
Erika: la décision prévue en septembre 2012 sera essentielle pour les préjudices écologique
Par Bo HAN
Posté le: 25/05/2012 18:11
L’avocat général de la Cour de cassation (un avocat général est un magistrat placé sous les ordres du procureur général, qui représente le ministère public devant la Cour de cassation. Il a pour tâche de réclamer l'application de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la société.) a plaidé, le jeudi le 24/05/2012 dans la matinée, pour l’annulation des procès de l’Erika.
Selon lui, ces procès se fondent essentiellement sur des lois non conformes aux conventions internationales et cela pose bien évidemment une question du droit.
« Cassation totale, sans renvoi » : c’est ce que propose réellement l’avocat général de la Cour de cassation, maître Boccon-Gibot, dans l’affaire de l’Erika.
Ce pétrolier battant pavillon maltais avait sombré en 1999 en « zone économique exclusive de 200 milles» mais géographiquement bien loin de la mer territoriale française qui se limite en 12 milles, provoquant une marée noire qui avait sinistré les côtes bretonnes et vendéennes.
En première instance comme en appel, la justice avait déclaré coupables de « pollution involontaire par hydrocarbure », Total qui avait donc été contraint de payer des amendes ainsi que des dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel, moral et environnemental subi.
L’avocat général considère que, l’accident n’ayant pas eu lieu dans les eaux territoriales françaises, les juridictions du pays sont par conséquent incompétentes pour juger cette affaire.
Cet argument a été en réalité rejeté en première instance et en appel, la justice considérant que la pollution avait atteint le territoire français et cela rend la loi française applicable de plein droit. Pour les élus des communes sinistrées aussi, la justice française est compétente, ainsi de suite l’État de pavillon de l’Erika (Malte) ne s’étant pas manifesté pour juger de l’affaire (convention Montego Bay).
« C’est un argument irrecevable », considéré par Me Boccon-Gibot, puisque la loi française n’est pas conforme aux conventions ni aux textes internationaux relatifs à la pollution maritime.
Selon l’article 55 de la Constitution de la république française, les conventions internationales régulièrement ratifiées par la France sont supérieures à la loi française.
L'avocat général considère que la loi française de 1983, sur laquelle sont fondées les poursuites après la marée noire, ne pouvait pas s'appliquer car elle n'était pas conforme aux conventions internationales signées par la France. Dans cette circonstance, l’Etat français doit faire appliquer les lois internationales.
Le problématique évoquée ensuite par l’avocat général : la condamnation de Total, porteur de la cargaison, au pénal, est contraire au droit international.
Enfin, selon Me Boccon-Gibot, le préjudice écologique n’est pas prévu par la convention sur la responsabilité civile en cas de pollution par hydrocarbure.
"Je comprends que cet avis heurte les consciences, qu'il fasse scandale", a ajouté Didier Boccon-Gibod. Il "ne tend nullement à laisser croire que le naufrage de l'Erika est un événement acceptable", a-t-il dit. Mais "pour que les fautes soient sanctionnées, il faut un texte applicable et c'est là que le bât blesse", a-t-il estimé, jugeant qu'"en termes de droit, cette procédure soulève des problèmes insolubles".
"Même l'interprétation la plus extensible ne permet pas de combler un vide juridique", a-t-il argumenté. « La cassation de la procédure, sans renvoi devant une nouvelle cour d'appel, était "la seule issue juridiquement possible" car, selon lui, la loi française de l'époque n'était pas applicable à cette affaire. "
Une vision restrictive du droit est ainsi mise en place par l’avocat général.
Ce qui se joue au-delà du droit même, c’est surtout son interprétation. Là où l’avocat général défend une vision restrictive du droit, les parties civiles appellent à une lecture moins dogmatique, arguant de la nécessité de punir cette catastrophe.
Les parties civiles sont évidemment en colère contre cette recommandation de l’avocat général et cette annulation éventuelle du procès, elles sont constituées principalement des collectivités locales touchées par la catastrophe et d’associations de défense de l’environnement, une telle décision se traduirait par « un permis de polluer en toute impunité ».
Les parties civiles avaient obtenu 200,6 millions d'euros d'indemnités, dont environ 13 millions au titre de leur préjudice écologique.
On s’inquiète de la remise en cause, voire de l’annulation pure et simple, du préjudice écologique. Pour Isabelle Thomas, présidente à la mer et au littoral du conseil régional de Bretagne, « si la Cour de cassation déclarait les tribunaux français incompétents, ce serait un déni de justice vu que Malte n’a pas poursuivi (l'armateur en justice - NDLR) ». Autre argument : le droit international ne précise pas que la justice de l’État côtier est incompétente, la France serait donc légitime à juger cette affaire.
Même si le préjudice écologique n’est pas prévu sur la responsabilité civile en cas de pollution par hydrocarbure, pour les parties civiles, la cour d’appel n’a pas indemnisé les collectivités au titre d’un « préjudice écologique », mais d’un « préjudice moral de nature écologique ».
Ce qui est important ici, ce ne sont pas les indemnités mais la jurisprudence. S’il n’y a plus de préjudice écologique, on ôte le droit à l’État côtier d’aller en justice. Or, cette menace oblige les armateurs et les affréteurs à avoir un comportement responsable. Ce serait un mauvais signe pour l’écologie.
Ce risque de l’annulation du procès remet par ailleurs spécifiquement en cause l'indemnisation du préjudice écologique.
Corinne Lepage, avocate de plusieurs communes du littoral, s'est dit "particulièrement étonnée" des conclusions de l'avocat général: "La chambre civile de la Cour de cassation a eu antérieurement une position contraire, jugeant que le principe pollueur/payeur était d'ordre public et s'imposait au reste", a-t-elle dit. La question des indemnisations ayant été traitée séparément au civil, "ça ne change rien sur le plan financier, mais ça change tout pour la jurisprudence", a-t-elle souligné. "Qui aurait après ça un intérêt économique à faire de la sécurité ?", a-t-elle dit.
La Cour de cassation devrait donner sa réponse le 25 septembre prochain sur les condamnations de Total et trois autres prévenus dans l'affaire.
Quelle que soit la décision de la Cour de cassation, Total a rappelé que les indemnisations de 171 millions d'euros qu'il a versées aux parties civiles à l'issue du premier procès en 2008 étaient "définitives".