L'intégration de l'argument scientifique dans le contentieux environnemental
Par Marc BASSENE
Posté le: 23/08/2025 4:12
Central à la résolution de certains litiges environnementaux, la prise en compte de l’argument scientifique lors des procès environnementaux s’impose de plus en plus. Le principe de précaution en est une véritable illustration avec la notion de risques, de même que la question du changement climatique, de l’effondrement de certains ensembles de la biodiversité, etc. Ce qui n’est pas aisé dans la majorité des cas d’espèce à prouver révélant par ailleurs l’étroit rapprochement en droit de l’environnement et sciences.
Ce vent en mouvement en faveur de l’argument scientifique suscite cependant des craintes au sein de la doctrine. Il en est ainsi du Professeur Michel Prieur, qui estime que « la science, pour influente qu’elle puisse être, n’a pas vocation à se substituer mécaniquement à la délibération politique qui caractérise la démocratie, fût-elle environnementale. Renseigner les décideurs sur la dangerosité d’une substance est la mission du scientifique, assumer certains risques relève du champ politique, peuplé de logiques d’arbitrages, de confrontations et de conciliations… de choix à faire : l’être n’est pas le devoir-être ».
Il reviendra pleinement au juge de faire preuve de réalisme dans ses missions en se rappelant selon les propos d’un ancien vice-président du Conseil d’Etat que « le renouveau du contentieux environnemental pose un défi au juge, qui va devoir tout à la fois veiller à ne pas se laisser dépasser par l’expertise scientifique et recueillir toutes les informations nécessaires ».
Fort ce de constat, ce sujet nous amène à nous interroger sur la place qu'occupe l’argument scientifique dans le contentieux environnemental particulièrement celui de la responsabilité administrative environnementale ?
Il en ressort d’une part que la place de l’argument scientifique est déterminante (I) et d’autre part il demeure complémentaire (II)
I. LA PLACE DETERMINANTE DE L’ARGUMENT SCIENTIFIQUE DANS LE CONTENTIEUX ENVIRONNEMENTAL
La place déterminante voire centrale occupée par l’argument scientifique peut se mesurer au travers de son apport important à l’élucidation du contentieux environnemental (B), mais également par sa présence affirmée dans ledit contentieux (A).
A. LA PRESENCE AFFIRMEE DE L’ARGUMENT SCIENTFIQUE
Essentiel à l’élucidation des litiges touchant divers domaines telles que la biodiversité, la pollution, etc, l’argument scientifique est plus qu’omniprésente en matière environnementale compte tenu de la spécificité du droit de l’environnement qui demeure une matière à la rencontre de plusieurs disciplines aux aspects fortement scientifiques.
Il en est ainsi du contentieux climatique dans lequel l’argument scientifique a été un atout précieux pour démontrer la faute.
En effet, dans l’affaire du siècle, l’argument scientifique a grandement contribué par l’usage de données scientifiques à établir la carence fautive de l’Etat sur les obligations générales de lutte contre le changement climatique (TA Paris, 3 févr. 2021, nos 1904967, 1904972 et 1904976/4-1, Association Oxfam et autres).
Cet même usage va s’opérer dans la domaine de la biodiversité particulièrement dans le contentieux des cétacés où les données scientifiques ont permis d’établir de manière certaine la défaillance des systèmes de contrôle liés au capture accidentelle des cétacés (TA Paris, 2 juill. 2020, n° 1901535, Association Sea Sheperd France).
D’autres cas d’espèces ont permis de même d’illustrer la place déterminante de l’argument scientifique dans la résolution des litiges (TA Toulouse, 6 mars 2018, nos 1501887 et 1502320, Association Pays de l’ours ; TA Toulouse, 1er mars 2022, n° 1803160, Comité écologique ariégeois)
B. LE CARACTERE IMPERATIF DE L’ARGUMENT SCIENTFIQUE A L’ELUCIDATION DU CONTENTIEUX ENVIRONNEMENTAL
Etant une discipline au carrefour de plusieurs autres disciplines notamment celles à dimension scientifique, il demeure de manière certaine que le recours à l’argument scientifique constitue « un impératif » partant du fait que le domaine scientifique ne peut-être saisi par le droit de manière efficace.
Recourir à l’argumentation scientifique pour répondre à certaines problématiques d’ordre environnemental est plus que nécessaire. En effet, les données scientifiques ont à certains égards permis de répondre avec preuve à l’appui la carence reprochée à l’Etat.
Il en est ainsi de l’affaire de l’ours dans les Pyrénées où il était question de savoir si l’état de conservation de ces animaux a été fait de manière à ce qu’il permette à la population de l’ours de s’y développer en référence à l’article 2 de la directive Habitats. Pour arriver à la démonstration, il a fallu recourir aux données sur les risques démographiques et génétiques qui ont par la suite permis d’établir la carence fautive de l’Etat en termes d’obligation de résultat.
Même constat en matière de pollution où la carence fautive de l’Etat ne peut être établie que si les requérants parviennent à démontrer le lien de causalité entre la pathologie médicale et la pollution. A ce niveau, les certificats médicaux sont d’une importance capitale car ils doivent établir de manière certaine le lien de causalité.
En dépit de la place centrale de l’argument scientifique dans l’élucidation de la responsabilité dans le contentieux environnemental, il appartiendra au final au juge de trancher. Ce qui nous amène à dire qu’au fond l’argument assure une fonction d’auxiliaire ou d’alliée au raisonnement juridique du juge.
II. LA PLACE COMPLEMENTAIRE DE L’ARGUMENT SCIENTIFIQUE
Le caractère second voire complémentaire de l’argument scientifique peut se mesurer à différents niveaux : dans la détermination de la faute (A) et dans la réparation du dommage (B)
A. DANS LA DETERMINATION DE LA FAUTE
Le raisonnement juridique demeure la pièce maitresse de la solution retenue par le juge.
L’argument scientifique ou les données scientifiques n’ont qu’une place subsidiaire en réalité dans la mesure où c’est l’obligation juridique que le juge évalue véritablement par rapport à une situation donnée. Les données scientifiques viendront en appoint, mais n’en constituent pas la substance de la décision du juge.
Il en est ainsi dans l’affaire de l’ours des Pyrénées précitée où il était question de l’obligation de l’Etat et particulièrement de résultat d’assurer la conservation de l’espèce conformément au droit de l’UE et non sur la base de données scientifiques au départ.
Ce qui revient à dire qu’il suffit que l’obligation soit acté par les textes pour que le juge établisse la carence fautive de l’Etat. C’est ce qui ressort principalement dans les différents contentieux climatiques ou émergents. C’est le cas de l’obligation pour les Etats de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre prenant en compte l’accord de Paris de 2015 et des actions qui seront posées ou menées par les Etats dans ce sens.
Cela peut-être un facteur bloquant pour le contentieux climatique car pour certains le juge devra faire preuve d’audace voire d’activisme judiciaire dans son office en intégrant dans son analyse une sorte de prescription scientifique.
Par ailleurs, dans l’établissement de la faute partant du lien de causalité, il arrive que le juge s’affranchisse ou ne tient pas compte de la causalité scientifique pour retenir que celle juridique. En effet, dans l’affaire du siècle, « Alors que la preuve d’un lien de causalité direct entre la carence de l’État et le préjudice climatique pouvait apparaître comme une difficulté majeure, le juge s’en affranchit finalement en suivant l’argumentation des requérantes. Il considère en effet que le fait que l’État ait reconnu « sa capacité à agir effectivement sur [les changements climatiques] pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes suffit à admettre un lien de causalité, ce qui n’a plus grand-chose à voir avec un raisonnement scientifique rigoureux ».
B. DANS LA REPARATION DU DOMMAGE
Dans la réparation du préjudice, il a fallu une longue maturation pour une prise en compte de l’argument scientifique pour la réparation du préjudice écologique par le juge.
Ce qui ne l’était pas auparavant car le juge se refusait de réparer le dommage à l’environnement en tant que tel. C’est dans l’affaire Oxfam susmentionnée que le juge va accepter pour la première fois la réparabilité du préjudice écologique.
Il en ressort que malgré le fait que le préjudice écologique ait une connotation scientifique, il reviendra toujours au juge de décider. L’argumentation juridique devient donc la principale pierre de l’édifice et l’argument scientifique constitue un allié du raisonnement juridique du juge.
Bibliographie :
Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’État, « L’environnement : les citoyens, le droit, les juges », Discours prononcé à la Cour de cassation, 21 mai 2021.
Bétaille J., « L’ours dans les Pyrénées : la carence fautive de l’État dans la mise en œuvre de la directive Habitats », AJDA 2018, p. 2346
Van Lang A., « L’hypothèse d’une action en responsabilité contre l’État », RFDA 2019, p.652
Bétaille J., « L’argument scientifique dans le contentieux de la responsabilité environnementale », Revue du droit public - n°2, 2023 - page 350
Fonbaustier L., Manuel de droit de l’environnement, 2018, PUF, p. 24 et 25