Depuis quelques années maintenant la fusion entre la ville et les technologies du numérique semble se faire une place dans le paysage du XXIème siècle. Les villes intelligentes, ou "smart cities", sont des zones urbaines connectées qui intègrent des technologies de pointe pour améliorer la qualité de vie de leurs habitants, favoriser la durabilité environnementale, et accroître l'efficacité des services urbains. Ces initiatives visent à résoudre de nombreux défis urbains contemporains tels que la congestion routière, la pollution, la gestion de l'énergie, la sécurité, et bien plus encore. Cependant, le développement des smart cities soulève des problématiques juridiques complexes, notamment en droit administratif.

La définition de la “smart city” est encore aujourd’hui très conceptuelle et en mouvance. Dans un premier temps la “smart city” ou “ville intelligente” avait pour objectif d’irriguer la ville d’intelligence artificielle. Autrement dit, rendre la ville connectée grâce à divers processus issus de nouvelles technologies et au développement des outils numériques. L’objectif de la “smart city” est de permettre une régulation des infrastructures de la ville plus efficace, améliorer le confort et la transmission d’informations aux habitants.

Le périmètre de ce nouveau mode de gestion est large, la CNIL à essayé d’en délimiter les contours en y incluant notamment les : “ infrastructures publiques (bâtiments, mobiliers urbains, domotique, etc.), réseaux (eau, électricité, gaz, télécoms) ; transports (transports publics, routes et voitures intelligentes, covoiturage, mobilités dites douces - à vélo, à pied, etc.) ; les e-services et e-administrations.”

On trouve ainsi de parfaites illustrations de ce que pourrait être la “smart city” poussé à son paroxysme dans la culture populaire à travers de nombreux films de fiction, romans et jeux vidéo comme le titre à succès Watch Dogs® d’Ubisoft, plongeant le joueur dans la peau d’un hacker vivant dans un contexte globalisé de la “smart city”.

Cependant à cette définition certains estiment qu’il faut d’avantage remettre au centre des préoccupations les finalités de l’action publique locale et l’innovation sociale.

En effet un rapport au ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères 2018 énonçait que “dans un contexte de crise dans les relations entre États et collectivités, en France et à l’international, plus que jamais il est indispensable que les gouvernements et les élus soient attentifs aux différentes formes d’éclosion de l’innovation dans les territoires”

La smart city apparaît alors comme une ville ayant besoin de la collaboration active de ses habitants grâce la participation citoyenne pilotée par la gouvernance territoriale. Son objectif est plus global incluant les enjeux environnementaux et sociaux dans un cadre de densification numérique et technologique.

Il est ainsi pertinent de se demander : Comment les collectivités territoriales doivent recourir au droit public pour mener à bien la réalisation d’une “smart city” ?

A cet effet les collectivités territoriales disposent de plusieurs leviers plus ou moins contraignants pour le développement d’une smart city. Selon son budget et le degré d’association souhaité par la collectivité, elle peut opter pour I) la délégation de service public pour une “smart city” avec un risque maîtrisé, II) le choix du marché public pour une “smart city” sur mesure, ou bien souhaiter des méthodes plus souple en passant par III) les décrets de la commande publique de 2018/2019 et le partenariat d’innovation comme catalyseur.


I) La délégation de service public pour une “smart city” avec un risque maîtrisé

La délégation de service public permet à une collectivité la maîtrise et la gestion d’un service public en confiant son exécution à une personne publique ou privée. L’une de ses particularités est que le service est non seulement assuré par l’entreprise qui c’est vu délégué le service sur un mode de gestion privée, mais surtout au fait que le risque financier lié à l’exploitation du service est transmis à cette dernière (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux). En effet, l'entreprise va se rémunérer, en tout ou partie, par le prix payé par les usagers du service.
Cette particularité trouve d’ailleurs sa contrepartie dans la liberté offerte à la collectivité de faire appel à l’entreprise de son choix, dans le cadre d’une procédure assurant la transparence du choix. Il est aussi à noter qu’à l’expiration de la convention de délégation, l’ensemble des investissements et des biens du service devient la propriété de la commune.
Parmi les modes de délégation on retrouve la concession à l’art L1121-1 CCP “Un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix.”
Dans le cadre de la “smart city” les délégations de services publics permettent ainsi à la collectivité une maîtrise stable dans le temps et avec des risques financiers réduits. Outre lors du renouvellement du contrat, le problème de ce mode contractuel est qu’il sera difficile à la collectivité d’innover dans un tel cadre et de tenir compte de nouveaux enjeux, tels que l’accès aux données d'intérêt général, sans se placer en position de faiblesse.

II) Le choix du marché public pour une “smart city” sur mesure

L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 définit les marchés publics comme des contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs publics (l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics…) avec un ou plusieurs opérateurs économiques (personne physique/morale, publique/privée, ou tout groupement de personnes doté ou non de la personnalité morale), pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services.

Les marchés publics doivent aussi respecter trois grands principes qui sont : la liberté d'accès à la commande publique (toute personne peut avoir accès aux besoins des acheteurs) , l’égalité de traitements des candidats, (cahier des charges objectifs, interdiction de discrimination, examinations de toutes les offres faites, et la réponse aux questions doit être envoyés à tout les candidats…) et le respect de la transparence de la procèdure (transparence des principes précités, et motivation du rejet de l’offre).


Ainsi plusieurs marchés peuvent s’appliquer dans le cadre de la “smart city”. Peut on citer
Le marché de partenariat qui a pour objet “de confier à un opérateur économique ou à un groupement d'opérateurs économiques [...] la construction, [...] d'ouvrages, d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public ou à l'exercice d'une mission d'intérêt général et tout ou partie de leur financement” (Art L1111-5 CCP). Mais aussi le marché de travaux ou de fournitures (Art L1111-5 CCP) ; les marchés globaux (Art L L2171-1 CCP) qui incluent le marché de conception-réalisation (Art L2171-2 CCP), le marché sectoriel (Art L L2171-4 CCP) et le marché global de performance (Art L2171-3 CCP).

Avec le choix contractuel du marché public, la collectivité se place ainsi au coeur du processus de réalisation de la “smart city”


Quoi qu’il en soit, les contrats publics générés par une concession ou un marché public sont soumis à de lourdes et importantes procédures, dont des règles de publicité et de transparence renforcées (ex : pour la concession art L. 1411-1 à L. 1411-18 du CGCT).
La mise en place de telles procédures et investissements par les collectivités territoriales peut incontestablement apparaître comme un frein au développement de la “smart city”.
Il existe cependant des solutions plus souples de contrats publics pour répondre à cette difficulté.


III) Les décrets de la commande publique de 2018/2019 et le partenariat d’innovation comme catalyseur de la “smart city”

Comme dit précédemment la commande publique est soumise à un lourd formalisme. Cependant la marge de manœuvre des collectivités à été renforcée grâce à différents leviers législatifs et réglementaires dans une optique d’encourager l’innovation. Même s’il ne s’agit pas à proprement parler de nouveaux modes de contrat public de marché, la modification de la procédure à un impact considérable sur les possibilités offertes aux collectivités.
Tout d’abord la publication du décret 2019-1344 en décembre 2019, a modifié certaines dispositions du code de la commande publique relatives aux seuils et aux avances pour les marchés publics. Ainsi dans l’ancienne rédaction les marchés dont le montant était compris entre 25 000 et 214 000 euros étaient soumis aux règles de mise en concurrence. Mais depuis le décret le seuil minimale à été monté à 40 000 euros. Autrement dit les collectivités ne sont pas soumises à des dispositions particulières de mise en concurrence et de publicités s’il s’agit d’un marché public en dessous de 40 000 euros.
Aussi, le décret 2018-1225 a modifié la commande publique en modifiant le formalisme en faveur de l’innovation et prévoit ainsi qu’ "À titre expérimental, pour une période de trois ans à compter de l'entrée en vigueur du présent décret, les acheteurs soumis à l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée peuvent passer un marché public, y compris un marché public de défense ou de sécurité, négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables portant sur des travaux, fournitures ou services innovants, [...] et répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros hors taxes.”
Enfin le décret 2014-1097 encadre le partenariat d’innovation. Selon l’article L2172-3 CCP “Le partenariat d'innovation est un marché qui a pour objet la recherche et le développement de produits, services ou travaux innovants ainsi que l'acquisition ultérieure des produits, services ou travaux en résultant et qui répondent à un besoin ne pouvant être satisfait par l'acquisition de produits, services ou travaux déjà disponibles sur le marché.” De fait, après avoir préalablement identifié son besoin en Recherche et Développement, la collectivité va sélectionner plusieurs entreprises pour des études de faisabilité. Elle rémunère les entreprises sélectionnées pour leur travail en R&D. Ensuite et en fonction du résultat, la collectivité peut commander des prototypes aux entreprises de leur choix pour effectuer des premiers tests. Selon Eric Mourot, directeur juridique chez Espelia pour le Smart City Mag, le but pour la collectivité sera finalement de “co-construire des solutions avec les entreprises et d’affiner les besoins”. En effet le décret vise à pallier “aux difficultés structurelles des marchés de recherche et de développement qui imposaient une remise en concurrence à l’issue de la phase de R&D pour pouvoir acquérir les produits, services ou travaux innovants qui en sont le résultat”.