Nestlé France condamnée à une amende de 2 millions d’euros pour une fraude estimée à 3 milliards : une décision controversée
Par Oussama Belferrag
Stagiaire, Ingénieur HQSE
Veolia
Posté le: 22/09/2024 15:47
La multinationale Nestlé a récemment évité des poursuites pénales après avoir accepté de payer une amende de seulement 2 millions d'euros dans le cadre d'une Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), conclue avec le parquet d’Épinal. Cette CJIP concerne l’exploitation illégale de forages d’eau et le traitement interdit des eaux minérales vendues sous les marques Contrex, Hépar et Vittel. Une fraude colossale ayant duré près de trois décennies, mais qui se solde par une amende jugée dérisoire par les critiques.
Pendant vingt-sept ans, Nestlé Waters a exploité illégalement neuf forages et utilisé des techniques de traitement interdites pour commercialiser de l’eau « minérale naturelle ». Cette fraude a permis à la multinationale de vendre 19 milliards de litres d’eau, générant un bénéfice estimé à 3 milliards d’euros, selon les enquêteurs de la DGCCRF. Le scandale, révélé après deux ans d’enquêtes, soulève la question de la légèreté des sanctions infligées à une entreprise d'une telle envergure.
Le tribunal d’Épinal, en acceptant la CJIP signée le 2 septembre entre le procureur Frédéric Nahon et Nestlé, a reconnu la responsabilité de l’entreprise. Cependant, la peine infligée se limite à une amende de 2 millions d'euros. Cette CJIP, une procédure mise en place en 2016 sous François Hollande pour traiter les délits financiers et étendue en 2020 aux délits environnementaux sous Emmanuel Macron, permet aux entreprises de payer des amendes afin d’éviter des procès plus longs et coûteux. Si elle accélère le recouvrement des amendes par l’État, elle est aussi critiquée pour ne pas punir suffisamment les auteurs des infractions.
L'exploitation illégale des forages a eu des impacts écologiques dévastateurs. Selon l’Office Français de la Biodiversité (OFB), cette pratique a entraîné des assèchements récurrents des nappes phréatiques et perturbé les cycles hydrologiques des eaux de surface, causant des ruptures d’approvisionnement dans plusieurs villages. En réponse, la CJIP prévoit que Nestlé finance des mesures pour atténuer cet impact écologique, pour un montant évalué à 1,1 million d’euros. De plus, la multinationale devra verser 296 800 euros aux cinq associations de défense de l’environnement qui avaient porté plainte.
Cependant, pour les défenseurs de l’environnement, cette réponse est loin d’être suffisante. Bernard Schmitt, membre du collectif Eau88, a exprimé sa frustration : « Le dispositif en soi nous paraît scandaleux. Pire encore, le temps d’infraction a été réduit à la période de 2013 à 2019 en raison du délai de prescription. » Il regrette aussi le manque de moyens financiers pour engager des poursuites pénales plus sérieuses et déplore l'inefficacité d'une longue procédure judiciaire dans le contexte d'une urgence climatique croissante.
En janvier 2024, des enquêtes journalistiques menées par Marie Dupin (Radio France) et Stéphane Foucart (Le Monde) ont révélé que Nestlé Waters, ainsi que le groupe Sources Alma, utilisaient des procédés illégaux pour traiter l’eau, notamment des filtres à charbon et à UV, avant de la vendre comme de l’eau minérale naturelle. Par ailleurs, ces entreprises remplissaient également des bouteilles avec de l’eau du robinet, tout en dissimulant ces pratiques aux autorités de contrôle.
L’ONG foodwatch, qui avait déposé plainte le 21 février pour neuf infractions pénales, a vu sa démarche rendue caduque par l’adoption de la CJIP. Ingrid Kragl, experte en fraude pour l’ONG, a exprimé sa colère dans un communiqué : « C’est une décision scandaleuse qui envoie un très mauvais message sur le climat d’impunité : Nestlé Waters peut tromper les consommateurs pendant des années et s’en sortir en payant simplement une amende. »
Malgré les assurances de Nestlé Waters, la « qualité sanitaire » des eaux minérales n’est pas totalement garantie. Une note confidentielle de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), transmise au ministère de la Santé en octobre 2023, souligne la nécessité d’une surveillance accrue des eaux vendues par Nestlé en raison d’un risque sanitaire virologique.
Bernard Schmitt, toujours au nom du collectif Eau88, tire la sonnette d’alarme : « En France et en Allemagne, il n’y a plus une seule eau souterraine de qualité. Comment protéger les populations sans une eau saine ? » Les habitants de Vittel et de Contrexéville, autrefois fiers des eaux minérales locales, ressentent aujourd'hui un profond sentiment d’impuissance face à cette situation.
Ce n’est pas la première fois que Nestlé se retrouve au cœur d’un scandale environnemental en France. Il y a deux ans, l’entreprise avait déjà signé une CJIP similaire avec le parquet de Charleville-Mézières pour la pollution de la rivière Aisne, qui avait causé la mort de six tonnes de poissons en 2020. En acceptant de payer une amende de 40 000 euros, Nestlé avait ainsi évité des poursuites pénales, tout en niant sa responsabilité dans cette pollution. La même année, la marque avait aussi été éclaboussée par le scandale des pizzas Buitoni, contaminées par la bactérie E. coli, causant la mort de deux enfants et l’intoxication de dizaines d’autres.
Avec ces déboires répétés sur le marché français, des rumeurs courent concernant la possible vente des sites de production de Nestlé Waters en France. La CGT a même demandé la nationalisation de l’usine des Vosges, estimant que l’État pourrait mieux gérer ces ressources vitales. Cependant, pour Bernard Schmitt, cette éventuelle nationalisation ne résoudrait pas le problème fondamental : « Ce n’est pas cela qui nous rendra la qualité des eaux souterraines. Il faut en finir avec la pollution aux pesticides et aux produits chimiques. »
En conclusion, cette affaire Nestlé illustre une gestion défaillante des ressources naturelles et un sentiment croissant d’impunité pour les multinationales. La légèreté des sanctions infligées soulève des questions sur la justice environnementale en France et sur la capacité des citoyens à protéger leurs ressources naturelles.