Le 28 mars 2012, la proposition du Conseil et du Parlement européen, concernant la nouvelle directive sur le contrôle des risques d’accidents majeurs impliquant des substances dangereuses (dite « Seveso III ») a été approuvée, ouvrant la voie au Conseil de l’Union pour procéder à son adoption formelle, prévue pour 2012. La troisième version remplacera la directive n° 96/82/CE du 9 décembre 1996 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses (directive « Seveso II ») en renforçant certaines mesures existantes tout en apportant quelques nouveautés à partir du 1er juin 2015, date d’entrée en vigueur du nouveau texte.

Avant d’analyser les changements prévus, revenons rapidement aux débuts de l’histoire de la directive « Seveso » avec sa version originale, la directive n° 82/501/CEE concernant les risques d’accidents majeurs de certaines activités industrielles. Son adoption fait suite à la survenance d’un accident dans une usine chimique italienne en juillet 1976, et aux lourdes conséquences environnementales (rejets de dioxine dans l’atmosphère) générées sur Seveso, une commune voisine du site. La communauté européenne alors très préoccupée par ces rejets, incita les états membres à se doter d’une politique commune en matière de prévention des risques industriels majeurs. La directive « Seveso » fut adoptée le 24 juin 1982 et depuis sa transposition en droit interne, les états membres et les exploitants doivent identifier les risques liés aux activités, les prévenir et prendre les mesures nécessaires pour y faire face dans les établissements concernés.

Afin de suivre les évolutions techniques et pour harmoniser les règles des Etats membres, des modifications de la directive sont intervenues notamment par le texte en vigueur, la directive « Seveso II » de 1996, qui a permis la prise en compte des mesures édictées en 1992 pour le classement des substances dangereuses résultant du système général harmonisé des Nations Unies (dont les orientations furent données lors du Sommet de Rio) et qui a introduit des règles plus strictes en matière d’inspection ainsi que des règles visant à améliorer l’accès des informations au public en cas d’accident. Elle concerne sur le territoire de l’Union environ 10.000 établissements (à noter que depuis l’entrée en vigueur de ce texte, on parle d’établissements et non plus d’installations). La distinction suivante fut crée : les établissements Seveso seuil haut (les plus à risques) et les établissements Seveso seuil bas, permettant ainsi de poser des règles de sécurité variables selon les deux types. La directive impose ensuite à chaque exploitant d’établissement la mise en œuvre d’un système de gestion des risques (SGS) qui doit être cohérent avec les risques potentiels liés à celui ci. La France transpose la directive « Seveso II » le 10 mai 2000 ; elle entre en vigueur en 2001.

Mis à part deux amendements apportés à la directive en 1999 le texte n’a pas évolué depuis. En 2007, les travaux d’élaboration de la directive « Seveso III » sont lancés et ils dureront 3 ans. Après une première proposition de révision de la directive « Seveso II » publiée par la Commission européenne le 21 décembre 2010, le Conseil et le Parlement sont donc parvenus au mois de mars dernier à cet accord informel.

Quelles seront les modifications apportées au texte en vigueur et pourquoi sont-elles prises ?

La nouvelle directive aura une conséquence significative sur le classement Seveso des substances dangereuses et en parallèle mettra en place un système de dérogations au niveau européen (1). L’accent est également mis sur l’amélioration de l’information, de la participation du public et de la sécurité (2). Ces deux révisions permettront une adéquation avec les dispositions du règlement CLP de 2008 et avec la convention d’Aarhus de 1998.

1) Un nouveau champ d’application avec des dérogations possibles

Un nouveau champ d’application est pris pour être en accord avec celui du règlement CLP (1.1). La directive introduit la possibilité de demander des dérogations pour les substances (1.2).

1.1 Un nouveau champ d’application plus précis aligné sur le règlement CLP

L’entrée en vigueur du règlement n° 1272/2008 dit « CLP » pour la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances et des mélanges en 2009 a rendu caduque toute l’annexe des substances comprise dans la directive « Seveso II ». Le texte devait donc être révisé. La volonté collective exprimée a été de conserver l’économie générale du régime, l’efficacité de « Seveso II » ayant été démontrée, tout en apportant des améliorations sur certains points.

L’alignement en 2015 de « Seveso » avec les dispositions du règlement « CLP » présente deux avantages : d’une part le système « CLP » applique les recommandations des Nations Unies sur le Système Global Harmonisé de classification et d’étiquetage, il fait donc une application d’un système mondialisé. D’autre part, il est beaucoup plus précis que le système actuellement en vigueur puisqu’il répertorie 16 dangers physiques précis (contre 5 pour « Seveso II ») et 10 dangers pour la santé (contre 9). Le règlement « CLP » détermine 4 catégories de dangers (contre 3 pour « Seveso II »), de la plus dangereuse à la moins dangereuse pour classer les substances. Ces nouvelles catégories ont pour effet, en plus du changement des seuils, de faire basculer des substances dans le champ d’application de la directive et d’en faire sortir d’autres. La règle générale sera que les substances classées dans les catégories (1) et (2) entraineront automatiquement un classement Seveso si les seuils sont atteints. Les exceptions sont les substances nommément désignées qui, quelque soit leur catégorie, seront Seveso. De nouveaux dangers apparaitront : « substances et mélanges auto-réactifs et peroxydes organiques » (avec un seuil d’entrée de 10 tonnes pour les Seveso seuils bas et 50 tonnes pour les seuils hauts), « solides pyrophoriques » et « aérosols inflammables ou extrêmement inflammables ».

Les substances et mélanges « très toxiques par ingestion » (catégories (1) et (2) en classement Seveso actuel) seront dans la catégorie (2) en Seveso III ainsi que les « très toxiques par inhalation brouillard » et bénéficieront d’une augmentation des tonnages avec les seuils suivants : 50 tonnes en SSB (Seveso seuil bas) et 200 tonnes en SSH (Seveso seuil haut) contre 5 tonnes SSB et 20 tonnes SSH actuellement.
Certaines substances et mélanges « toxiques par ingestion » et « toxiques par voie cutanée » passent, avec le nouveau classement, dans la catégorie (3) et donc sortent du champ d’application de Seveso. A noter que trois nouvelles substances « toxiques par voie cutanée » seront tout de même soumises à la directive puisqu’elles sont nommément désignées. Il s’agit de la pipéridine, la (2-dimethylaminoethyl (methyl) amine et de la 3-(2-ethylhexyloxy) propylamine. Les substances et mélanges classés « nocifs par inhalation vapeur » en catégorie (3) selon le nouveau classement (donc normalement en dehors du champ de « Seveso ») sont également nommément désignées.

Enfin, sept substances « toxiques par voie d’inhalation vapeur » font leur entrée dans le champ d’application de « Seveso » car sont également nommément désignées : propylamine ; tert-butyl acrylate ; 2- Methylbut-3-butenenitrile ; 3-5 Dimethyl-1,3,5,2h-tetrahydrothiadiazine-2-thione (dozomet) ; acrylate de méthyle ; 3- methylpyridine et 1-bromo-3-chloropropane.
Une seule des dispositions entrera en vigueur en 2012 dès l’adoption formelle du texte car elle aurait déjà du être appliquée : le fioul lourd bénéficiera des mêmes seuils de classement Seveso que les autres dérivés du pétrole car selon le règlement REACH, il est classé « toxique pour l’environnement ». Il a également été décidé, après proposition des pays scandinaves ayant fait l’unanimité, que les carburants de substitution aux produits dérivés du pétrole bénéficient des mêmes seuils que ces derniers, dans le but de favoriser leur essor.

Concernant la règle de cumul des substances, elle reste applicable. Pour rappel, elle a pour effet de classer en Seveso des établissements qui stockent différentes substances dangereuses mais sans dépasser les seuils qui permettent un basculement en Seveso. Cependant le basculement s’opère quand même par l’effet de cumul de toutes ces substances présentes dans un même établissement.
Suite à ce remaniement du champ d’application, il ne devrait pas y avoir beaucoup plus d’établissements concernés par la directive car même si elle s’appliquera à de nouveaux établissements, d’autres sortiront du champ d’application dans le même temps. Les premières estimations donnent environ 15% d’établissements devenant Seveso et 15% qui ne le seraient plus. La France espérait un nouveau champ d’application à peu près équivalent, ce qui est le cas, tandis que le Parlement européen voulait le voir plus important.

1.2 Création d’un système de dérogations au niveau européen

La directive instaure une nouveauté assez ambitieuse : la possibilité pour un état membre ou un exploitant (ou les deux) de saisir la Commission européenne afin d’obtenir une dérogation de l’application du régime Seveso à une substance, à condition de fournir des informations permettant de justifier la demande. De telles dérogations permettraient de tenir compte des incertitudes face à l’alignement avec le règlement « CLP » et des évolutions techniques futures.
Les informations à fournir servent à déterminer la capacité de la substance en question à provoquer des incidents majeurs dans des conditions normales ou exceptionnelles. Pour cela, l’exploitant prendra en compte notamment la forme physique de la substance, ses propriétés intrinsèques, sa concentration maximale (pour les mélanges) mais également son conditionnement et son emballage. Pour permettre à l’exploitant de réaliser cette demande, la notion d’incident majeur devra être définie dans la directive, ce qui fera prochainement l’objet de travaux au sein de la Commission.

A partir des informations obtenues, la Commission décidera soit de proposer une dérogation soit de rejeter la demande. En cas de rejet, il ne semble pas y avoir d’obligation juridique pour la Commission de notifier ses raisons mais elle le fera certainement. La procédure de dérogation se fera par codécision. En effet le Parlement européen a émis le souhait de pouvoir y participer. Dans la pratique, la Commission devrait regrouper les demandes « par vagues » afin de les présenter devant les états membres et le Parlement plus facilement. Cependant, la Commission et les états membres devront sans doute définir au regard des premières demandes réceptionnées des critères de justification plus techniques et plus chiffrés pour définir les conditions de dérogation.

Il s’est posé la question de faire coexister deux systèmes de dérogation : un au niveau européen et un au niveau national. Finalement, les états se sont accordés sur la seule existence d’un système européen afin de garantir le même traitement des demandes d’exploitants de deux états différents.

2) Amélioration de la sécurité et de l’information du public

La nouvelle directive Seveso permet un alignement du système avec la convention d’Aarhus par une amélioration de l’information et de la participation du public (2.1) et vise également une amélioration permanente de la sécurité (2.2).

2.1 Une meilleure information et participation du public : reprise des dispositions de la convention d’Aarhus

La nouvelle directive ira plus loin que ce qui avait été fait par « Seveso II » en matière d’accès à l’information du public sur la sécurité, la participation à la prise de décisions et l’accès à la justice. Le but de la révision est de s’aligner au plus près des principes de la convention d’Aarhus, adoptée deux ans après la directive « Seveso II ».

Concernant l’accès du public à l’information, un site Internet dédié devra être crée, qui permettra de fournir le nom de l’exploitant, l’activité, le régime applicable, l’inventaire simplifié des substances dangereuses présentes, la date de la dernière inspection, les informations sur le comportement à adopter en cas d’accident, et la personne à contacter pour les informations supplémentaires pour chaque site classé Seveso. Chaque citoyen disposera ainsi d’un accès direct à toutes les informations d’un site situé à proximité de son domicile. Des exceptions seront néanmoins posées puisque certaines informations pourront faire l’objet d’une clause de confidentialité, pour des raisons évidentes de protection de la propriété intellectuelle, de la défense nationale ou de la vie privée, à la demande de l’exploitant ou à l’initiative de l’autorité compétente. Il reste à ce jour à déterminer qui aura la charge de la création et de la mise à jour régulière du site (l’actualisation sera d’ailleurs obligatoire) : l’Etat ? L’exploitant ? Ce basculement au numérique présente l’avantage d’être un système d’information plus transparent mais il a également un coût certain.

En parallèle, l’obligation de mise à disposition sous format papier des informations relatives aux sites Seveso seuils haut recevant du public et susceptibles d’être touchés par un accident sera toujours obligatoire sous « Seveso III ». Pour ces établissements, il faudra en plus indiquer sur le site Internet dédié les impacts potentiels des accidents les plus importants, les principaux scénarii d’accident et les plans d’urgences externes (mesures à prendre en dehors du site). Le but étant d’informer au mieux les voisins sur les comportements à adopter en cas d’accident. Si un accident qualifié de majeur se produit, il y aura désormais une obligation d’informer les personnes susceptibles d’avoir été touchées, même si elles ne l’ont pas été et qu’elles ne se sont aperçues de rien. Les modalités de cette nouvelle communication n’ont pas été encore définies.

Pour l’accès à l’étude de dangers et l’inventaire des substances dangereuses, pas de changement : toute personne pourra faire une demande de consultation. Enfin, la directive devrait étendre la consultation du public aux avis sur l’implantation de nouveaux sites, aux modifications substantielles de l’installation, aux nouveaux aménagements sur les établissements existants et à l’élaboration ou la révision des plans d’urgence.

La nouvelle directive « Seveso III » renforce également les dispositions relatives à l’accès du public à la justice. En effet si une personne estime que ses droits n’ont pas été pris en compte lors de l’installation d’un nouveau site classé Seveso situé à proximité de son domicile, elle pourra alors agir en justice.

2.2 Un engagement d'amélioration permanente de la sécurité

Quelques nouveautés sont prévues pour les outils liés à la sécurité. Les effets en France seront mineurs car dans la pratique et les textes, ce que prévoit la directive « Seveso III » est déjà appliqué.

Certains points de la politique de prévention des risques sont repris afin d’être renforcés. Ainsi, la politique de prévention des accidents majeurs (PPAM) inclura un engagement envers une amélioration permanente et devra être actualisée tous les 5 ans, pour les établissements Seveso seuils bas (nouveauté) et haut. Pas de changements majeurs pour les systèmes de gestion de la sécurité (SGS), du moins pour la France, cependant son caractère obligatoire pour les établissements seuils bas a été longuement débattu puisque certains états membres voulaient que ceux-ci y soient soumis. La France a réussi à négocier que les dispositions d’un SGS pour les Seveso seuil bas soient inclues dans l’étude de dangers. Concernant cette dernière, les dispositions déjà existantes sont rendues plus explicites mais rien n’a été ajouté.

Les règles d’inspection sont renforcées et ainsi, des plans d’inspection devront être crées par les autorités. Les fréquences d'inspection seront fixées à 1 an pour les établissements Seveso seuil haut et 3 ans pour les seuils bas. Des règles plus sévères en cas de dysfonctionnement sont introduites puisqu’une obligation d'inspection inopinée est mise en place en cas de plainte sérieuse, suivie obligatoirement d’une contre-visite dans les 6 mois si une non-conformité majeure a été relevée lors de la première visite.
Il n’y aura pas de modifications ni de nouveautés significatives pour les plans de prévention internes (POI) mais pour les plans d’interventions externes (PPI), l’autorité compétente disposera désormais d’un délai de deux ans à compter de la réalisation de l’étude de dangers par l’exploitant pour établir son PPI.

Selon le Ministère, un premier projet de transposition sera présenté durant l'été 2012.


Sources :

- « Directive Seveso 3 : ce qui va changer » Dorothée Laperche, Actu environnement, juin 2012
- Vidéo de la réunion d’information sur SEVESO III du 29/05/2012 animée par Cédric Bourillet, site du MEDDE.