
Antennes relais : le Tribunal des Conflits tranche en faveur du juge administratif
Par Romain PLATEL-PARIS
Juriste en charge de l'environnement, securite, qualite et Marketing
PSA
Posté le: 15/06/2012 11:38
Depuis quelques années, la question de l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile en zone urbaine et périurbaines ne cesse d’agiter la jurisprudence. D’un juge administratif favorable aux opérateurs à un juge judiciaire favorisant, lui, les riverains des dites antennes, les positions sont marquées et forts divergentes, situation intenable à laquelle les six décisions du Tribunal des conflits rendues en date du 14 Mai 2012 tendent à apporter un éclaircissement. Ce sont ces décisions qui feront l’objet du présent commentaire.
Le juge judiciaire, en matière d’antennes relais, a, par le passé, rendu des décisions ayant fait date et qui visaient à interdire la mise en place ou à ordonner le démantèlement d’antennes relais en se fondant sur le maintenant fameux « principe de précaution » afin de caractériser le trouble anormal de voisinage. Ainsi dans un arrêt rendu en date du 4 Février 2009 par la Cour d’appel de Versailles et une ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance d’Angers du 5 Mars 2009, cette notion a-t-elle été avancée par le juge. Concernant cette ordonnance, le président du TGI est même allé jusqu’à citer ce principe en affirmant qu’« en l’état des incertitudes sur les caractéristiques techniques de l’installation projetée au regard des risques avérés pour la santé publique au cas de dépassement des normes actuellement en vigueur, normes dont il a été démontré qu’elles sont particulièrement laxistes et dénoncées comme telles,[…] le principe de précaution nous commande d’ordonner l’interdiction de mise en œuvre du projet d’implantation des antennes relais ».
Cependant, la suite fut moins heureuse pour le juge judiciaire, les opérateurs de téléphonie contestant de manière constante sa compétence pour décider, notamment, du démantèlement d’antennes relais, lui préférant le juge administratif bien moins favorable à l’application du principe de précaution.
La Cour de cassation saisie de six pourvois formés, indifféremment, par des particuliers ou par les opérateurs, a donc décidé que le litige présentait « à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et de nature à justifier […] de renvoyer au Tribunal des conflits la question de savoir si ce litige relève ou non de la compétence de la juridiction judiciaire ».
Deux arguments fondamentalement opposés ont été exposé au Tribunal des conflits par le biais des mémoires rendus par les parties.
Les opérateurs de téléphonie mobile ont donc conclu « à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître [des litiges] par les motifs que les antennes relais de téléphonie mobile […] constituent des ouvrages publics » ou bien qu’une « action ayant pour objet d’interdire l’installation d’antenne relais est de nature à contrarier les autorisations données par l’administration et […] doit être regardée comme concernant un litige relatif aux autorisation ou contrats comportant occupation du domaine public » ou encore que « le juge judiciaire ne saurait être compétent pour priver d’objet et d’effet l’autorisation d’implantation d’une antenne relais accordée par l’Agence nationale des fréquences ».
Les riverains des antennes relais, quant à eux, ont conclu « à ce que les juridictions de l’ordre judiciaire soient déclarées compétentes pour connaître du litige, par les motifs que le litige oppose, sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, un tiers à un service public industriel et commercial ; que l’action n’a ni pour objet ni pour effet de remettre en cause les décisions administratives autorisant les opérateurs de téléphonie mobile à occuper le domaine public hertzien » ou que « les antennes relais […] ne constituent pas des ouvrage publics » ou encore que le juge judiciaire est compétent « dès lors que la décision concernant le lieu d’implantation et ses caractéristiques techniques est exclusivement prise par l’opérateur privé ».
Le Tribunal des Conflits, pour l’ensemble de ses 6 décisions du 14 Mai 2012, a retenu la compétence du juge administratif pour toute action « aux fins d’obtenir l’interruption de l’émission, l’interdiction de l’implantation, l’enlèvement ou le déplacement d’une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages ».
Pour retenir cette compétence, le tribunal estime « que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l’Etat », par le biais notamment de l’Agence Nationale des Fréquences, établissement public administratif de l’Etat chargé de l’implantation sur le territoire national des antennes relais et dont l’accord est obligatoire pour toute décision d’implantation. Par suite, le législateur a donc « confié aux seules autorités publiques qu’il a désignées le soin de déterminer et contrôler les condition d’utilisation des fréquences […] et les modalités d’implantation des stations […] ainsi que les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu’elles émettent ».
En conséquence, le Tribunal des Conflits considère que le juge judiciaire, en statuant sur une interdiction d’émission ou d’implantation ou en exerçant un contrôle sur les impacts des fréquences sur la santé du public et bien que « les titulaires d’autorisations soient des personnes morales de droit privé », s’immisce « dans l’exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière », violant par la même le principe de la séparation des pouvoirs et outrepassant sa compétence. Il ne peut en effet en aucun cas substituer « sa propre appréciation à celle » de l’autorité administrative.
Nonobstant, le tribunal reconnaît la compétence du juge judiciaire mais uniquement pour statuer sur les litiges opposant riverains et opérateurs de téléphone mobile relativement aux demandes aux fins « d’indemnisation des dommages causés par l’implantation ou le fonctionnement d’une station […] qui n’a pas le caractère d’un ouvrage public » et aux fins « de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables ».
Le champ d’intervention du juge judiciaire se voit donc fortement contraint par le Tribunal des conflits, tribunal qui exclut donc quasi explicitement le recours par ce juge à la notion de « principe de précaution », celle-ci étant nécessairement liée à la protection de la santé publique.
Le Tribunal des conflits par ces décisions, a, de fait, clairement tranché en faveur du juge administratif en matière de contentieux relatif aux antennes relais, ce qui, dans le futur, ne jouera pas en faveur des riverains et des associations de lutte pour la sécurité sanitaire des populations exposées aux nouvelles technologies de télécommunications sans fil.