C'est une critique adressée au gouvernement alors qu'il cherche à simplifier et accélérer les procédures d'implantation pour les sites industriels. Quatre ans après l'incendie de l'usine Lubrizol près de Rouen, la Cour des comptes dresse un constat alarmant concernant le contrôle par l'État des sites industriels classés à risque pour la population et l'environnement. En 2019, l'incendie de l'entrepôt de stockage du fabricant de lubrifiants rouennais, qui s'est propagé au hangar voisin de la société Normandie logistique, n'a pas fait de victimes, mais a détruit 9 500 tonnes de substances chimiques, entraînant ainsi un renforcement de la réglementation des "installations classées pour la protection de l'environnement" (ICPE).

Dans un rapport rendu public le jeudi 1er février, la Cour des comptes examine le contrôle des 500 000 sites classés ICPE en France, dont 80 % relèvent du secteur industriel. Cependant, ce décompte reste vague pour les magistrats en raison du manque d'un "inventaire précis" des ICPE, ce qui nuit à l'efficacité du dispositif. En plus de la directive européenne Seveso de 1982, la France doit respecter des règles nationales, notamment établies après l'explosion de l'usine AZF à Toulouse en 2001 et l'incendie des sites Lubrizol-Normandie Logistique dix-huit ans plus tard. Mais "de nombreuses questions demeurent sans réponse" concernant ces plans de prévention des risques technologiques, déplore le rapport, qui souligne en particulier le manque de suivi de nombreux logements, entreprises ou bâtiments publics riverains de zones industrielles dangereuses.

En plus des risques accidentels, la Cour des comptes s'inquiète des risques "chroniques", notamment la pollution des sols ou des cours d'eau. "Les impacts sanitaires et environnementaux de ces pollutions ne sont pas suffisamment étudiés", écrivent les magistrats, rappelant que "ces pollutions sont le plus souvent découvertes à la cessation d'activité" des sites industriels concernés, et que "les moyens alloués au recensement des sites et à leur dépollution sont insuffisants"

MANQUE DE MOYENS ALLOUES AUX SERVICES D'INSPECTION

Une situation qui ne semble pas sur le point de s'améliorer, selon la Cour des comptes, alors que le gouvernement vise à simplifier les procédures administratives et juridiques pour l'implantation des usines afin d'accélérer la réindustrialisation du pays. La loi dite "industrie verte", votée en octobre 2023, cherche notamment à réduire de moitié les délais d'autorisation pour l'implantation des ICPE. De plus, le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé, le mardi 30 janvier, lors de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, le dépôt d'un "deuxième projet de loi sur l'industrie verte" au cours de l'année 2024.

Cette stratégie, visant à agir rapidement au nom de l'emploi et de la croissance, pourrait avoir des conséquences à long terme sur la santé et l'environnement. "Au cours de la dernière décennie, la volonté de simplifier et d'accélérer les procédures pour faciliter l'implantation des industries a conduit à limiter le champ de l'obligation d'étude d'impact et à rendre facultative la consultation du comité départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques", alerte la Cour des comptes.

Les magistrats soulignent également le manque de moyens alloués aux services d'inspection, qui sont "sous pression" alors que leurs missions se multiplient, notamment avec le plan industriel France 2030 qui étend les ICPE à de nouvelles installations liées au développement des énergies renouvelables notamment les éoliennes terrestres, les méthaniseurs, la filière hydrogène, et le stockage de batteries électriques. "Les augmentations d'effectifs annoncées après l'incendie de Lubrizol en 2019 peinent à se concrétiser sur le terrain", note le rapport, qui indique que les effectifs sont restés presque stables depuis 2013, entre 1 300 et 1 400 équivalents temps plein. Entre 2018 et 2022, les inspections des sites classés ont augmenté de 35,3 % – bien que le gouvernement ait fixé un objectif de 50 % – avec 19 152 inspections en 2022. Cependant, cette augmentation s'est faite au détriment des contrôles inopinés des rejets des sites industriels, qui ont baissé de 38 % sur la même période. De plus, les sites les moins à risque, relevant de la simple déclaration des industriels, ne sont presque jamais contrôlés, déplore le rapport.

Enfin, en cas de non-respect des réglementations, les sanctions judiciaires sont "rares" et les suites administratives "peu dissuasives", ajoutent les magistrats, qui encouragent la France à développer une meilleure "culture de la sécurité" alors que le changement climatique et ses catastrophes naturelles associées (feux de forêt, inondations, etc.) devraient engendrer de nouveaux risques industriels dans les décennies à venir.