Le principe de précaution dans le domaine de l'environnement
Par Marc BASSENE
Posté le: 09/08/2025 12:42
Le principe de précaution de l’article 5 de la Charte de l’environnement.
Apparu dans les années 1970, intégré dans les traités internationaux de l’environnement, le Traité de Maastricht, et dans l’ordre juridique interne (loi Barnier n°95-101 du 2 février 1995), en lui accordant une dimension constitutionnelle en 2005 par la suite avec la Charte de l’environnement, le principe de précaution, selon l’article L. 110-1 du code de l’environnement, c’est lorsque " l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable".
Dans la même veine, c’est : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l' environnement , les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage" (l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2005).
Sujet de discorde au sein de la Commission Coppens en charge des travaux de la Charte de l’environnement, des députés, et perçu comme un frein au développement économique par les acteurs économiques, la constitutionnalisation de ce principe comporte des effets quant à sa portée particulièrement son champ d’application.
Bien n’ayant pas connu de développement majeur dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il fait l’objet d’une application plus importante au sein de la jurisprudence administrative de par « l’office audacieux » du juge administratif. A titre d’exemple, le Conseil d’Etat en 2010 sans tenir compte de la modification apportée à l’article 34 de la Constitution a au départ admis que l’article 5 de ladite Charte ne s’impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives que dans leurs domaines de compétences respectifs. Mais en 2013, le juge du Palais-Royal va s’affranchir de cette position en considérant que le principe de précaution doit s’appliquer en matière sanitaire à partir du moment où l’atteinte à l’environnement est de nature à nuire de manière grave à la santé.
Faisant l’objet d’interprétations évolutives et d’une application non uniforme, l’analyse du principe de précaution nous amène à nous pencher sur son applicabilité particulièrement sur les conditions (I) et sur la portée de ce principe qui demeure peu appliqué (II)
I. L’APPLICATION STRICTE DU PRINCIPE DE PRECAUTION
Invoqué dans plusieurs domaines et à plusieurs reprises, le principe de précaution fait l’objet d’un encadrement strict dans ses conditions par le juge administratif. Néanmoins, l’application de ces conditions prête à confusion par moment.
A. L’IMPORTANCE DE LA NOTION DE RISQUES
Le juge y attache une importance particulière dans l’application du principe de précaution, le risque doit être suffisamment caractérisé, prouvé. A ce sujet, le juge y veille au grain. Lorsque cette condition n’est pas remplie, il rejette l’acte attaqué devant lui. Ainsi, la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 3 nov. 2021, n° 20LY00294) dans le cadre d’un arrêté préfectoral relatif au soutien financier accordé par l’Eta à l’agriculture biologique a écarté l’application du principe de précaution invoqué par les requérants au motif que l’acte attaqué ne comporte en lui-même aucun risques. C’est la raison d’ailleurs qu’il demeure difficile pour le juge d’admettre les prétendus risques sanitaires qui résulteraient des champs électromagnétiques issus de panneaux photovoltaïques (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 22 décembre 2020, n° 19BX02649).
Cette position du juge tendant à rejeter l’application de ce principe s’expliquerait simplement par l’insuffisance des éléments avancés par les requérants pour caractériser le risque. Il en est ainsi de la question de l’impact des liaisons électriques souterraines sur la santé des vaches (CAA Nantes, 11 juin 2018, n° 17NT01845), des risques d’incendie et de pollution des eaux résultant des unités de méthanisation (CAA Douai, 9 mai 2019, n° 17DA00608, Association Novissen, CAA Douai, 14 janv. 2020, n° 18DA00459, Société Biogaz Pévèle), des risques sanitaires qui proviendraient des éoliennes (CAA Nantes, 15 févr. 2019, n° 18NT01814) tant d’autres affaires allant dans ce sens.
Une autre application stricte de la condition tenant au risque est le faite que le juge écarte l’application du principe de précaution « lorsque la réalité et la portée de tels risques ne présentent pas, en l'état des connaissances scientifiques, un caractère hypothétique mais sont, au contraire, connues et évaluées » (CE 3 oct. 2018, n° 406243, Association Observatoire du nucléaire). Ce qui est demeure fort logique compte tenu de la définition même de ce qu’est le principe de précaution. Pour le juge cela relève plus de la prévention que de la précaution. C’est le cas des poussières de dioxine (CAA Paris, 12 janv. 2024, n° 23PA02196 , Commune de Maincy), de l’enfouissement des déchets (CE 1er déc. 2023, n° 467331 , Association Meuse nature environnement et autres), etc,.
Un dernier aspect de la condition tenant au risque, le juge n’applique pas le principe de précaution lorsqu’il s’agit d’atteintes qui ne sont pas environnementales. Il en est ainsi des atteintes au patrimoine (CAA Bordeaux, 11 avr. 2023, n° 22BX00400 , Société TDF), des conséquences liées à la constatation des limites du rivage de la mer (CAA Douai, 24 août 2021, n° 20DA00110 , Commune de Ponthoile ; CAA Douai, 24 août 2021, n° 20DA00111 et 20DA00207 ) ou encore des risques sanitaires sans rapport avec l'environnement (ne relèvent du principe de précaution que les « atteintes à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé », CE, ass., 12 avr. 2013, Association coordination interrégionale Stop THT, préc.).
B. L’ABSENCE D’UNIFORMITE DANS L’APPRECIATION DE LA NOTION DE RISQUES
En dépit de la rigueur dans le contrôle de l’application de la notion de risques, on note que le juge administratif peine à avoir une constance ou une appréciation uniforme de la notion de risques. L’appréciation de cette notion n’est pas uniforme lorsque l’on examine la jurisprudence administrative.
En effet, il est arrivé que le juge du Palais-Royal ait considéré que le principe de précaution peut s’appliquer concernant le risque de rupture brutale s‘agissant de certains composants électronucléaires (CE, ord., 18 janv. 2017, n° 406244 Association Observatoire du nucléaire). Par la suite, le juge va opérer un revirement dans son appréciation en estimant que le risque est certain (CE 3 oct. 2018, Association Observatoire du nucléaire).
Une position similaire, mais opérée de manière comparative a été retrouvée lorsque les risques demeurent similaires. De manière constante, le juge admet l’application du principe de précaution au seul fait que la notion de risques pour les poissons et les mammifères est établie avec la surpêche ou à la capture accidentelle. En revanche, le juge considère qu'il ne s'applique pas en ce qui concerne la chasse, au motif que les « risques [...] relatifs à la conservation des oiseaux migrateurs limicoles sont des risques connus » (CE, ord., 21 nov. 2024, n° 498595 , LPO). Or, il faut noter que dans le domaine de la chasse le risque de disparition de certaines espèces reste une incertitude scientifique.
Tous ces aspects relatifs à la mise en œuvre de la notion de risques n’est pas sans incidence sur l’applicabilité même du principe de précaution. En effet, à partir du moment où le juge établit des conditions strictes dans la mise en œuvre du principe de précaution au travers de la notion de risques, nous pouvons sans aucun doute affirmer que le principe de précaution demeure moins appliqué.
II. APPLICATION MOINDRE DU PRINCIPE DE PRECAUTION
Fréquemment invoqué en matière d’Organismes génétiquement modifiés avec quelques succès, l’effectivité du principe de précaution demeure limité (B) voire son contrôle reste restreint voire circonscrit (A)
A. CONTROLE RESTREINT DU JUGE DANS L’APPLICATION DU PRINCIPE
Le principe de précaution compte tenu de son champ d’application, particulièrement le domaine scientifique, le contrôle opéré par le juge est restreint. Ce contrôle restreint est dû d’une part à la technicité auquel ce principe fait appel, mais également aux controverses multiples dans le milieu scientifique.
Le contrôle du juge à ce niveau est donc un contrôle tendant à rechercher l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation du principe de précaution. Par conséquent, les autorités disposent une large marge d’appréciation quant au contenu de ce principe.
Ce qui en soi peut poser d’énormes difficultés quant à son effectivité car le juge ne peut se substituer au jugement de l’administration. C’est la raison pour laquelle le juge est très pointilleux concernant le respect des procédures en matière d’évaluation des risques. Il en est ainsi du sursis à exécution prononcé par le Conseil d’Etat dans l’affaire du maïs transgénique. Le juge annule lorsque la procédure n’est pas respectée. Il en est ainsi de l’usage des produits phytosanitaires lorsque leur autorisation au motif que l'obligation de mettre en œuvre des procédures d'évaluation résultant du principe de précaution n'avait pas été respectée (CAA Lyon, 29 juin 2021, n° 19LY01017 2563, Société Bayer Seeds K., AJDA 2021)
Il faut noter que le principe de précaution a le mérite de permettre au juge d’assoir son contrôle particulièrement en ce qui concerne les OGM (organismes génétiquement modifiés). C’est le cas de l’affaire des produits phytosanitaires avec le collectif des maires anti-pesticides où le juge du Palais-Royal a annulé de manière partielle des dispositions réglementaires relatives aux distances de sécurité applicables à l'utilisation de ces produits (CE 26 juill. 2021, n° 437815, Collectif des maires anti pesticides).
Ceci nous amène à nous pencher sur son effectivité limité.
B. L’EFFECTIVITE LIMITE DU PRINCIPE DE PRECAUTION
Tel que précisé un peu plus haut le principe de précaution demeure fondamentalement structuré par la notion de risques. Démontrer l’existence d’un risque de nature à justifier l’application de ce principe n’est pas chose facile à réaliser eu égard à la technicité du domaine scientifique. La question des ondes électromagnétiques est assez suffisante pour expliquer les lacunes à ce niveau. A titre d’illustration, les recours faits par les maires contre les installations d’antennes relais sont rejetés de manière systématique par le juge car les requérants ne sont pas en mesure de prouver le lien de causalité ou la preuve des éléments circonstanciés. De plus, dès lors que le risque n’est pas établi, le juge interrompt son contrôle ou son examen.
Par ailleurs, en opérant un contrôle restreint, le Conseil d’Etat « a validé la décision du Premier ministre de ne pas diminuer les valeurs limites d'exposition du public aux ondes électromagnétiques générées par les installations de téléphonie mobile (CE 7 mars 2018, n° 399727, Association Robin des toits, AJDA 2018. 1646 ), de même que l'ensemble des mesures prises par le maître d'ouvrage d'une ligne à très haute tension pour limiter l'exposition résidentielle à des champs électromagnétiques de très basse fréquence (CE 19 oct. 2018, n° 411536 l'évitement des lignes électriques dans le Nord ; CE 8 avr. 2019, n° 411862 »
Principe au contenu imprécise et difficile à cerner tant pour le juge que pour le citoyen, l’avenir du principe de précaution est à surveiller de plus près au regard des enjeux environnementaux et sanitaires qui ne cessent de se profiler.
Sources : N. HUTEN, « Le principe de précaution vingt ans après sa constitutionnalisation, un bilan en trompe-œil », AJDA, 2025, page 492.
N. de SADELEER, « The Precautionary Principle in ec Health and Environmental Law », European Law Journal vol. 12, March 2006, p. 139-172.
V. L. BAGHESTANI-PERREY, « Le principe de précaution : nouveau principe fondamental régissant les rapports entre le droit et la science », D. 1999, chron. no 41, p. 457