Adoptée à l’été 2025, la loi Duplomb visait à répondre aux revendications du monde agricole en assouplissant certaines normes environnementales. Présentée comme un texte de « bon sens rural » par ses soutiens, elle a rapidement cristallisé les tensions entre impératifs écologiques et productivisme agricole. Contestée dans les débats publics, dénoncée par les ONG et les scientifiques, elle a été partiellement censurée par le Conseil constitutionnel avant d’être promulguée dans une version amendée. Cette séquence législative révèle les lignes de fracture persistantes entre institutions, société civile et intérêts économiques.

I. La censure du Conseil constitutionnel : un garde-fou environnemental renforcé

Le 7 août 2025, le Conseil constitutionnel a rendu une décision très attendue sur la loi Duplomb. Saisi par un groupe de parlementaires, il a censuré l’article 2 du texte, qui autorisait la réintroduction encadrée de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes. Ce produit, interdit en France depuis 2020, est reconnu pour ses effets délétères sur les pollinisateurs, les oiseaux et potentiellement la santé humaine.
La censure s’est appuyée sur l’article 1er de la Charte de l’environnement, qui consacre le principe de précaution. Le Conseil a estimé que les risques environnementaux n’étaient pas suffisamment encadrés ni justifiés par des impératifs d’intérêt général supérieur. Cette décision marque une étape importante dans la jurisprudence environnementale, en affirmant que les considérations agricoles ne peuvent primer sur les principes constitutionnels de protection de la biodiversité.
Cependant, le Conseil a validé d’autres dispositions du texte, jugées moins problématiques :
• Les simplifications administratives pour les élevages intensifs,
• La facilitation de la construction de retenues d’eau agricoles,
• Et la possibilité de prélever dans certaines nappes phréatiques, sous réserve de contrôle juridictionnel.
Ces validations, assorties de réserves, montrent que le Conseil n’a pas rejeté en bloc la loi, mais a cherché à préserver un équilibre entre développement agricole et respect des normes environnementales.

II. La promulgation du texte amendé : un compromis sous haute tension

Le 12 août 2025, le président Emmanuel Macron a promulgué la loi Duplomb, amputée de son article censuré. Ce choix politique, salué par les syndicats agricoles mais critiqué par les écologistes, illustre une volonté de conciliation : avancer sur les enjeux agricoles sans franchir les lignes rouges constitutionnelles.
La loi avait été adoptée au Parlement en juillet avec un soutien transpartisan : majorité présidentielle, Républicains, et une partie de l’extrême droite. Ce large consensus politique contraste avec la mobilisation citoyenne massive qu’elle a suscitée. En quelques jours, une pétition contre le texte a recueilli plus de 2 millions de signatures, un record en France. Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs grandes villes, portées par des ONG comme France Nature Environnement, Greenpeace ou Pollinis.
Les critiques se sont concentrées sur :
• Le risque de recul des normes environnementales,
• La facilitation des projets agricoles intensifs,
• Et la marginalisation des instances scientifiques dans l’évaluation des risques.
Malgré la promulgation, le débat reste ouvert. Laurent Duplomb, sénateur à l’origine du texte, a déclaré vouloir retravailler une version conforme aux exigences du Conseil pour réintroduire l’acétamipride. Cette annonce laisse présager une nouvelle bataille législative.

La trajectoire de la loi Duplomb de son adoption rapide à sa censure partielle, en passant par une mobilisation citoyenne inédite illustre la complexité des arbitrages entre agriculture, environnement et institutions. Elle rappelle que les compromis politiques ne peuvent ignorer les garde-fous constitutionnels ni les attentes sociétales. Dans un contexte de crise écologique mondiale, chaque loi devient un test de cohérence entre les discours et les actes. La loi Duplomb, même expurgée, restera comme un symbole de cette tension permanente entre productivisme et durabilité.