Le Conseil d’Etat a été saisi, dans le cadre de deux requêtes, par le Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel demandant le retrait de l’ordonnance n°2022-839 du 1er juin 2022 relative aux agents de l’ONF et de son décret d’application. Les dispositions qui en ont découlé donnant des prérogatives de polices administrative et judiciaire aux agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts.

Avant de statuer sur ces questions, le Conseil d’Etat a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin de déterminer si les dispositions législatives qui ont résulté de cette ordonnance sont conformes à la Constitution.

Ce dernier y a répondu par une décision du 31 mars 2023, par une décision n° 2023-1042 QPC du 31 mars 2023 – Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel.

Par suite, le Rapporteur public du Conseil d’Etat a pu rendre son avis sur l’affaire dont la Haute juridiction administrative a été initialement saisi lors d’une audience publique du 13 septembre 2023.

Deux raisonnements juridiques distincts seront ainsi exposés : celui de la décision du Conseil constitutionnel relative à la constitutionnalité des dispositions issues de l’ordonnance (I/) et celui du Rapporteur public du Conseil d’Etat relatif à la légalité de l’ordonnance et du décret d’application par rapport à la loi d’habilitation (II/).

I/ La reconnaissance de la constitutionnalité des dispositions contestées

La question à laquelle devait répondre le Conseil constitutionnel est la suivante : l’attribution légale de pouvoirs de police administrative aux agents contractuels de droit privé de l’Office national des forêts (ONF) est-elle conforme à la Constitution ?

A/ La conformité constitutionnelle de cette attribution garantie par la personnalité morale de droit public de l’ONF

Le syndicat requérant reprochait aux dispositions de l’article L. 222-6 du Code forestier, résultant donc de l’ordonnance, de permettre à l’Office national des forêts (ONF) d’employer des agents contractuels de droit privé afin d’exercer des missions de police administrative.

Elles auraient donc pour effet de déléguer à des personnes privées, des compétences de police administrative, en méconnaissance de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

A ce grief, le Conseil constitutionnel répond qu’il résulte de l’article L. 221-1 du Code forestier que l’ONF est un établissement public national placé sous la tutelle de l’Etat et que par conséquent, il doit être regardé comme étant une personne morale de droit public.

Qu’ainsi, les dispositions contestées, qui ne font que prévoir que l’ONF peut employer des agents contractuels de droit privé accomplissant pour son compte des missions de police administrative, n’ont ni pour objet ni pour effet de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative.

Par conséquent, ces dispositions sont jugées conforme à l’article 12 de la Déclaration de 1789 et à la Constitution dans son ensemble.

B/ La conformité constitutionnelle des modalités d’exercice des prérogatives de police judiciaire garantie par l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire

Les dispositions contestées, issues de l’article L. 161-4 du Code forestier, permettent à ces agents de constater, sans les rechercher, les infractions forestières prévues par le Code forestier.

En vertu de l’article L. 161-12 du même code, ils doivent transmettre les procès-verbaux (PV) qu’ils sont amenés à établir au représentant du ministère public. Dans le cas d’un défrichement illicite, ils peuvent ordonner des mesures conservatoires en vertu de l’article L. 363-4 du même code.

Une condition qu’il est important de noter à l’égard de l’exercice de ces pouvoirs de police judiciaire est que, pour exercer ces prérogatives, ils doivent nécessairement être commissionnés et assermentés.
De plus, lorsqu’ils constatent une infraction, ils sont tenus de transmettre leur PV dans les cinq jours, au Procureur de la République s’il s’agit d’un délit ou au directeur régional de l’administration chargée des forêts s’il s’agit d’une contravention et une copie à celui qui n’est pas le destinataire de l’original (article L. 161-12 du Code forestier).

Ces modalités doivent donc être regardées comme conformes à l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire prévue à l’article 66 de la Constitution.

Ce raisonnement est le même en ce qui concerne leurs modalités d’exercice de police judiciaire à l’égard du code de l’environnement et de la sécurité publique.
Suite à cette décision, s’est tenue le 13 septembre 2023, une audience publique au Conseil d’Etat lors de laquelle le Rapporteur public a exposé son avis sur l’affaire par laquelle la Haute juridiction administrative avait été saisie initialement.

II/ La conformité légale de l’ordonnance et du décret d’application relatifs aux agents de l’ONF défendue par le Rapporteur public

Son office étant de contrôler la légalité de l’ordonnance n° 2022-839 du 1er juin 2022 relative aux agents de l'ONF et celle du décret d’application n° 2022-841 du 1er juin 2022 eu égard à la loi d’habilitation autorisant le gouvernement à prendre cette ordonnance.

A/ La légalité de l’ordonnance défendue par le Rapporteur public

Il a retenu que la modification de l'article L. 161-4 du code forestier par le 2° de l'article 2 de l'ordonnance n'excédait pas les limites de l'habilitation résultant du 1° de l'article 79 de la loi ASAP, quand bien même cet article L. 161-4 concernait tant les agents de droit public de l'ONF (non concernés par l'habilitation) que les agents de droit privé, car la nouvelle rédaction se bornait à reprendre à droit constant les dispositions relatives aux agents publics.

Il a aussi relevé que l'autorisation de constater toutes les infractions forestières n'excédait pas les limites de l'habilitation, celle-ci permettant le constat de "certaines infraction".
Il a en effet considéré que l'expression "certaines infractions" devait s'entendre comme "certaines" parmi toutes les infractions possibles dans l'ensemble du droit français, et que l'intégralité des infractions forestières constituaient bien "certaines" de ces infractions.

De même, il a considéré que la possibilité pour ces agents de constater certaines autres infractions que les infractions forestières n'excédait pas les limites de l'habilitation car il ne s'agissait pas d'une compétence générale, les infractions concernées étant encadrées par d'autres textes dont le code de l'environnement.

Dans le même ordre d'idée, il a retenu que la possibilité pour ces agents de constater des infractions "dans tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété" ne constituait pas plus une compétence générale de constat de toutes infractions et n'excédait donc pas les limites de l'habilitation.

Enfin, il a considéré qu'il était possible pour l'ordonnance de modifier les dispositions des codes de l'environnement et de la santé publique, malgré la lettre de l'article d'habilitation qui mentionnait le seul Code forestier car :

- d'une part, les amendements au projet de loi ASAP révélaient la volonté du législateur de ne pas limiter les possibilités de constat aux seules infractions forestière ;

- d'autre part, les codes de l'environnement et de la santé publique n'opéraient pas de distinction entre agents de droit privé et de droit public.

L'absence de modification aurait ainsi eu pour conséquence de conférer aux agents privés de l'ONF la possibilité de rechercher les infractions, et non de seulement les constater, ce qui allait à l'encontre de l'objectif de l'ordonnance.

Enfin il a relevé que les infractions forestières étant définie dans le Code forestier, l'objectif constitutionnel de clarté et d'intelligibilité de la norme était rempli.

B/ La légalité du décret défendue par le Rapporteur public

Le rapporteur public a rappelé que le titre de la sous-section d'un code n'avait pas de portée normative et que sa modification ne saurait avoir pour conséquence de conférer aux agents de droit privé la capacité de rechercher les infractions en plus de les constater.

Il a en outre relevé que l'article R. 161-2 du Code forestier n'avait pas, par lui-même, pour effet d'habiliter les agents de droit privé à rechercher les infractions, puisqu'il se bornait à indiquer l'autorité compétente pour commissionner ces derniers.