L’analyse de double matérialité constitue une évolution assez significative de la CSRD. C’est une étape très importante pour l’entreprise car elle lui permet d’avoir une visibilité concernant ses sujets matériels. Ainsi, elle permet une meilleure vision des risques et des opportunités en matière de durabilité afin de répondre efficacement aux exigences grandissantes des investisseurs et des parties prenantes.
Désormais, le principe de double matérialité (I) est un principe capital permettant une analyse suivant des étapes séquentielles et structurées (II).

I- Principe de double matérialité

Jusqu’à la directive durabilité, l’analyse de simple matérialité était la seule approche d’analyse de matérialité. Désormais, la CSRD introduit l’analyse de double matérialité. Il paraît important de définir ce principe tout en s’intéressant à son origine (A) avant de s’intéresser à ses objectifs (B).

A- Définition et origine du principe de double matérialité

Le principe de double matérialité qui est aujourd’hui un principe fondamental dans le reporting extra-financier trouve ses origines dans un concept plus ancien de matérialité financière. Ce dernier a été largement utilisé dans le monde financier pendant de nombreuses années pour identifier et sélectionner les informations qui sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur la performance financière d’une entreprise. Autrement dit, la matérialité financière permet aux investisseurs et aux analystes de déterminer quelles données sont suffisamment importantes pour influencer leurs décisions économiques.
L’importance croissante des enjeux environnementaux et sociaux va nécessiter une évolution notable élargissant son champ d’application afin d’inclure la matérialité d’impact.
Pour mieux comprendre cette évolution, il convient de distinguer les deux dimensions de la matérialité. D’une part, la matérialité financière, souvent désignée par l’expression vision “outside-in” concerne la manière dont les questions de durabilité créent des opportunités ou représentent des menaces pour la performance financière de l’entreprise. Cette approche traditionnelle ne prenait pas en compte les impacts externes sur l’entreprise.
D’autre part, la matérialité d’impact quant à elle, aussi appelée vision “inside-out”, examine la manière dont les activités et opérations de l’entreprise affectent positivement ou négativement l’environnement, la société mais également l’économie. Cette approche qui se veut beaucoup plus élargie permet de considérer les impacts internes de l’entreprise sur son environnement.
Le concept de double matérialité a été formalisé et intégré dans les normes de reporting extra financier. Cela s’est fait sous des recommandations émises par la Global Reporting Initiative (GRI).
Par conséquent, la déclaration de durabilité doit désormais présenter les enjeux de durabilité qui ont un impact significatif sur l’activité de l’entreprise, en tenant compte à la fois des risques et des opportunités liées à ces enjeux.

B- Objectifs de l’analyse de double importance

L’analyse de double matérialité est une étape cruciale pour les entreprises soumises aux exigences de la CSRD. L’un des principaux objectifs de cette analyse est d’identifier les enjeux matériels pertinents pour l’entreprise. Cela inclut non seulement les risques et les opportunités susceptibles d’influencer la performance financière de l’entreprise mais aussi les impacts de ses activités sur l’environnement et la société.
En procédant à cette identification, les entreprises peuvent mieux comprendre les enjeux nécessitant une attention particulière dans leur reporting de durabilité. Ainsi, elles peuvent se focaliser sur les questions les plus critiques qui peuvent affecter la performance à long terme.
Elle permet également d’évaluer les impacts des activités de l’entreprise ainsi que les risques associés aux enjeux de durabilité. Cela signifie que les entreprises doivent examiner de manière approfondie la manière dont leurs activités affectent des problématiques telles que le changement climatique, la biodiversité, les droits humains et d’autres aspects sociaux et environnementaux.
Les entreprises doivent également évaluer comment ces enjeux externes peuvent influencer leur performance financière. Cette évaluation est essentielle pour élaborer des stratégies de gestion des risques efficaces, permettant ainsi aux entreprises de se préparer à d’éventuels défis.

II- Une analyse de double matérialité suivant des étapes séquentielles et structurées

L’analyse de double matérialité se fait en plusieurs étapes. L’entreprise, après avoir identifié les enjeux ESG et les IRO à évaluer (A) applique les critères d’évaluation en tenant compte d’une échelle de cotation qu’elle aurait déterminée (B). Toutefois, l’évaluation des droits de l’homme bénéficie d’un cadre précis prévu par la CSRD.

A- Identification des enjeux ESG et des IRO à évaluer

Dans le cadre de l’analyse de double matérialité, l’ESRS 1 énonce une série de thèmes, sous thèmes et sous-sous-thèmes qui relèvent des domaines environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ces éléments constituent autant de sujets de durabilité. En effet, cette structuration permet de clarifier les enjeux ESG que les entreprises doivent évaluer pour assurer une conformité avec les exigences réglementaires et répondre aux attentes des parties prenantes.
L’analyse de double matérialité doit impérativement couvrir l’ensemble des sujets de durabilité au minimum. Toutefois, il est important de souligner que les entreprises ont la latitude d'ajouter des enjeux qui ne sont pas explicitement mentionnés dans les normes. Il s’agit d’enjeux qu’elles jugent pertinents en fonction de leur contexte opérationnel et leur secteur d'activité. Cette flexibilité permet aux entreprises de personnaliser leur analyse en tenant compte des spécificités de leur activité et des préoccupations de leurs parties prenantes.
Par ailleurs, les entreprises peuvent regrouper plusieurs sujets de durabilité afin de procéder à une analyse conjointe. Cette approche permet de simplifier le processus d’analyse mais aussi de fournir une vision plus globale des impacts et des risques associés.
Les enjeux de durabilité ainsi identifiés, il est important de les décliner en Impacts, Risques et Opportunités (IRO).
L’identification des impacts constitue l’une des étapes. Elle consiste à évaluer comment les activités de l’entreprise affectent l’environnement et la société. Les impacts peuvent être positifs ou négatifs, réels ou potentiels et ils doivent être analysés à travers l’ensemble de la
chaîne de valeur de l’entreprise, y compris ses fournisseurs et ses clients (Pascal Durand, 2023). Quant à l’évaluation des risques, elle se concentre sur les risques et les opportunités qui peuvent impacter la performance de l’entreprise.
En plus des impacts et des risques, l’analyse de double matérialité implique également l’identification des opportunités qui peuvent découler des enjeux ESG. Ces opportunités peuvent inclure des améliorations de l’efficacité opérationnelle ainsi que des avantages concurrentiels.
L’entreprise analyse plusieurs aspects clés à savoir la réglementation, la réputation et l’image, la dépendance à certaines ressources ainsi que l'impact opérationnel.
Pour évaluer convenablement les IRO, l’EFRAG inclut un certain nombre de critères.

B- Critères d’évaluation de la double importance

Une question de durabilité est considérée comme matérielle lorsqu’elle répond aux critères de matérialité financière et/ou d’impact. L'analyse de double matérialité se concentre sur la matérialité des impacts, risques et opportunités identifiés par l’entreprise ainsi que sur les questions de durabilité jugés importants à des fins de publication. Les ESRS mentionnent les critères à prendre en compte dans l’évaluation de l’importance des IRO. Ces critères ne sont pas totalement les mêmes du point de vue de l’impact et du point de vue financier. L’EFRAG met à disposition des entreprises, un guide établissant un certain nombre de critères tels que la gravité des impacts, leur portée, et leur probabilité d’occurrence. Cette évaluation permet aux entreprises de prioriser les enjeux en fonction de leur importance et de leur potentiel d’impact sur la performance financière.
Les normes ne spécifient pas d’échelle d’évaluation ni de seuil minimal à respecter. Il revient donc à l’entreprise de déterminer la manière dont elle identifiera les IRO qu’elle considère importants. Cela peut se faire en utilisant une échelle de notation et en établissant un seuil minimal au-dessus duquel un IRO sera considéré comme significatif.

- Critères d'évaluation du point de vue de l’impact

Lors de l’analyse de double matérialité, l’évaluation de l'importance des impacts, qu’ils soient négatifs ou positifs, actuels ou potentiels, repose sur une série de critères spécifiques qui permettent de mesurer leur gravité et leur portée. Ces critères sont essentiels pour hiérarchiser les enjeux et guider les entreprises dans l’élaboration de stratégies de durabilité efficaces.
L’évaluation des impacts négatifs actuels, autrement dit les impacts déjà observables et avérés se concentre principalement sur la gravité de l’impact. Cette gravité est déterminée en fonction de trois critères clés notamment l’ampleur, l’étendue et le caractère irrémédiable.
L’ampleur est le critère qui permet de mesurer l’intensité ou l’effet néfaste de l’impact sur la population ou l'environnement. L’étendue quant à elle permet d’évaluer le périmètre de l’impact. Quant au caractère irrémédiable, il permet de déterminer si les dommages causés par l’impact peuvent être réparés ou non. La destruction d’un habitat naturel unique peut être considérée comme irrémédiable.
En ce qui concerne les impacts négatifs potentiels, en d’autres termes les impacts qui n’ont pas encore été observés mais qui pourraient se produire, l’évaluation prend en compte non seulement la gravité de l’impact mais aussi sa probabilité d'occurrence.

Toutefois, dans le cas spécifique des impacts potentiels sur les droits de l’Homme, la gravité de l’impact l’emporte sur sa probabilité. La gravité des impacts négatifs potentiels est évaluée selon les mêmes critères que ceux utilisés pour les impacts actuels à savoir l’ampleur, l’étendue et le caractère irrémédiable.
S’agissant de l’évaluation des impacts positifs, qu’ils soient actuels ou potentiels, se concentre sur deux critères principaux notamment l’ampleur et l’étendue.
La probabilité d’occurrence est prise en compte en plus de l’ampleur et de l’étendue lorsqu’il est question d’impacts positifs potentiels.
Il est question de procéder à la fin des différentes cotations à la comparabilité des scores et d’identifier les IRO matériels.

- Critères d’évaluation de l’importance du point de vue financier

Pour procéder à une évaluation approfondie de l’importance du point de vue financier, il est essentiel de suivre une démarche structurée qui se décompose en plusieurs étapes. La première étape consiste donc à identifier les risques potentiels qui pourraient affecter l'entreprise. Ces risques peuvent englober un large éventail de facteurs tels que les fluctuations du marché, les changements réglementaires ou encore la dépendance à certaines ressources; ressources qui peuvent être naturelles ou humaines. Il est tout aussi important d’identifier les opportunités en parallèle. Elles peuvent se manifester sous plusieurs formes en fonction de l’activité de l’entreprise. Il peut s’agir de nouveaux marchés, d’amélioration de certains produits ou services, d’amélioration dans l’efficacité opérationnelle.
Les risques et opportunités ainsi identifiés, l’étape suivante consiste à analyser les incidences financières de ces éléments, qu’elles soient avérées ou probables, sur l’entreprise. Les différents aspects financiers suivants sont pris en compte: le résultat financier, le positionnement, la trésorerie, l'accès aux financements.
Il est important de souligner que les risques et opportunités identifiés peuvent être étroitement liés à de nombreux impacts, qu’ils soient positifs ou négatifs, générés par l’entreprise mais également à l’impact de l’enjeu sur sa chaîne de valeur et ses parties prenantes.

La norme fait une distinction importante en ce qui concerne l’évaluation des incidences négatives matérielles et les incidences positives matérielles relatives aux Droits de l’Homme. En effet, lorsqu’il s’agit des Droits Humains, l’évaluation des incidences négatives doit être fondée sur la gravité de l’incidence plutôt que sur la probabilité. En d’autres mots, dès l’instant que l’activité de l’entreprise a une incidence négative sur les Droits de l’Homme, il n’y a plus besoin de procéder à la cotation de la probabilité d’occurrence de l’incidence. Les Droits de l’Homme2sont des normes fondamentales qui permettent de protéger l’intégrité et la dignité humaine. Les violations de ces droits fondamentaux peuvent avoir d’énormes conséquences. Ainsi, même si la probabilité pour que l’incidence négative se réalise est estimée comme étant faible, cette dernière peut entraîner des dommages irréversibles pour les personnes concernées. Cette violation irréversible pourrait entacher gravement la réputation de l’entreprise.
Il n’est pas question ici de rechercher l’ampleur en terme de volume de personnes qui pourraient être exposées au risque mais plutôt de se concentrer sur l’ampleur de l’impact sur l’individu, la communauté ou l’environnement.

L’enjeu est de faire en sorte que l'entreprise soit proactive afin de prévenir le plus possible les violations des Droits de l’Homme.
Il apparaît clairement que dans de nombreux cas, l’évaluation des incidences négatives matérielles doit être basée sur la gravité de l’incidence plutôt que sur sa probabilité d’occurrence, car une grande partie des sujets à évaluer sont répertoriés comme des droits de l’Homme.



Sources :

Pascal Durand, D. e. (2023). La transposition de la directive CSRD. Recueil Dalloz, p. p.1944.

Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 - Légifrance (legifrance.gouv.fr)

https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/dossiers-thematiques/le-reporting-de-durabilite-csrd-0

https://www.francechimie.fr/csrd-lefrag-publie-trois-guides-et-un-qa-pour-la-mise-mise-en-oeuvre