La nouvelle consultation du CSE face aux enjeux de durabilité : cadre législatif et articulation avec les obligations existantes
Par Lie Marie Karelle Sahi
Posté le: 22/09/2024 8:39
La transposition en droit français de la directive 2022/2464/UE relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) impose une refonte significative du cadre juridique des rapports de gestion des sociétés commerciales.
Cette nouvelle obligation, introduite par l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 et complétée par divers décrets et arrêtés, contraint les grandes entreprises à intégrer un rapport de durabilité dans leurs rapports de gestion dès 2025.
Cette évolution législative pose, au-delà de la simple publication des informations, la question de la place des institutions représentatives du personnel dans ce nouveau cadre, en particulier du rôle du Comité Social et Économique (CSE). La consultation du CSE, désormais requise sur les informations de durabilité, s'inscrit dans un contexte de réorganisation des obligations consultatives récurrentes de cette instance, comme l’ont précisé les nouvelles dispositions du Code du travail. Ce développement appelle à une analyse approfondie des modalités d’application et des interactions entre cette nouvelle consultation et les autres consultations existantes.
I. L'intégration des enjeux de durabilité dans les obligations légales des entreprises : une nouvelle dimension du dialogue social
La directive CSRD vise à harmoniser les pratiques des entreprises de l'Union européenne en matière de reporting extra-financier, en introduisant des exigences rigoureuses quant à la publication d'informations relatives aux enjeux de durabilité. Transposée en droit français par l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023, cette directive a été intégrée dans le Code de commerce via les articles L. 232-6-3 et L. 233-28-4. Ces articles imposent aux grandes entreprises, celles dont le bilan excède 25 millions d’euros et/ou générant un chiffre d'affaires de plus de 50 millions d’euros, de publier un rapport de durabilité dans une section distincte de leur rapport de gestion annuel. Cette obligation s’étendra progressivement, entre 2025 et 2029, aux autres entreprises concernées, notamment les PME cotées et certaines entreprises non-européennes opérant sur le marché de l'Union européenne.
Le contenu du rapport de durabilité est précisé par le nouvel article R. 232-8-4 du Code de commerce et concerne l’impact des activités de l’entreprise sur les enjeux de durabilité, c'est-à-dire les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance d'entreprise (ESG). Il est également prévu que ces informations soient vérifiées par un commissaire aux comptes ou un organisme tiers indépendant, en application de l’article L. 232-6-3, III du Code de commerce, sous peine de sanctions. Ces exigences visent à renforcer la transparence des entreprises quant à leur impact sur la durabilité et à uniformiser les pratiques à l’échelle européenne.
Au-delà des obligations de publication, la directive CSRD introduit de nouvelles obligations pour les entreprises en matière de dialogue social, notamment en impliquant les représentants du personnel dans l’élaboration de ces rapports. L’article 19 bis 5 de la directive stipule que la direction de l'entreprise doit informer les représentants des travailleurs et discuter avec eux des informations pertinentes en matière de durabilité. En droit français, cette disposition a été intégrée dans le Code du travail par la modification des articles L. 2312-17 et L. 2312-25. L'article L. 2312-17 impose, à partir du 1er janvier 2025, une consultation du CSE sur les informations en matière de durabilité dans le cadre des consultations récurrentes obligatoires. Le CSE est ainsi consulté sur les informations contenues dans le rapport de durabilité, ainsi que sur les moyens de les obtenir et de les vérifier, dans la continuité de son rôle d’instance de contrôle des décisions stratégiques de l'entreprise. Cette consultation fait écho à l'article L. 2312-7 du Code du travail, qui encadre la manière dont les informations sont communiquées au CSE.
L'intégration de cette nouvelle consultation au sein du dialogue social marque une avancée dans l'implication des représentants des salariés dans les décisions stratégiques ayant des impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance. Elle confère au CSE un rôle accru dans l’appréciation des informations à caractère non financier, renforçant ainsi le lien entre les obligations de reporting et les enjeux sociaux au sein des entreprises. Cependant, l’application pratique de cette obligation soulève des questions quant au calendrier de la consultation et son articulation avec les autres consultations obligatoires.
II. Le calendrier et les modalités de la consultation du CSE : articulation avec les autres consultations obligatoires
L'introduction d'une nouvelle obligation de consultation du CSE sur les informations de durabilité impose une réflexion sur son calendrier et son articulation avec les autres consultations récurrentes. La première difficulté réside dans le choix du moment où cette consultation doit avoir lieu. L’article L. 2312-17 du Code du travail prévoit que cette consultation doit se tenir "au cours des consultations récurrentes" du CSE, sans toutefois préciser s’il s’agit de la consultation sur les orientations stratégiques, sur la situation économique et financière, ou sur la politique sociale de l'entreprise.
Trois hypothèses se dessinent quant à la temporalité de cette consultation. Une première hypothèse, consistant à organiser la consultation du CSE une fois le rapport de durabilité établi et vérifié, pourrait être perçue comme la plus simple pour les entreprises. Toutefois, cette approche soulève des doutes quant à sa conformité avec le droit en vigueur. En effet, l'article L. 2312-7 du Code du travail exige que le CSE soit consulté sur les moyens d'obtenir et de vérifier les informations de durabilité. Une consultation postérieure à la publication du rapport priverait cette obligation de tout effet utile, rendant le rôle consultatif du CSE purement formel. En outre, les articles L. 821-54, II, 2° et L. 822-24 du Code de commerce, qui imposent aux commissaires aux comptes de vérifier la consultation du CSE avant la certification du rapport de durabilité, confortent l’idée que cette consultation doit intervenir en amont de la publication du rapport.
Une deuxième hypothèse, plus conforme aux exigences légales, serait de consulter le CSE sur un projet de rapport de durabilité avant sa certification. Cela permettrait au CSE de donner un avis utile sur les informations sélectionnées par l’entreprise, tout en offrant à cette dernière la possibilité de modifier son rapport en fonction des remarques exprimées. Cette consultation intermédiaire semble être la plus compatible avec les textes de loi, tout en respectant les délais légaux imposés aux entreprises pour la publication de leur rapport de gestion.
Enfin, une troisième hypothèse consisterait à anticiper la consultation du CSE dès la phase d’élaboration du rapport, notamment dans le cadre de l'analyse de la double matérialité exigée par la directive CSRD. Cette approche, bien que plus exigeante en termes de planification, permettrait d'associer le CSE dès les premières étapes du processus, garantissant ainsi une meilleure prise en compte des enjeux de durabilité dans les décisions de l'entreprise. Toutefois, cette anticipation suppose que les entreprises concernées organisent cette consultation dès 2024, avant l’entrée en vigueur des dispositions légales prévues pour janvier 2025. Bien que cela soit envisageable, cette approche reste facultative et n’est pas imposée par les textes.
L’articulation de cette nouvelle consultation avec les autres consultations récurrentes du CSE constitue une autre source de complexité. L’article L. 2312-17 du Code du travail laisse entendre que cette consultation pourrait être intégrée aux trois grandes consultations récurrentes : sur les orientations stratégiques, la situation économique et financière, et la politique sociale. Cependant, une telle redondance risquerait d’alourdir inutilement le calendrier des consultations et d’entraîner une complexité excessive dans leur mise en œuvre. Une lecture plus pragmatique de cette disposition pourrait consister à rattacher la consultation sur la durabilité à l’une de ces trois consultations, en fonction des priorités stratégiques de l'entreprise. Il semble pertinent que l’employeur puisse choisir celle des consultations récurrentes qu’il considère la plus adéquate pour traiter des enjeux de durabilité, qu’il s’agisse de la consultation sur les orientations stratégiques, qui semble la plus naturelle pour aborder des questions transversales, ou de la politique sociale de l'entreprise.
Enfin, il convient de s’interroger sur l’application de cette nouvelle obligation dans le cadre des groupes d’entreprises. Le dernier alinéa de l’article L. 2312-17 impose la consultation du CSE des filiales, même lorsque ces dernières sont exemptées de l’obligation de publier un rapport de durabilité en raison de la publication d’un rapport consolidé par la société mère. Cette disposition vise à garantir que les filiales puissent exprimer leurs points de vue sur les enjeux de durabilité propres à leur situation, notamment en cas de divergences avec les enjeux du groupe consolidé. Cette consultation, bien que pouvant paraître redondante avec celle organisée au niveau de la société mère, reste indispensable pour assurer une représentation complète des enjeux sociaux et environnementaux au sein des groupes.
sources:
https://www.greenflex.com/actualites/csrd-definition-consequences-entreprises/
https://www-actualitesdudroit-fr.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/browse/social/irp-et-relations-collectives/45379/csrd-quand-organiser-la-nouvelle-consultation-du-cse-sur-les-enjeux-de-durabilite
https://www.cfecgc.org/actualites/directive-europeenne-csrd-les-elus-du-personnel-devront-se-former