de deux astreintes de cinq millions d’euros pour deux semestres. Ce qui réduit de moitié le montant de l’astreinte par semestre de retard.
L’affaire de la Commune de Grande-Synthe a quant à elle débute en 2019 suite au constat de la forte possibilité pour cette commune d’être envahie par la montée des eaux pour cause le réchauffement climatique. Elle reste marquer par la saisine faite par le maire de ladite commune aux fins de l’annulation du plan national d’adaptation au changement climatique. Le Conseil d’Etat va en 2021 considérer que les mesures prises par l’Etat sont insuffisantes et enjoindre ce dernier à prendre les mesures utiles pour baisser les émissions de gaz à effet de serre sans toutefois assortir ces mesures d’astreintes.
Dans d’autres affaires de la même veine, le juge de l’excès de pouvoir refuse d’adresser des astreintes à la suite d’une injonction (CE, 10 mai 2023, n° 467982) ou procède à la diminution de l’astreinte (CE, 24 nov. 2023, n° 428409). Dans les cas d’espèce susmentionnés, c’est l’échelonnement des échéances des injonctions qui est repoussé à chaque fois qui pose problème.
Le constat établi, notre réflexion s’articulera sur les contours de l’office du juge de l’excès de pouvoir en matière de contentieux environnemental.
Cela nous amène à nous intéresser à l’office audacieux du juge de l’excès de pouvoir par un volontarisme affirmé (I) et la subsistance des incertitudes sur l’efficacité de son office (II)
I. L’OFFICE « AUDACIEUX » DU JUGE DE L’EXCES DE POUVOIR
Les affaires précitées démontrent à suffisance l’office audacieux du juge de l’excès de pouvoir marqué un volontarisme avéré tant dans le contrôle qu’il opère sur les mesures prises par les pouvoirs publics (A), mais également de l’usage des pouvoirs de sanction (B)
A. LE CONTROLE STRICT OPERE PAR LE JUGE
Le juge de l’excès de pouvoir n’a pas lésiné dans le contrôle qu’il opère par rapport aux mesures ou obligations pesant sur l’Etat. Pour s’y prendre il va se référer aux différentes normes qu’elles se situent à l’échelle internationale, européenne ou nationale.
Dans le cas d’espèce Les Amis de la Terre relatif à la pollution de l’air, des exigences ont été posées par la directive européenne n°2008/50/CE du 21 mai 2008 du Parlement européen et du Conseil. L’exigence posée par la directive était que les valeurs limites de concentration de polluants ne doivent pas dépasser un certain seuil. Le dépassement des valeurs lorsqu’il a lieu dans une zone déterminée, un plan de mesures adéquates doit être pris.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat dans son arrêt du 10 juillet 2021 dite ADT II (Amis de la Terre) va procéder à une évaluation minutieuse des mesures prises par le gouvernement tant dans leurs caractères adaptés que dans leurs exécutions. Pour le Conseil la feuille de route établit par le gouvernement n’est pas assez suffisante pour y répondre. Au final, le juge a opéré un contrôle de la trajectoire fixée c’est-à-dire qu’il s’agit d’une vérification entre les mesures prises et les objectifs fixées. Plus concrètement, le « juge s’assure, à la date à laquelle il statue, que les objectifs arrêtés sont en voie d’être atteints et qu’ils s’inscrivent dans une trajectoire crédible. ».
Il inscrit donc son contrôle dans une dimension prospectrice.
Dans le même sillage, le juge a dans sa décision de Commune de Grande Synthe de 2023 demandé au gouvernement de lui fournir les « éléments suffisamment crédibles et étayés qui permettent de regarder la trajectoire d’atteinte de ces objectifs comme respectée. » (CE, 10 mai 2023, n° 467982, pt 8). Par l’exercice de cet office de contrôle, « le juge a le mérite de l’appréciation portée sur la cohérence et la suffisance des mesures prises par les pouvoirs publics en matière de lutte contre le changement climatique. »
B. L’USAGE INNOVANT DE SES POUVOIRS DE SANCTION
Le juge dispose d’une large palette de mesures lui permettant de contraindre l’Etat à se conformer aux obligations en matière de contentieux environnemental. On n’y retrouve le pouvoir d’injonction et d’astreinte issus des lois. n° 80-539 du 16 juill. 1980, relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public et la loi. n° 95-125, 8 févr. 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
Ces mesures ont été appliquées par le juge de l’excès de pouvoir dans les deux affaires à savoir Commune de Grande Synthe et de celle des Amis de la Terre. Le juge à ce niveau ne s’est pas limité qu’à poser des sanctions, mais à laisser une marge de manœuvre plus souple dans la mesure où il est demandé aux autorités de prendre toutes mesures utiles pour baisser les émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit donc d’ « imposer à l’administration des quasi-obligations de résultats, tout en lui laissant le choix des moyens permettant d’atteindre ces résultats ».
Pour les astreintes, les décisions du juge ne sont pas homogènes. En effet, on note tantôt des exigences strictes assortis d’astreintes tantôt pas d’astreintes. En matière de pollution de l’air, l’injonction est suivie d’astreintes qu’il module par moment. Il en est ainsi des affaires les Amis de la Terre contrairement à celle de la Commune de Grande Synthe où le juge a juste considéré qu’il demeure nécessaire pour le gouvernement d’adopter des mesures complémentaires au regard des carences notées dans l’exécution de la décision.
En matière de pollution de l’air, il est question d’obligations de résultats et non de simples moyens conformément à la directive de 2008. Ce qui explique cette position du juge.
Cette posture du juge dans l’usage de son office lui a valu des critiques.
II. LA PERSISTANCE DES INCERTITUDES DE L’EFFICACITE DE L’OFFICE DU JUGE DE L’EXCES DE POUVOIR
La persistance des incertitudes de l’efficacité de l’office du juge de l’excès de pouvoir peut se mesurer au travers de la récurrence de la caractérisation des carences de l’Etat (A) et de l’impossibilité pour le juge d’aller au-delà (B)
A. LA RECCURENCE DE LA CARACTERISATION DES CARENCES DE L’ETAT
Dans l’ensemble de ses décisions que ça soit celle relative à la pollution de l’air qu’aux engagements portant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, il résulte qu’à chaque fois le juge revient sur l’insuffisance des mesures prises par les pouvoirs publics face aux injonctions données.
« Pour l’arrêt ADT II, du 10 juillet 2020, il établit notamment la carence eu égard à la fois « au délai écoulé depuis l’intervention de la décision dont l’exécution est demandée, à l’importance qui s’attache au respect effectif des exigences découlant du droit de l’Union européenne, à la gravité des conséquences du défaut partiel d’exécution en termes de santé publique et à l’urgence particulière qui en découle » et dans la même veine dans l’arrêt ADT IV du 17 octobre 2022, il pointe du doigt « la durée qui ne cesse de s’accroître de la période de dépassement des valeurs limites dans les zones concernées ». Ceci démontre l’impuissance de juge à faire plus.
Le juge se trouve dans une position d’impossibilité de contraindre véritablement les pouvoirs publics
B. L'IMPOSSIBILITE POUR LE JUGE D’ALLER AU-DELA : DU REALISME ?
Les injonctions suivies d’astreintes prononcées par le juge se heurte à une véritable difficulté quant à leur exécution.
Face à cette situation, il n’est pas question pour le juge de toujours maintenir les sommes fixées dans l’astreinte, mais plutôt de procéder par moment à un usage modéré de l’astreinte. C’est ce qu’il a eu à faire dans certains cas d’espèce (CE, 10 mai 2023, n° 467982, pt 25) dès lors qu’il constate des « améliorations » dans la baisse des émissions de gaz à effet de serre compte tenu des politiques de transitions énergétiques et les investissements réalisés par le gouvernement.
On pourrait parler ici d’un véritable réalisme au lieu d’une attitude inflexible de la part du Conseil d’Etat par une prise en compte de l’inutilité des astreintes démontrant leur « vanité dans les grands dossiers environnementaux ».
Cependant, cela risquerait d’écorner l’image de la justice par rapport aux citoyens.
Tout de même, la plus grande difficulté pour le juge résidera dans le fait qu’il va devoir « rendre des décisions réalistes, effectivement exécutables et politiquement acceptables ».
Bibliographie :
A. Labbay, « L’astreinte, un nouveau mode de financement au service de l’environnement ? (CE, ass., 10 juill. 2020, n° 428409, Assoc. Les Amis de la Terre France) », in Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux 2021, n° 19, p. 137-145
B. Lasserre, « L’environnement : les citoyens, le droit, les juges », introduction du colloque Regards croisés du Conseil d’État et de la Cour de cassation, 21 mai 2021
B. Seiller, « Justice climatique ou médiatique ? », AJDA 2023, p. 1081
CE, « L’exécution des décisions du juge administratif : état des lieux et évolutions récentes », 2023, P. Trouilly, contribution consultable sur le site du Conseil d’État
M. Gkegka, « Le contentieux environnemental devant le juge de l’excès de pouvoir », RDP 200f1, P. 85-92.