A l’occasion de la réunion de Place qui s’est tenue le 2 juillet 2019 dénommée Climate Finance Day à la demande et en présence du Ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, les principales organisations et fédérations professionnelles représentatives de la Place financière de Paris ont annoncé, dans une déclaration commune, de nouveaux engagements en faveur de la lutte contre le changement climatique et pour contribuer à l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Cette déclaration traduit l’engagement du secteur à participer activement à la lutte contre le réchauffement climatique. C’est avant tout une reconnaissance par les acteurs de ce que les émissions de gaz à effet de serre sont une cause du réchauffement climatique, qui lui-même a des effets néfastes sur la société et l’économie. C’est dans cette optique qu’ils déclarent « nous considérons que le changement climatique génèrera des conséquences significatives sur la société humaine, l’économie mondiale, et les écosystèmes et qu’il présente une série de risques et d’opportunités pour les entreprises et les acteurs financiers auxquels ils se doivent d’apporter des réponses » .
Le contenu des engagements porte sur :

• L’incitation de ses membres à adopter une stratégie charbon, avec un calendrier global de Désengagement et à en rendre compte dans leur reporting extra-financier dès l’exercice 2020.
• La poursuite des travaux méthodologiques en collaboration avec les autorités de supervision sur l’évaluation de l’exposition des portefeuilles aux risques climatiques et sur l’alignement des portefeuilles d’investissement avec un scénario 2°C. La place de Paris veillera à favoriser la diffusion et la standardisation open source de ces méthodologies.

• Le suivi des engagements grâce à la création d’un observatoire des réalisations et des actions des Acteurs de la place financière de Paris en matière de finance verte et durable. Doté d’un comité scientifique, l’observatoire sera sous la gouvernance conjointe des principales fédérations professionnelles (AFG, FBF, FFA, France Invest) et de Finance For Tomorrow.

Cette initiative des acteurs financiers en faveur du client n’est pas une première, car déjà en juin 2016, les mêmes acteurs avaient publié une déclaration similaire.
Ce cadre a donné lieu ou du moins dans le même esprit, certains acteurs financiers ont pris des engagements au profit du climat. Pour illustrer notre propos, nous évoquons l’engagement BNP Paribas indiquant à la date du le 14 mai 2024 et l’occasion de son assemblée générale, qu’elle s’abstiendrait de participer à certains types de financements non fléchés (les émissions d’obligations conventionnelle) pour les entreprises du secteur pétro-gazier . Dans le même élan, Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole, a déclaré “nous ne participons plus à des émissions d’obligations qui ne soient pas clairement vertes, en tout cas, correspondant à notre green framework”.

Ces engagements individuels bien que témoignant d’une prise de conscience des enjeux climatiques de la part de promettant, ne sont pas exempts de critiques. En effet, selon Reclaim Finance, Ces banques doivent préciser leurs stratégies climatiques en inscrivant clairement dans leur politique climat qu'elles ne participeront pas aux financements des entreprises du secteur pétro-gazier au moyen des émissions d'obligations "non fléchées". Il est également nécessaire que les banque cessent de prêter aux développeurs de nouveaux projets pétroliers et gaziers, afin de mettre fin à toute forme de soutien à l'expansion fossile. Autrement, pour avoir plus d’impact, les banques devraient étendre leurs engagements à tous les autres instruments de financements à l’égard du secteur-pétro gazier.

Par ailleurs, l’évaluation et le suivi des engagements climatiques des acteurs de la place de Paris sont assurés conjointement par l’Autorité de Contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) et l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Pour ce faire, elle publie chaque année depuis 2020, un rapport dans lequel elles font l’état des lieux des politiques climat ainsi que de leurs niveaux de mise en œuvre dans le cadre des engagements de la place de Paris. Le dernier rapport en date est celui de 2021, dont les principales conclusions sont les suivantes :

- Les institutions financières ont mis à jour et complété leur politique « charbon » en 2020, avec, dans certains cas, un durcissement des critères et/ou seuils d’exclusion appliqués ; l’ensemble des banques et des assureurs ainsi que la plupart des grands gérants de la Place affichent désormais une date de sortie du secteur, généralement à 2030 pour les pays de l’OCDE et 2040 pour le reste du monde ; en complément, un nombre croissant d’acteurs exclut désormais aussi le financement d’entreprises du secteur développant de nouveaux projets, même si la notion de « développeurs » continue à être définie de façon hétérogène par les acteurs de la Place ;

- En revanche, les préconisations formulées en 2020 par les Autorités pour renforcer la transparence des politiques et leur comparabilité, ainsi que le suivi par les acteurs de leurs expositions sont encore peu appliquées ; de même, les stratégies de sortie, ainsi que les éventuelles étapes pour respecter les objectifs affichés, sont rarement décrites ;


- Globalement plus de deux ans après l’engagement de Place de juillet 2019 sur le charbon, si la mobilisation collective est réelle, les approches et niveaux d’ambition (tels que reflétés notamment par les critères et seuils retenus dans les politiques) restent encore hétérogènes d’un acteur à l’autre ;

- Concernant le pétrole et le gaz, les politiques, encore peu développées chez les acteurs non bancaires, se concentrent généralement sur certaines énergies non conventionnelles ; elles restent souvent imprécises et couvrent des périmètres variés ;

- L’exposition des acteurs de la Place aux entreprises liées au secteur du charbon reste très faible, sensiblement inférieure à 1 % des actifs, avec des disparités entre acteurs ; le calcul de ces expositions reste toutefois dépendant des données utilisées et des contraintes méthodologiques, que ce soit pour l’identification des entreprises liées au secteur du charbon ou pour la manière de prendre en compte le cas des entreprises dont le modèle d’affaires est diversifié (pondération des expositions selon la part estimée de l’activité liée au charbon); ces calculs ne prennent par ailleurs pas en compte les éventuelles stratégies de transition des acteurs, dimension pourtant essentielle et qui nécessite d’évaluer plus finement les expositions individuelles au secteur ;

- En ce qui concerne le calcul des expositions au pétrole et au gaz, les estimations sont encore très fragiles, en raison de l’absence d’une liste publique d’entreprises, sur le modèle de la Global Coal Exit List (GCEL) de l’ONG URGEWALD, de la complexité de la chaîne de valeur de ces secteurs, et des divergences d’appréciation entre acteurs. Sur la base des déclarations recueillies, l’exposition à ces deux énergies fossiles, ressort, en 2020, à environ 193 milliards d’euros pour les banques, et à un peu moins de 30 milliards d’euros pour les assurances. La publication prochaine de la Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) pourra permettre de nouveaux travaux.
Toutefois, tant pour le suivi des risques, que pour répondre aux futures obligations de reporting du règlement européen SFDR et de l’article 29 de la Loi Énergie et climat et aux demandes de transparence, les acteurs de la Place doivent accélérer les travaux pour pouvoir rendre compte de façon robuste et transparente de leurs expositions aux énergies fossiles, dont les énergies non conventionnelles, fondées sur des définitions communes et prenant en compte l’intégralité de la chaîne de valeur, ainsi que le périmètre d’affaire le plus large possible ;

- Les préconisations formulées en 2020 pour les politiques charbon restent donc largement valables. Elles doivent être, dans une large mesure, étendues aux autres énergies fossiles, tant pour leur contribution au réchauffement climatique, que pour répondre aux risques financiers accrus pesant sur le secteur. Les Autorités encouragent ainsi les acteurs de la Place de Paris à mettre rapidement en place des politiques robustes, transparentes et comparables portant sur toutes les énergies fossiles. Ces politiques devraient s’inspirer des leçons et des travaux menés pour le charbon, et prendre en compte les projections disponibles et les évolutions attendues en termes de niveau et de nature d’investissement dans les secteurs concernés pour pouvoir atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

On le constate, il y a une forte volonté des acteurs financiers privés à lutter contre le changement climatique et les défis sociaux. Cela se justifie par la massification des engagements volonté (acteurs internationaux ou Européens) de ceux-ci en faveur du climat. Cette position des acteurs financiers privés est non seulement à saluer, mais aussi à encourager. C’est sans doute, une étape importante dans le processus de verdissement du secteur financier.

Cependant, force est de constater que beaucoup de ces engagements restent pour le moins insuffisamment respectés, sinon très souvent restent à l’étape de promesse. Cela est dû à un ensemble de problématiques auxquelles les engagements volontaires ont toujours été confrontés.
En effet, la première préoccupation est celle du défaut du lien d’obligation juridique dans ces engagements.
En clair, par principe, un engagement volontaire n’est pas contraignant et par conséquent n’oblige pas juridiquement le déclarant, de sorte qu’il dispose d’une libre appréciation quant aux moyens et à l’opportunité d’application. Ce qui explique le non-respect de ses engagements ou un effort d’application minimale. Cette liberté d’action implique la détermination des indicateurs, des objectifs moins ambitieux et des démarches incohérentes. Ensuite, ces engagements volontaires ne disposent pas de véritables mécanismes de suivi qui puissent les challenger convenablement.

À celles énoncées déjà s’ajoutent d’autres limites comme l'hétérogénéité des méthodologies et approches qui se traduisent par une grande variabilité dans les scénarios de transition, la couverture des scopes d'émissions, les métriques utilisées et la prise en compte des mécanismes de capture/stockage de carbone et de compensation.
En outre, les niveaux d'ambition sont souvent discutables, avec un recours fréquent à des objectifs d'intensité carbone plutôt que de réduction réelle des émissions, des hypothèses trop optimistes sur les technologies de capture/stockage de carbone, et l'absence fréquente d'objectifs de réduction du financement des énergies fossiles. De plus, l'absence de mécanismes contraignants rend impossible la sanction des membres ne respectant pas leurs engagements, laissant la mise en œuvre dépendre de la "discipline de marché". Enfin, il existe une pression à la baisse sur les engagements, les membres ayant le pouvoir de réduire les objectifs jugés excessifs, ce qui conduit à l'adoption des propositions les moins contraignantes, comme l'illustre l'assouplissement récent des objectifs de la GFANZ. Enfin, on constate un manque d'alignement croissant entre ces engagements volontaires et les recommandations scientifiques, notamment celles d'organismes comme le HLEG de l’ONU.
Au regard de ce précède, il est évident que les engagements volontaires des acteurs financiers ne pourront conduire à l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone que si les pouvoirs publics y apportent leurs concours.



Sources :
- Troisième rapport commun ACPR/AMF Octobre 2022 Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place
- https://www.fbf.fr/fr/en-juillet-2019-les-acteurs-de-la-place-financiere-de-paris-representes-par-finance-for-tomorrow-et-paris-europlace-prenaient-de-nouveaux-engagements-pour-une-finance-verte-et-durable-parmi-eux-l/
- https://institutdelafinancedurable.com/actualites/les-rencontres-de-lifd-2024-les-acteurs-de-la-place-de-paris-mobilises-pour-relever-les-defis-du-financement-de-la-transition-ecologique/
- chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/rapport_2022_amf-acpr_vf_vf_002.pdf
- Glasgow Financial Alliance for Net Zero (gfanzero.com)
- Rapport GFANZ 2023
- PNUE rapport sur l’état du financement de la nature ,
- https://www.afd.fr/fr/actualites/tnfd-biodiversite-risques-finance
- Recommandations-de-la-Taskforce-on-Nature-related-Financial-