L’effectivité de la trajectoire climatique des entreprises sous le prisme de la compliance environnementale
Par Setongnon Vivien Gbewezoun
Doctorant contractuel et charg d'enseignement
Universit de Franche Comt
Posté le: 09/05/2024 9:17
Les entreprises sont tenues de communiquer au sujet du respect du devoir de vigilance (I), ce qui peut donner lieu à un contrôle de son effectivité (I). L’effectivité de ce cadre juridique est indispensable pour l’atteinte des objectifs climatiques des entreprises
I- L’affirmation de l’effectivité du respect de la trajectoire climatique par les entreprises
1- L’intérêt social et la raison d’être de l’entreprise peuvent être en adéquation avec les buts monumentaux de la compliance. Une telle compliance environnementale en droit des sociétés s’incarne dans la loi Pacte instituant la « raison d’être » et la « Société à mission ». Elle insère de nouvelles dispositions dans le code de commerce. Ainsi, aux termes de l’article 1833 : « La société est gérée dans son intérêt social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
Il s'avère donc impossible de faire abstraction des enjeux environnementaux et sociaux dans la poursuite de l’intérêt social de l’entreprise. L’article 1835 précise que : « les statuts peuvent préciser une raison d'être constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». A travers la raison d’être, l’entreprise peut s'assigner comme but, la lutte contre la corruption, la contribution à l’atteinte des objectifs climatiques, etc.
2- L’adoption de la directive CSRD[1] du 14 décembre 2020 relative à la publication d’informations en matière de durabilité définit le cadre des obligations de publication d'informations en matière de durabilité à l'égard des entreprises. Le rapport s'articule autour de la double matérialité et les trois thématiques spécifiques.[2]
Le principe de double matérialité ou de la double importance relative implique la prise en considération des risques pour l'entreprise et les incidences de l'entreprise.
La CSRD s'inspire des mécanismes internationaux de reporting en matière de durabilité, tels que :
- Global Reporting Initiative,
- International Corporate Governance Network, et
- Les principes directeurs à l'intention des entreprises de l'OCDE.
La publication des informations doit se faire conformément aux standards européens en matière de durabilité : les normes ESRS.[3]
L'ESRS E concernant l'environnement porte sur les points suivants :
- ESRS E1 : Changement climatique
- ESRS E2 : pollution
- ESRS E3 : Eau et ressources marines
- ESRS E4 : Biodiversité et écosystèmes
- ESRS E5 : Utilisation des ressources et économie circulaire
3- L’application de cette directive aux entreprises se fait de façon graduelle.
Pour le compte de cette année 2024, les entreprises remplissant deux des critères suivants devront présenter leur premier rapport de durabilité :
- plus de 500 salariés
- plus de 40 millions d'euros de chiffres d'affaires
- plus de 20 millions d'euros de total de Bilan
Pour le compte de l'année 2025, les entreprises remplissant deux des critères suivants devront présenter leur rapport de durabilité :
- plus de 250 salariés,
- plus de 40 millions d'euros de chiffres d'affaires
- plus de 20 millions d'euros de total de Bilan
A partir du 1er janvier 2026, toutes les PME cotées en bourse seront concernées par l'obligation[4]
Le décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023[5] crée l’article R232-9-4 du code commerce, précisant les informations en matière de durabilité que le rapport doit contenir.
Il s’agit principalement des éléments suivants :
- Les objectifs assortis d'échéances que s'est fixés la société en matière de durabilité et les ,progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs, y compris, s'il y a lieu, des objectifs absolus de réduction des émissions de gaz à effet de serre au moins pour 2030 et 2050
- Les politiques de la société en ce qui concerne les enjeux de durabilité ;
- La procédure de vigilance raisonnable mise en œuvre par la société concernant les enjeux de durabilité et les incidences négatives recensées dans ce cadre, le cas échéant en application de la législation de l'Union européenne
- Ces informations en matière de durabilité contiennent une déclaration indiquant si les objectifs mentionnés au 2° du I relatifs aux enjeux environnementaux reposent sur des données scientifiques probantes.
II- Le contrôle de l’effectivité de la trajectoire climatique des entreprises
Le contrôle de l’effectivité des mesures de vigilance de l’entreprise est assuré aussi bien par les organes internes de l’entreprise (A) que par des acteurs externes (B).
A- Le contrôle interne de l’entreprise
Le compliance officer a la charge du pilotage de la compliance environnementale de l’entreprise (a), il met les informations à dispositions du Comité Social et Économique qui peut exercer un droit d’alerte spécifique. (b)
a- Le compliance officer
Les statuts de la société : « précisent les modalités du suivi des objectifs sociaux environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ». Ces dispositions de l’article L210-10 -3 du code de commerce sont complétées par celles de l’article L210-12 concernant la : « mise en place d’un comité de mission distinct des organes sociaux, devant comporter au moins un salarié, est chargé exclusivement de ce suivi et présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion. Ce comité procède à tortue vérification qu’il juge opportun et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi d’exécution de la mission I ». Il s’agit d’un référent mission quand le nombre de salariés est inférieur à 50.
Le compliance officer exerce de nombreuses missions telles que :
- l’établissement de la cartographie des risques,
- la définition des procédures d'évaluations des partenaires de la société,
- la conception d’un dispositif de contrôle, et
- l'évaluation interne des mesures mises en œuvre.
Le code de conduite est la boussole de son action. Bien que généralement, son rôle soit plus visible concernant le programme de conformité et la mise en œuvre de la loi Sapin 2, il peut exercer des missions en matière de compliance environnementale.
b- Le Comité Social et Économique
La base de données économiques, sociales et environnementales est un document mis à la disposition du CSE par l'employeur d'au moins 50 salariés. Pouvant se présenter sous formes de tableaux et de rapports d'analyses, Il contient toutes les informations sur les grands axes économiques, sociaux et environnementaux de la gouvernance de l'entreprise. Il doit être mis à jour avant les consultations annuelles du CSE. Principalement réservée aux représentants du personnels, le droit d'alerte CSE peut être exercé sur information d'un salarié non titulaire ou qui se retrouve dans la situation d'un lanceur d'alerte. Ce droit d'alerte peut être exercé en cas de risque grave pour la santé publique ou l'environnement.
L'hypothèse de l'exercice de ce droit d'alerte en matière de politique environnementale en désaccord avec les objectifs environnementaux de la société est envisageable. En effet aux termes des dispositions de l'article L4133-1 du code du travail : « le travailleur alerte immédiatement l'employeur s'il estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l'établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement. »
En dehors des organes internes de l’entreprise, l’effectivité des mesures de compliance environnementale peut être appréciée par les parties prenantes externes.
B- Le contrôle externe de l’entreprise
Les organismes tiers indépendants certifient le rapport de durabilité mis à la disposition des autres parties prenantes (a) qui peuvent saisir le juge judiciaire pour un contrôle juridictionnel (b).
a- Les organismes tiers indépendants
La déclaration de performance extrafinancière, remplacée par le rapport de durabilité faisait l'objet d'une certification par un organisme tiers indépendant., il est désigné selon le cas, par le directeur général ou le président du directoire, pour une durée qui ne peut excéder six exercices, parmi les organismes accrédités à cet effet par le Comité français d'accréditation (COFRAC) ou par tout autre organisme d'accréditation signataire de l'accord de reconnaissance multilatéral établi par la coordination européenne des organismes d'accréditation[6].
Pour les sociétés à mission, l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux fait l'objet de vérification par un organisme tiers indépendant.[7] Lorsqu’un organisme tiers indépendant conclut qu’un ou plusieurs objectifs n’ont pas été respectées, le Ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux fins d'enjoindre au représentant légal de la société de supprimer la mention “Société à mission” de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société.[8]
L’article L822-1 du code de commerce créé par l’ordonnance 2023-1142 du 6 décembre 2023 transposant la directive CSRD dispose que la mission de certification des informations en matière de durabilité peut être réalisée par des auditeurs des informations en matière de durabilité exerçant au sein d'organismes tiers indépendants.
Afin de délivrer son avis, l'OTI prend connaissance des informations mentionnées et signale les informations manquantes. Il s'assure de la mise en place de processus de collecte visant à l'exhaustivité et cohérence des informations par la société. Il rend son avis modifié sur la sincérité des informations Il peut se fonder sur les bonnes pratiques professionnelles pour se prononcer concernant l'absence de certaines informations.[9]
b- L’office du juge judiciaire : le juge de la compliance
Le tribunal judiciaire assure un contrôle des outils de la compliance environnementale tout en contribuant à sa mise en œuvre par la Convention Judiciaire d’intérêt public.
La défaillance dans le cadre de l'établissement du plan de vigilance peut conduire à la mise en cause de l'entreprise par toute personne justifiant d'un intérêt à agir, après mise en demeure, de demander au juge une injonction de se mettre en conformité avec les dispositions relatives au contenu et à la publication du plan de vigilance.
Le Tribunal Judiciaire de Paris est la juridiction compétente pour connaître de ce contentieux fondé sur les articles L225-102-4 et L225-102-5 du code de commerce. Selon cette juridiction, la mise en demeure doit remplir des conditions d'effectivité (suffisamment ferme et précise) et d'efficacité (viser le bon plan de vigilance).[10] Une fois que l'action est recevable, le juge peut opérer un contrôle sur le contenu de la cartographie des risques.
Dans le jugement RG 21/15827, le tribunal judiciaire a jugé que La Poste devait reprendre sa cartographie des risques puisqu’elle avait un « très haut niveau de généralité » et manquait d'adéquation avec le plan de vigilance. La chambre 5-12 de la Cour d'Appel de Paris dédiée aux contentieux émergents est compétente pour les litiges sur le devoir de vigilance et la responsabilité écologique. Elle rendra prochainement des décisions en appel sur le contrôle de ces outils de la compliance.
La Convention Judiciaire d’Intérêt Public est un instrument qui peut contribuer à la compliance environnementale. La CJIP validée par le président du tribunal Judiciaire de Besançon le 1er juin 2023 fixe une amende de 100 000 euros d'amende pour infraction de déversement par personne morale, par imprudence ou négligence de substance nuisible dans eaux souterraines, superficielles ou de la mer. En outre, la société du groupe Lactalis s'engage à respecter un programme de mise en conformité. Cette mise en conformité comporte un caractère de compliance environnementale car elle induit un effort d'amélioration dans le cadre d'une démarche de progrès environnemental.
[1] Corporate Sustainability Reporting Directive
[2] Environnement, Social et Gouvernance)
[3] European Sustainability Reporting Standards.
[4] à l'exception des micros entreprises de moins de 10 salariés dont le total du bilan ne dépasse pas 350 000 € ou dont le montant net du chiffre d'affaires ne dépasse pas 700 000 euros
[5] pris en application de l'ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise des sociétés commerciales
[6] Article R225-105-2 du code de commerce
[7] Article L210-10-).
[8] Article L210-11
[9] Article A225-3 et A 225-2 code de commerce
[10] Panorama 2023 de l'office juridictionnel du tribunal judiciaire de paris en matière de devoir de vigilance,