I- Contexte de l’adoption des normes ESRS

Les premières exigences en matière de divulgation d’informations extra-financières ont fait leur apparition dans les années 2000. Cette période était caractérisée par une absence notable de cadre normatif rigoureux et une compréhension assez approximative des enjeux de durabilité. Dans cette situation, les entreprises avaient une grande marge de manœuvre en ce qui concerne la nature et l’étendue des informations qu’elles choisissaient de divulguer (Nicolas Cuzacq & Agrégé d'économie et gestion, 2023). Elles jouissaient donc d’une grande autonomie dans la conception et la rédaction du rapport de responsabilité sociétale dans la mesure où elles ne disposaient pas de directives précises ou de standards pour les guider.
Ainsi, les entreprises étaient plus portées vers la mise en avant de leur image et la valorisation de leurs différents accomplissements en matière de responsabilité sociétale. Étant donné l’absence de cadre réglementaire contraignant, les sociétés mettaient en avant les aspects positifs de leurs activités. Les informations divulguées ne reflétaient pas la réalité des impacts des activités des entreprises. Il était difficile d’aboutir à une représentation équilibrée et exhaustive de la situation réelle de l’entreprise. Les entreprises procédaient à un tri sélectif ne permettant pas de prendre en compte les diverses attentes de toutes les parties intéressées. La divulgation des informations extra-financières étaient centrée sur les intérêts des sociétés.
Toutefois, la prise de conscience de l’importance de divulgation des informations extra financières fidèles à la situation réelle de l’entreprise va permettre une évolution vers une communication s’inscrivant dans un cadre plus rigoureux.
En France, la déclaration de performance Extra-Financière sera introduite par la Loi Grenelle II promulguée en 2010. Ce cadre réglementaire impose aux grandes entreprises la publication d’informations structurées et détaillées dans trois domaines fondamentaux à savoir l’environnement, le social et la gouvernance (ESG). La volonté des autorités de transformer en profondeur la nature et la portée de la divulgation des informations extra-financières va permettre de fixer des informations obligatoires à intégrer dans le rapport notamment : une présentation du modèle d'affaires de l'entreprise, une description des principaux risques liés à
l'activité de l'entreprise, y compris les risques créés par ses relations d'affaires, ses produits ou ses services, une description des politiques appliquées par l'entreprise pour prévenir, identifier et atténuer ces risques, les résultats de ces politiques, incluant des indicateurs clés de performance, le cas échéant, les informations sur la lutte contre la corruption et l'évasion fiscale, des informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de l'activité de la société et de l'usage des biens et services qu'elle produit, des engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l'économie circulaire, de la lutte contre le gaspillage alimentaire, et de la lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité.
En 2022, l’Union Européenne adopte la Directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Cette directive impose aux entreprises un cadre assez contraignant juridiquement pour une plus grande transparence sur les questions ESG. C’est dans ce contexte qu’entrent en jeu les normes ESRS.
Elles s'inscrivent dans une plus vaste démarche qui se veut ambitieuse à l'échelle européen. Communément appelées ESRS, les European Sustainability Reporting Standards ont été élaborées de façon minutieuse et complexe. Elles ont été préparées par l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group). Il s'agit d’un organisme expert en matière de reporting financier et extra-financier. Elles ont ensuite été soumises à une consultation publique (Pierre
Henri Conac M. P., L'ESMA consulte sur l'application des normes ESRS : un chantier réglementaire qui lui donnera une grande influence !, 2024). Cette étape a permis aux parties prenantes d'exprimer leurs avis et suggestions. En Novembre 2022, elles ont été transmises à la Commission européenne. Une nouvelle phase de consultation a alors été enclenchée afin d'affiner davantage les standards fixés. Le périmètre des contributions a été élargi à ce stade.
La commission européenne a adopté officiellement les normes ESRS et promulgué l’acte délégué le 31 juillet 2023. Puis, en décembre 2023, elle a procédé à leur publication officielle dans un règlement délégué1 marquant ainsi leur entrée dans le cadre réglementaire européen. Le 1er janvier 2024, les normes ESRS entrent officiellement en vigueur. Toutefois, leur toute première application est attendue dans les états de durabilité sur l’exercice 2024 qui seront publiés en 2025.

II - Contenu dense des normes ESRS

Les normes ESRS sont au total douze normes conçues pour refléter de manière exhaustive la situation de la société. Deux d’entre elles sont transversales et les dix autres sont des normes thématiques.
Les normes transversales sont constituées de l’ESRS 1 et de l’ESRRS 2. Elles établissent des exigences qui sont applicables à l’ensemble du rapport de durabilité.
Quant aux dix autres, elles représentent les piliers fondamentaux de durabilité. Il s'agit de normes thématiques réparties en trois grandes catégories que sont les normes environnementales, les normes sociales et de gouvernance.

● Les normes transversales

Les normes ESRS 1 et ESRS 2 sont des normes transversales qui se veulent communes à l’ensemble du rapport de durabilité.
La norme ESRS 1 renferme les exigences générales qui sont fondamentales pour le reporting de durabilité des sociétés. Elle n’est pas de façon particulière associée à une obligation de reporting. En effet, dans un contexte où la divulgation d'informations extra-financières est essentielle pour les entreprises et encore plus pour celles soumises à la CSRD, elle met en place un cadre qui rend plus compréhensible l’architecture des normes ESRS. Elle permet de mieux appréhender les concepts utilisés ainsi que les principales exigences qui interviennent en ce qui concerne la manière d’afficher les indicateurs de durabilité. Son principal objectif est de garantir que toutes les entreprises publient des informations comparables et cohérentes. Ainsi, l’évaluation de performance en matière de durabilité est facilitée pour tout acteur qui s’y intéresse. S’inscrivant dans ce canevas, elle fixe les règles de préparation des informations à divulguer.
L’ESRS 1 couvre des aspects essentiels du rapport de durabilité notamment les informations générales, la gouvernance de durabilité, la stratégie et la gestion des risques ainsi que les indicateurs de performance.
Par ailleurs, les différents horizons temporels sont mentionnés dans la norme ESRS 1. A cet effet, la norme fait mention de la période à court terme, du moyen terme et du long terme.
Toutefois, lorsque les ESRS thématiques prévoient ou nécessitent un découpage différent du court, moyen et long terme, celui-ci prévaut sur les horizons fixés par l’ESRS 1. De même, lorsque la société utilise un découpage différent ou que les horizons prévus par l’ESRS ne semblent pas assez pertinents, elle a la possibilité de les définir différemment.
Les différents horizons temporels sont définis comme suit:
- Le court terme : Il s’agit de la période de référence choisie pour les états financiers;
- Le moyen terme : Commence en fin de période de référence et se termine au plus grand tard cinq années plus tard;
- Le long terme: Correspond à un horizon supérieur à cinq ans. Il est possible de procéder à un découpage lorsque cela s’avère pertinent.

Quant à l’ESRS 2, elle s’applique également pour toutes les questions de durabilité quel que soit le domaine d’activité. Elle fixe les exigences de publication qui s’appliquent à toutes les sociétés. Toutes les entreprises soumises à la CSRD doivent publier un contenu minimal des déclarations relatives à la durabilité. La norme ESRS 2 établit une connexion entre la stratégie, le modèle économique et la chaîne de valeur de l’entreprise, tout en intégrant les enjeux de durabilité.
Elle concerne les informations telles que la base d’établissement de la déclaration, les exigences de publication concernant le rôle de la gouvernance dans la gestion des sujets de durabilité, les exigences de publication relatives aux modalités d’identification des incidences, risques et opportunité importants pour la société, les exigences de publication minimales relatives aux politiques, actions, cibles et métriques que l’entreprise met en place pour la gestion des sujets de durabilité.
La section base d’établissement du rapport de durabilité permet à l’entreprise de définir le contexte dans lequel elle a préparé et rédigé sa déclaration. Autrement dit, l’entreprise définit le périmètre que le rapport de durabilité doit couvrir ainsi que la période de référence des informations qui sont soumises afin de mieux évaluer les progrès.

La partie gouvernance quant à elle, explore l’importance de la gouvernance dans la gestion des enjeux de durabilité. Les sections GOV, SBM et IRO de l’ESRS 2 imposent des exigences de publication qui engagent la responsabilité des plus hauts niveaux de direction et de supervision de l’entreprise en ce qui concerne les questions de durabilité. L’entreprise doit préciser le rôle que joue la gouvernance dans l’intégration des sujets de durabilité dans son fonctionnement, ainsi que la description des procédures de contrôles mises en place à cet effet.

● Les normes thématiques

Les règles de publication stipulées dans la directive se subdivise en deux grandes catégories notamment les informations générales et les informations thématiques.
En ce qui concerne les informations thématiques, la CSRD met en exergue dix normes réparties en trois grands groupes. Il s’agit des normes environnementales, sociales et de gouvernance.
La catégorie environnementale renferme les normes sur le changement climatique (E1), la pollution (E2), les ressources aquatiques et marines (E3), la biodiversité et écosystèmes (E4) et l’économie circulaire (E5). Quant à la norme sociale, elle regroupe les normes telles que les effectifs de l’entreprise (S1), les travailleurs de la chaîne de valeur (S2), les communautés affectées (S3), les consommateurs et utilisateurs finaux (S4). La catégorie concernant la gouvernance renferme la conduite des affaires qui bien qu’unique couvre divers aspects tels que l’éthique et la gestion des risques.

La Corporate Sustainability Reporting Directive impose aux entreprises de publier des informations détaillées sur leur impact environnemental. Les normes environnementales visent à promouvoir des pratiques durables et à réduire l’empreinte écologique des entreprises.
Par ailleurs, la directive impose aux entreprises de publier des informations détaillées sur leurs impacts sociaux.

Toutes les normes comprises dans la catégorie des normes sociales ont pour objectif l’amélioration des conditions de travail, le respect des droits humains, le renforcement et l’amélioration des relations avec les communautés.
Aussi, les entreprises soumises aux exigences de la CSRD doivent fournir des informations détaillées sur leur gouvernance. L’objectif principal ici est d’assurer une gouvernance d’entreprise transparente et éthique.



Sources

Nicolas Cuzacq, M. d., & Agrégé d'économie et gestion, N. (2023). La RSE, le masque et la plume. Revue des sociétés, p. p.71.

Pierre-Henri Conac, M. P. (2024). ESMA, Consultation Paper, Draft Guidelines on Enforcement of Sustainability Information, 15 décember 2023. Revue des sociétés, p. p.467.

https://www.efrag.org/en

https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/dossiers-thematiques/le-reporting-de-durabilite-csrd-0