Sans grande surprise, mai 2024 a été le mois de mai le plus chaud jamais enregistré sur Terre depuis le début des relevés météorologiques. La température moyenne globale a atteint 15,91 °C, soit 0,65 °C de plus que la moyenne des trente dernières années. Ce mois est le douzième consécutif à établir un nouveau record de chaleur, selon les données du programme européen Copernicus. Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) et coauteure du sixième rapport d'évaluation du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC), souligne l'urgence de la situation : « Le climat change rapidement sous l'influence humaine et nous ne pouvons pas attendre la publication de nouveaux rapports du GIEC pour diffuser les connaissances disponibles. »

Cette tendance alarmante démontre l'impact croissant des activités humaines sur le climat. Les données de mai 2024 mettent en évidence l'accélération du réchauffement climatique et soulignent la nécessité d'agir immédiatement pour atténuer ses effets. Le constat est clair : des mesures urgentes sont indispensables pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et renforcer les politiques de transition énergétique à l'échelle mondiale. Le 5 juin, une chercheuse, accompagnée d'une cinquantaine de ses collègues, a publié une mise à jour annuelle des principaux indicateurs climatiques dans la revue Earth System Science Data. Cette mise à jour, couramment utilisée par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), révèle des tendances préoccupantes. Pour la deuxième année consécutive, cette équipe internationale a constaté une aggravation de ces indicateurs climatiques, révisant à la hausse tous les niveaux observés. Les résultats mettent en lumière l'accélération des changements climatiques et soulignent l'urgence de renforcer les efforts mondiaux pour atténuer ces effets et s'adapter aux nouvelles réalités environnementales.

1- Les indicateurs continuent leur progression.
Les concentrations des gaz à effet de serre (CO2, CH4, N2O) ont augmenté de 1,5 à 3 % en 2023 par rapport aux données les plus récentes, couvrant la période de fin 2019 à début 2020, utilisées par le GIEC dans son dernier rapport. Pierre Friedlingstein, climatologue au Laboratoire de météorologie dynamique, observe que cette augmentation montre un ralentissement par rapport aux décennies précédentes. En effet, la hausse moyenne annuelle des concentrations de gaz à effet de serre était de 1 % entre 2014 et 2023, contre 2 à 3 % par an dans les années 2000. Cependant, il souligne que ce ralentissement n'est pas suffisant pour freiner le réchauffement climatique. Les efforts actuels doivent être intensifiés pour parvenir à des réductions significatives et durables des émissions de gaz à effet de serre afin de limiter l'augmentation des températures globales. De plus, les chercheurs ont mis en lumière de nouvelles connaissances importantes et ont recommandé, par exemple, de prendre en considération les émissions de méthane (CH4) résultant de la décomposition des zones humides côtières, accentuée par les pluies extrêmes et les vagues de chaleur. Valérie Masson-Delmotte souligne que ce type de phénomène soulève une question cruciale : comment distinguer, dans l'attribution du réchauffement climatique, les émissions directement imputables aux activités humaines de celles générées par des boucles de rétroaction indirectes ?

Ces boucles de rétroaction se produisent lorsque les changements induits par le réchauffement climatique entraînent des effets secondaires qui, à leur tour, exacerbent le réchauffement. Par exemple, la décomposition accrue des zones humides sous l'effet des conditions météorologiques extrêmes libère davantage de méthane, un puissant gaz à effet de serre, créant ainsi un cercle vicieux qui aggrave le changement climatique initialement causé par l'activité humaine. L'importance de cette distinction réside dans la précision des modèles climatiques et l'élaboration de stratégies efficaces pour atténuer le changement climatique. Comprendre et quantifier ces rétroactions permettrait de mieux évaluer l'ampleur des impacts futurs et d'adapter les politiques en conséquence pour réduire les émissions globales de gaz à effet de serre. Le forçage radiatif est en hausse de 2,6 %, en grande partie en raison de trois facteurs principaux. Premièrement, les nombreux feux de forêt survenus en 2023 ont libéré des particules qui ont généré un effet aérosol, renforçant ainsi la couverture nuageuse et limitant l'énergie solaire retenue par la Terre. Toutefois, cet effet est minime comparé à l'impact cumulatif des gaz à effet de serre, qui restent les principaux contributeurs au forçage radiatif.

Deuxièmement, la réduction drastique des émissions de soufre par le transport maritime a également joué un rôle important. Depuis janvier 2020, l'Organisation maritime internationale (OMI) a imposé une nouvelle limite de la teneur en soufre dans les carburants marins, abaissant cette limite de 3,5 % à 0,5 %. Cette mesure vise à améliorer la qualité de l'air, mais elle a aussi réduit l'effet aérosol lié aux émissions de soufre, diminuant ainsi leur capacité à refléter la lumière solaire. Enfin, des chercheurs du Centre de vol spatial Goddard de la NASA ont confirmé ces observations dans une étude publiée le 30 mai dans la revue Nature Communications – Earth & Environment. Ils ont démontré que la réduction des émissions de soufre et les effets des feux de forêt ont contribué à une augmentation du forçage radiatif, malgré les mesures prises pour réduire la pollution atmosphérique. Ces éléments mettent en lumière la complexité des interactions climatiques et l'importance de prendre en compte divers facteurs pour comprendre l'évolution du climat.

2- Les températures augmentent progressivement.
Qu'en est-il de la température mondiale ? En 2023, les chercheurs estiment que la température moyenne mondiale a augmenté de 1,43 °C par rapport aux niveaux de l'ère préindustrielle. Parmi cette augmentation, au moins 1,31 °C est attribué aux activités humaines, comme les émissions de gaz à effet de serre et la déforestation. Le faible écart résiduel de 0,12 °C est principalement lié à la variabilité naturelle du climat, notamment l'événement El Niño qui touche à sa fin. Selon Aurélien Ribes, chercheur au Centre national de recherches météorologiques (CNRM) de Météo-France, cet impact reste inférieur à celui observé lors d'autres "super El Niño" à la fin du XIXe siècle ou dans les années 1970. Cette distinction entre les contributions humaines et naturelles au réchauffement global est cruciale pour comprendre et anticiper les changements climatiques. Elle permet de mieux évaluer l'ampleur de l'influence humaine et de planifier des actions pour atténuer les effets du réchauffement climatique.

Ce phénomène météorologique a conduit à une réévaluation à la hausse de l'augmentation moyenne de la température terrestre des dix dernières années. La période 2014-2023 a enregistré une hausse de 1,19°C, contre 1,14°C lors de la mise à jour précédente l'an dernier, et 1,07°C pour la décennie 2010-2019, selon le dernier rapport du GIEC. En dix ans, la température moyenne mondiale a ainsi augmenté de 0,26°C, établissant un nouveau record. De plus, la moyenne des températures maximales annuelles a également augmenté, atteignant 1,81°C pour la période 2014-2023, comparé à 1,55°C pour 2010-2019. Les projections indiquent que cette tendance à l'accélération du réchauffement ne devrait pas s'inverser dans les années à venir. Entre la réduction des particules aérosols et l'augmentation des gaz à effet de serre, la Terre continuera de se réchauffer. Selon les dernières projections annuelles de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), il y a environ une chance sur deux que la hausse de la température mondiale dépasse 1,5°C entre 2024 et 2028.

3- Réduction du budget carbone
Par conséquent, le budget carbone restant pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C se réduit considérablement. Pierre Friedlingstein souligne qu'en 2022, les émissions nettes de gaz à effet de serre ont atteint 53 gigatonnes d'équivalent dioxyde de carbone (GtCO2e), un niveau équivalent à celui de 2019. À ce rythme, avec un budget carbone restant d'au moins 200 GtCO2e, celui-ci sera épuisé d'ici 2029. La situation est aggravée par le fait que la quantité de carbone captée et stockée par les actions humaines reste faible. Un récent rapport coordonné par l'université d'Oxford sur l'élimination du CO2 indique que seulement 2 GtCO2e sont capturées chaque année grâce à des pratiques telles que l'agroforesterie, la restauration des zones humides et la protection des sols. Les experts britanniques estiment qu'il faudra capter et stocker entre 170 et 260 GtCO2e d'ici 2050 pour atteindre la neutralité carbone. Cette capture devra se faire par des méthodes conventionnelles et des technologies innovantes, comme la capture et le stockage du carbone (CCS). Ces efforts sont cruciaux pour éviter d'épuiser notre budget carbone et pour maintenir l'objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C.

Dans un récent article d'opinion paru dans la revue Science, des chercheurs de l'University College de Londres ont rappelé les engagements pris lors de la COP28 à Dubaï en décembre 2023. Ils ont souligné la promesse ferme de se retirer progressivement des énergies fossiles. Les chercheurs ont mis en avant un point crucial : les réserves actuellement exploitées en hydrocarbures sont amplement suffisantes pour répondre à la demande énergétique tout en respectant les objectifs de l'Accord de Paris. Ils ont argumenté qu'il est impératif d'éviter de lancer de nouveaux projets pétrogaziers. Ces initiatives, bien que techniquement réalisables et politiquement plus simples, ne sont pas compatibles avec les impératifs environnementaux et climatiques fixés par l'Accord de Paris. Plutôt que de se concentrer sur de nouveaux développements, les chercheurs ont préconisé la mise en œuvre de politiques visant à rationaliser et à réduire progressivement les infrastructures existantes liées aux énergies fossiles. Ce changement de cap nécessite non seulement des ajustements économiques et réglementaires mais aussi une volonté politique forte pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les chercheurs ont conclu en appelant à une transition énergétique rapide et coordonnée, mettant l'accent sur l'innovation et les investissements dans les énergies renouvelables pour assurer un avenir durable et résilient sur le plan climatique.


Sources :
[1]. Consulter l'étude 2024
https://essd.copernicus.org/articles/16/2625/2024/essd-16-2625-2024-discussion.html2.

[2]. Consulter l'étude sur les émissions de soufre
https://www.nature.com/articles/s43247-024-01442-33.

[3]. Consulter l'étude 2023
https://essd.copernicus.org/articles/15/2295/2023/4.

[4]. Télécharger le rapport de l'OMM
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-44188-rapport-omm-climat-2024-2028.pdf5.

[5]. Consulter le rapport sur l'élimination du CO2
https://static1.squarespace.com/static/633458017a1ae214f3772c76/t/665ed1e2b9d34b2bf8e17c63/1717490167773/The-State-of-Carbon-Dioxide-Removal-2Edition.pdf6.

[6]. Accéder à l'article dans Science
https://www.science.org/stoken/author-tokens/ST-1888/full