Le régime juridique de la dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées
Par Marc BASSENE
Posté le: 10/08/2025 19:16
Outil essentiel à la protection de l’environnement, particulièrement la faune, la flore, le régime français de la dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées relève de la Directive n°92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 portant conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, ou Directive oiseaux et de la Directive n°2009/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 sur la conservation des oiseaux sauvages ou Directive habitats.
Au niveau national, cette dérogation repose sur trois conditions cumulatives listées à l’article L. 411-2 I, 4º du Code de l'environnement. De ces conditions, nous avons : l’absence d’autre solution satisfaisante, l'atteinte portée par le projet ne doit pas impacter le maintien des espèces dans un état de conservation favorable dans leur espace de répartition naturelle et enfin le projet doit répondre à un intérêt public majeur. Il revient par conséquent au pétitionnaire conformément à l’avis n° 463563 du 9 décembre 2022 du Conseil d’Etat à la demande de la Cour d’appel de Douai de s’assurer d’une part si « des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet » et que cet examen ne doit porter, ni sur le « nombre de ces spécimens », ni sur leur « état de conservation d’une part et d’autre part le risque se doit d’être suffisamment caractérisé en intégrant les mesures d’évitement et de réduction proposées.
Cependant, un nouvel alinéa de l’article 25 de la loi DDADUE a été ajouté à l’article L. 411-2 du code de l’’environnement. Ce nouvel alinéa offre la possibilité pour le porteur de projet de ne pas déposer la demande de dérogation espèces protégées lorsqu’il remplit certaines conditions. De ces conditions, le projet devra comporter des mesures d’évitement, présenter des garanties d’effectivité permettant de réduire le risque de destruction ou la perturbation des espèces à tel point que ce risque n’apparaisse pas comme suffisamment caractérisé. En outre, le projet devra intégrer un dispositif de suivi pour évaluer l’efficacité des mesures.
Evoquer la dérogation des espèces protégées dans ce contexte mouvementé nous amène à analyser son contentieux au travers de sa nature évolutive (I) et la portée de ce contentieux (II)
I. LE CARACTERE EVOLUTIF DU CONTENTIEUX DE LA DEROGATION DES ESPECES PROTEGEES
Le régime de la dérogation des espèces protégées demeure un régime mouvant compte tenu de la jurisprudence du juge administratif sur la dérogation à l’interdiction de détruire les espèces protégées.
A ce sujet, l’on note d’une part l’interprétation stricte du régime de dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées (A) et d’autre part un assouplissement de régime (B)
A. L’INTERPRETATION STRICTE DES CONDITIONS A LA DEROGATION DES ESPECES PROTEGEES
La dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées repose sur trois conditions distinctes et cumulatives mentionnées à l’article L. 411-2 I, 4° du code de l’environnement.
Le porteur de projet ou le pétitionnaire dont le projet a un impact significatif sur l’environnement nécessitant une autorisation environnementale pour pouvoir bénéficier de cette dérogation doit s’assurer de l’absence d’une solution alternative, du maintien dans un état de conservation favorable des espèces dans leur aire de répartition optimale des espèces dans leur aire de répartition naturelle, et enfin le projet doit répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). Il s’agit là de véritables projets ayant des impacts significatifs sur la faune et la flore et surtout du point économique, énergétiques, etc,.
A l’analyse de la jurisprudence du juge administratif, on note que l’ordre d’examen des conditions reposait essentiellement sur la raison impérative d’intérêt public majeur avant par la suite de réagencer ses critères. C’est ce qui ressort de son arrêt n° 413267 du 25 mai 2018 dit arrêt Val Tolosa où le juge considère qu’un « projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur ». Le réagencement en intégrant les autres critères va s’opérer par la suite.
Par ailleurs, ce qui demeure déterminant, c’est que le juge que le juge sur la condition du RIIPM, de même pour les autres critères, il en fait une interprétation stricte et non souple. Le respect au RIIPM est sans appel ((Cf. par ex. CE, 31 déc. 2021, nº 439766, Sté Sablière de Millières ; CE, 24 juill. 2019, nº 414353, Val Tolosa ; CE, 27 déc. 2022, nº 449624, Val Tolosa). S’agissant de la solution alternative et celui du maintien dans un état de conservation favorable, son examen est casuistique. Ce qui parait assez difficile à saisir pour les pétitionnaires ou porteurs de projet en ce sens qu’il est parfois demandé au porteur de projet de justifier la localisation du projet en intégrant tout de même les solutions alternatifs pouvant y résulter (CAA Marseille, 1er juin 2018, nº 17MA02799).
Le dépôt de la dérogation est obligatoire au départ avant de faire par la suite l’objet d’un assouplissement. Ces critères tels qu’ils sont interprétés peuvent mettre à l’arrêt beaucoup de projets. C’est ce qu’a compris le juge par la suite le législateur.
B. L’ASSOUPLLISSEMENT DU REGIME DE DEROGATION DES ESPECES PROTEGEES
L’assouplissement du régime à l’interdiction de détruire les espèces protégées est marqué par l’absence d’obligation de déposer une demande de dérogation. En effet, dans son avis du 9 décembre 2022 n° 63563, Association Sud-Artois, le Conseil d’Etat a énuméré des conditions par lesquelles le porteur de projet ou le pétitionnaire peut bénéficier de cette absence de dépôt d’une demande de dérogation.
De ces conditions, il revient au pétitionnaire de déterminer ou de vérifier si un ou plusieurs espèces protégées se trouvent sur la zone ou site de projet (CAA Nancy, 11 avr. 2023, nº 20NC02488) ou sur l’« aire immédiate du projet » (CAA Nantes, 27 janv. 2023, nº 21NT03270). En ce qui concerne la présence d’un spécimen, celle-ci n’est pas estimé en fonction du « nombre de spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes » (CE, 17 févr. 2023, nº 460798, ADET). Ensuite, le porteur de projet devra s’assurer dès que des spécimens sont retrouvés sur son site du projet que le risque est suffisamment caractérisé. Il s’agit plus précisément de vérifier que « les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé » (CE, 27 mars 2023, nº 452445, sté Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize ; CE, 22 juin 2023, n °465839, sté Centrale éolienne La plaine des fiefs).
Il faut noter aussi que dans la caractérisation du risque, le juge emploi la notion de risque négligeable (CAA Bordeaux, 23 févr. 2023, nº 20BX00919, pts 21 et 22 ; CAA Lyon, 9 mars 2023, nº 21LY03893), mais tout de même, « En pratique, un impact résiduel faible à modéré sur les espèces est jugé insuffisamment caractérisé (Cf. par ex. CE, 17 févr. 2023, préc. ; CAA Lyon, 30 mars 2023, nº 22LY00812), y compris lorsque les mesures d'évitement et de réduction n'éliminent pas tout risque de mortalités accidentelles (CAA Nantes, 27 janv. 2023, nº 21NT03270).
II. LA PORTEE DU REGIME DE DEROGATION DES ESPECES PROTEGEES
Le régime de dérogation des espèces protégées à l’aune de l’avis du Conseil d’Etat semble ne pas être à l’abri de certains risques du point de vue administratif (A) et pénal (B) voire susceptible d’être source d’insécurité juridique.
A. AU NIVEAU ADMINISTRATIF
La solution dégagée par le Conseil d’Etat dans son avis serait source d’insécurité juridique. En effet, dès l’instant qu’il revient seul au porteur de projet de déterminer s’il peut ou non recourir à la dérogation sur la base des conditions posées par le juge du Palais-Royal sans que cela ne fasse l’objet d’un acte opposable, l’insécurité juridique demeure pour le pétitionnaire ou le porteur de projet.
En outre, le préfet peut sur le fondement des prérogatives qui lui sont conférées procéder à une mise en demeure en demandant au pétitionnaire de procéder au dépôt de la demande de dérogation. De même, la réalisation des conditions posées dans l’avis du Conseil d’Etat dépendra aussi de l’interprétation qu’en fera l’administration selon les cas d’espèce. Les administrations présentent des pratiques différentes sans faire abstraction de la nature complexe de la réalisation des mesures d’évitement, de réduction voire de compensation partant de la question paysagère, de l’avifaune.
B. DU POINT DE VUE PENAL
En dehors des aspects administratifs, le risque pénal sur l’absence d’une dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées subsiste pour le pétitionnaire ou le porteur de projet. En effet, que ce soit la destruction ou la perturbation d’espèces protégées ou d’habitats non couverte par cette dérogation relève du délit pénal conformément à l’article L. 415-3 du code de l’environnement. A ce sujet, la Cour de Cassation a une position tranchée là-dessus (Cass. 3ème civ. 3e, 30 nov. 2022, nº21-16.404, Sté EDF Renouvelables France ; Cass. crim. 18 nov. 2022, nº 21-86.965).
Tout de même, rien n’est encore certain sur cette inquiétude. En effet, à supposer que le juge administratif confirme que le projet du pétitionnaire n’est pas soumis à la demande de dérogation, le juge judiciaire irait-il dans le même sens ?
Sources : A. QUILAN, « Le rôle du juge en matière d'espèces protégées : étude d'un parcours contentieux mouvementé », Bulletin du Droit de l'Environnement Industriel, Nº 110, 1er mars 2024.
F. CASSIN, « Eolien et espèces protégées », Le journal de l’éolien n°42 – 2021.
https://www.gossement-avocats.com/blog/derogation-especes-protegees-le-legislateur-precise-les-conditions-de-naissance-de-lobligation-de-depot-dune-demande-de-derogation/