Un fermier exploite une parcelle de terre en nature de prairie et se plaint du déversement, par temps de pluie, d’un lixiviat – liquide résiduel qui provient de l’infiltration de l’eau dans un matériau – polluant qui provient de la parcelle située en amont. Cette parcelle appartient à une société exploitant une installation classée pour la protection de l’environnement de traitement de bois pour la fabrication de poteaux et produits divers en bois.

L’agriculteur recherche alors la responsabilité de la société émettrice de la pollution sur le fondement du trouble anormal de voisinage et demande à ce que la société l’indemnise ses dommages résultants notamment des frais engendrés par le drainage de ses terres, du prix du fermage payé ainsi que du coût de la perte de fourrage.

La Cour d’appel accueille favorablement les moyens du demandeur et condamne la société pour trouble anormal de voisinage. La société se pourvoit alors en cassation.

Pour rappel, le trouble anormal de voisinage est une responsabilité objective, c'est-à-dire sans faute, d’origine jurisprudentielle. Ce fondement permet à la victime d’un trouble anormal de se voir réparer son dommage par l’auteur du trouble. Ce fondement de recherche de responsabilité civile est particulièrement intéressant en ce qu’il nécessite de la part de la victime uniquement la preuve de l’anormalité du trouble et du lien de causalité entre le trouble et le dommage qu’elle a subit.

De plus, l’auteur d’un trouble anormal de voisinage peut voir sa responsabilité engagée alors même que son activité a été autorisée de manière régulière par l’administration. Ce principe a été posé par un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation du 7 décembre 1909 (DP 1910, 1, p. 95). Ainsi, la société ne saurait s’exonérer de sa responsabilité du fait qu’elle exploite une installation classée pour la protection de l’environnement qui a été régulièrement autorisée.

En l’espèce, le demandeur démontre, par une expertise qui n’est pas contesté par le défendeur, que les ruissèlements ont une teneur anormalement élevée, et supérieure aux normes en vigueur, de nombreux métaux, particulièrement en fer, en cuivre et en chrome. La Cour d’appel caractérise le trouble anormal par le fait que les effluents ont une teneur en polluant plus élevé que la norme admise.
Dans son arrêt, la Haute cour casse l’arrêt d’appel. En effet, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision en ce qu’elle a caractérisée « l’existence d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage […] du seul constat de la supériorité aux normes tolérées ».

Cet arrêt est particulièrement éclairant sur la caractérisation de l’anormalité du trouble. En matière de trouble anormal de voisinage, la Cour de cassation a une conception extensive du fait dommageable, et donc de l’anormalité du trouble. Par exemple, elle considère comme étant un trouble anormal de voisinage un simple risque de dommage (Cass, 2ème civ, 29 mai 1996, req. 94-17012).

En l’espèce, la Haute Cour estime que la Cour d’appel n’a pas caractérisé un trouble anormal. En effet, pour la Cour de cassation, le seul fait de la supériorité des effluents aux normes ne constitue pas un trouble anormal. Aucun trouble n’est rapporté du fait de ce dépassement de normes, le fermier n’apportant pas la preuve d’un trouble de jouissance de son bien, par exemple par l’impossibilité d’exploiter sa parcelle.

On ne pourra donc que conseiller aux victimes de pollution se basant sur le trouble anormal de voisinage d’apporter, en plus de la preuve de la pollution, l’existence d’un trouble qui excède les inconvénients normaux du voisinage.