
Et si le préjudice écologique était inscrit dans le code civil : proposition de loi
Par Marine BATTEZ
Juriste en Droit des Affaires et Environnement
STORENGY-GDF SUEZ
Posté le: 01/06/2012 14:21
« Art. 1382-1 - Tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à l'environnement, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La réparation du dommage à l'environnement s'effectue prioritairement en nature ». Telle est la proposition de loi présentée par M. Bruno RETAILLEAU, Sénateur, qui vise à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil. Cette loi, si elle venait à être adoptée, pourrait constituer une avancée majeure en droit de l’environnement.
En transposant la directive européenne n° 2004/35/CE du 21 avril 2004 et partant en créant, par la loi du 1er aout 2008, un régime de responsabilité environnementale, la France a permis dans une certaine mesure à ce que les atteintes à l’environnement puissent être réparées. En outre, la jurisprudence s’inscrit dans un mouvement en faveur de l’indemnisation de telles atteintes.
Si le régime de responsabilité environnementale initié par la loi de 2008 constitue une véritable avancée juridique dont les modalités sont tournées vers la prévention des dommages et la remise en état de l'environnement, son champ d’application est restreint et par conséquent son efficacité est variable. En effet, ce régime ne s’applique qu’à certains dommages subis par l'environnement et réserve seulement à certaines personnes la compétence pour agir. Schématiquement, seuls sont susceptibles d’être mis en cause « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui exerce ou contrôle effectivement, à titre professionnel, une activité économique lucrative ou non lucrative ». A l'exception des dommages causés aux espèces protégées et aux habitats naturels, seules certaines activités professionnelles, limitativement listées par l'article R. 162-1 du Code de l'environnement, sont concernées. En outre, sont uniquement concernés les dommages causés à l’environnement qui « créent un risque d'atteinte grave à la santé humaine du fait de la contamination des sols résultant de l'introduction directe ou indirecte, en surface ou dans le sol, de substances, mélanges, organismes ou micro-organismes » ; « affectent gravement l'état écologique, chimique ou quantitatif ou le potentiel écologique des eaux, à l'exception des cas prévus au VII de l'article L. 212-1 » ; « affectent gravement le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable » de certaines espèces, de leurs habitats, sites de reproduction et aires de repos ; ou encore qui « affectent les services écologiques ». Le champ d’application est d’autant plus restreint que sont notamment exclus les préjudices subis par des particuliers, dans leur personne ou leurs biens, du fait d'un dommage environnemental, les dommages dont le fait générateur est antérieur au 30 avril 2007 ou qui résultent d'une activité ayant définitivement cessé à cette date, certains dommages qui font l'objet d'un régime spécifique de responsabilité ou encore les dommages « causés par une pollution à caractère diffus, sauf si un lien de causalité entre les dommages ou leur menace et les activités des différents exploitants est établi ». Si la responsabilité est objective dans certains cas, la preuve de la faute doit être rapportée dans d’autres cas.
Si l’attrait de ce régime est fort en ce qu’il prévoit un système de prévention dans un objectif de sauvegarde de l’environnement et une réparation en nature, son champ d’application extrêmement restreint joue en sa défaveur. C’est pourquoi, parallèlement au régime spécial de responsabilité environnementale, la responsabilité civile conserve un rôle éminent. Ainsi, il n’est pas rare qu’en matière environnementale, la théorie des troubles anormaux du voisinage, la responsabilité du fait des choses ou même la responsabilité pour faute trouvent à s’appliquer. Le dommage alors réparé est traditionnellement le préjudice écologique, à savoir les conséquences subies par les personnes du fait des atteintes à l'environnement, ou par une acceptation plus récente, le préjudice écologique pur désignant les atteintes subies par l’environnement. L’exemple emblématique est celui de l’affaire du naufrage de l'Erika, la cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 30 mars 2010, ayant reconnu un « préjudice écologique résultant d'une atteinte aux actifs environnementaux non marchands, réparables par équivalent monétaire ». A noter également l’affirmation par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 8 avril 2011, d’un devoir général de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement. Il ressort ainsi de la jurisprudence, la possibilité d’une réparation de l’environnement en tant que tel. Toutefois, il ne s’agit que d’une acceptation jurisprudentielle, non formalisée dans le Code civil. Or ici, actualité à l’appui, le risque est flagrant en terme de sécurité juridique et de protection de l’environnement. Une cassation éventuelle de l’arrêt rendu par la Cour d’appel relatif au naufrage de l’Erika, ne porterait-il pas un coup à l’acceptation du préjudice écologique pur ? De plus en pratique, le juge hésite à indemniser ce type de dommage et lorsqu’il le fait, à l’image de l’affaire de l’Erika, accorde une réparation par équivalent monétaire, qui sur le plan environnemental, ne constitue pas la solution la plus optimale possible.
Face aux inconvénients que présentent le régime spécial de responsabilité environnementale et celui de droit commun, le Sénateur a proposé d’intégrer le préjudice écologique dans le droit positif en adaptant « le régime de responsabilité civile afin de donner une traduction concrète et efficace à l'indemnisation du préjudice écologique ». Son objectif : « protéger notre patrimoine naturel, qui constitue une véritable richesse, en s'assurant que les atteintes qu'il peut subir seront sanctionnées et réparées, contribue à l'attractivité de nos territoires ».
La proposition de loi a ainsi pour vocation de créer un article 1382-1 définissant le fondement juridique du préjudice écologique et la forme que doit prendre sa réparation. Cette loi, si elle venait à entrer en vigueur, donnerait non seulement un fondement légal au préjudice écologique et consacrerait le fait que la réparation du dommage à l'environnement doive s'effectuer prioritairement en nature.
Source : http://www.senat.fr/leg/ppl11-546.html