La nécessaire prise en compte des risques industriels dans les documents et les décisions d’utilisation du sol emporte d’importants tempéraments au principe d'indépendance des législations en matière d’urbanisme (voir notamment, DELHOSTE M.-F., Les polices administratives spéciales et le principe d'indépendance des législations, LGDJ, coll. Bibl. dr. publ., 2001, t. 214).

Pour appréhender au plus près l’affaiblissement de ce principe, il convient de dégager au préalable ce qui fait encore aujourd’hui ses manifestations s’agissant des règles applicables à la délivrance d’un permis de construire, objet de notre étude.

Aux termes de la jurisprudence du Conseil d’État :

- l'application de la législation sur les établissements classés est sans influence sur la validité du permis de construire délivré à l'industriel (CE, 17 mai 1972, Chatillon-Muller-Montupet et a., Rec. p. 372) ;
- inversement, l'annulation du permis de construire est sans influence sur la validité de la procédure d'installation classée (CE, 7 nov. 1984, Assoc. du lotissement du Parc Saint-Germain, req. n° 41987) ;
- une autorisation donnée au titre de la législation sur les installations classées ne couvre pas l'illégalité du permis de construire concernant l'établissement (CE 11 janv. 1995, Cne Loire-sur-Rhone, req. n° 112199) ;
- le permis de construire ne vaut pas autorisation d'exploitation (CE, 8 nov. 1985, Cavel, Rec., p. 318).

Affirmée explicitement par le Conseil d’Etat, la nécessaire conformité des décisions relatives à l'ouverture d'une installation classée avec les règles d'urbanisme sur l'utilisation des sols (CE, 11 oct. 1989, Assoc. de sauvegarde de Machemont, Gaz. Pal. 1990, 2, pan. dr. adm. p. 392), a cependant conduit les pouvoirs publics à diminuer la portée ainsi définie du principe d’indépendance des législations en matière d’urbanisme.

Des exigences procédurales ont en effet été instituées afin d’assurer la coordination entre la procédure d’instruction du permis de construire avec celle d’ouverture d’une installations classées y compris au stade la procédure d’enquête publique qui s’impose aux installations soumis à autorisation (voir, infra).

Les interférences entre le droit de l’urbanisme et le droit des installations classées se sont également renforcées autour de documents de planification.

Les auteurs des Plans Locaux d’Urbanisme (PLU ; voir notamment, notre étude, « Dans quelle mesure les PLU peuvent-il encadrer l’activité d’une ICPE, La lettre des juristes de l’environnement, mai 2008) ont depuis la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, l’obligation de prendre en compte les zonages et périmètre de protection des risques technologiques définis et placés sous la responsabilité du préfet au titre de la législation sur les installations classées (Voir notamment, ROCHE C., Zones de protection et mesures environnementales, JurisClasseur Géomètre expert, Fasc. 10, 2007).

Accompagne ce mouvement, le développement d’un contentieux des autorisations d’utilisation des sols délivrées aux exploitants d’ICPE ou aux pétitionnaires dont le projet de construction est situé à proximité d’une installation.

Articulé essentiellement autour de l’application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, ce contentieux, place au cœur de l’office du juge administratif, l’appréciation des risques potentiels de pollutions et de nuisances générés par une installation classée.

Précisément, sur le fondement de cette règle nationale d’urbanisme, le permis de construire délivré à une ICPE est susceptible d’être annulé par le Juge si la construction envisagée risque de porter atteinte à la salubrité et à la tranquillité publique.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, c’est par conséquent, une véritable obligation de prise en compte des risques de nuisances et de pollutions qui s’impose à l’administration lors de la délivrance d’un permis de construire lié à l’exploitation d’une ICPE.

Le contenu et la portée de cette obligation repose au plan formel sur un dispositif assurant la coordination de la procédure de délivrance d’un permis de construire avec celle de l’ouverture d’une installation classée.

Son examen constituera la première partie de cette étude.

Sera publiée prochainement, l’analyse des deux autres éléments constitutifs de cette obligation. La prise en compte des risques générés par une ICPE s’impose à l’autorité administrative au titre :

- du règlement national d’urbanisme (RNU), et, en particulier, de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme qui le compose (deuxième partie) ;

- des zonages et périmètres de risques définis essentiellement par des documents de planification qui relèvent à la fois des codes de l’urbanisme et de l’environnement (troisième partie).


I. Le dispositif de coordination en amont de la procédure d’ouverture d’une ICPE

L’institution de plusieurs règles formelles est venue garantir une meilleure coordination en amont entre les procédures d’instruction d’un permis et celle d’ouverture d’une ICPE (A/) ; le juge administratif veillant, à cet égard, à donner son plein effet à ce dispositif (B/).

A/ Un dispositif légal et réglementaire empruntant aux codes de l’urbanisme et de l’environnement

La loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement exige de « l’exploitant [qu’il adresse] sa demande d'autorisation ou sa déclaration en même temps que sa demande de permis de construire » (C. env., art. L. 512-15).

Le décret n° 77-1133 pris pour l'application de la loi du 19 juillet 1976 (art. 2), est venu préciser que « lorsque l'implantation d'une installation nécessite l'obtention d'un permis de construire, la demande d'autorisation devra être accompagnée ou complétée dans les dix jours suivant sa présentation par la justification du dépôt de la demande de permis de construire » (C. env., art. R. 512-4, 2°).

L'article R. 421-3, 2e, du code de l'urbanisme, dans sa version antérieure à la réforme du 5 janvier 2007, prévoyait de manière symétrique que : « lorsque les travaux projetés concernent une installation classée soumise à autorisation (...) en vertu de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux [ICPE], la demande de permis de construire doit être accompagnée de la justification du dépôt de la demande d'autorisation ».

Le décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007 pris pour l'application de l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme a abrogé cet article tout en confirmant la procédure de justification en l'étendant explicitement aux installations soumises à déclaration.
Désormais, aux termes de l'article R. 431-20 du code de l'urbanisme : « lorsque les travaux projetés portent sur une installation soumise à autorisation ou à déclaration (…), la demande de permis de construire doit être accompagnée de la justification du dépôt de la demande d'autorisation ou de la déclaration ».

Cette exigence a été étendue par la jurisprudence à la déclaration de construction lorsque celle-ci est exemptée de permis (TA Lyon 1er déc. 1993, Jacquond, Gaz. Pal. 1994, 2, pan. dr. adm. p. 119).

B/ La garantie jurisprudentielle de l’effectivité de ce dispositif

Le souci de garantir la pleine effectivité à ce dispositif a conduit récemment le Conseil d’Etat a juger que cette obligation de justifier du dépôt d'une demande de permis de construire à l'appui d'une demande d'autorisation n'est pas valablement respectée s'il y a classement sans suite de cette demande d'autorisation d'urbanisme pour incomplétude du dossier.

Précisément, une nouvelle demande de permis de construire déposée postérieurement à l'autorisation d'exploiter ne permet pas de régulariser la procédure, dès lors que la justification de la demande de permis de construire ne peut être appréciée, au plus tard, qu'à la date à laquelle l'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation de l'installation classée (CE, 31 mars 2008, n° 285690, Sté normande nettoiement, sera mentionnée au Lebon ; Concl. GUYOMAR M., En matière d’installations classées, la justification, par le demandeur d’une autorisation d’exploitation, du dépôt d’une de mande de permis de construire est-elle une condition de fond ou une règle de procédure ?, BJCL, n° 5/08, p. 347 ; Notes, BILLET P., Coordination entre demande de permis de construire et demande d'autorisation d'exploiter une installation classée, JCP A, n° 25, 16 Juin 2008, 2157 ; TROUILLY P., Coordination de la procédure d'instruction du permis de construire et de la procédure d'autorisation d'exploiter l'installation classée, Environnement n° 5, Mai 2008, comm. 82)

En revanche, la Haute juridiction admet qu'une nouvelle demande de permis de construire puisse être valablement déposée, dès lors que la justification du dépôt de la première demande de permis de construire était bien jointe à l'appui du dossier de demande au titre des installations classées et que la nouvelle demande de permis de construire ne s'accompagnait pas d'un changement de l'activité projetée (CE, 20 nov. 1991, n° 86095 et 87470, Pallavidino).

Sans paralyser les effets du dispositif de coordination, la Haute assemblée a estimé également que le délai de 10 jours accordé par l'article R. 512-4, 2° du code de l'environnement pour régulariser la demande au titre des installations classées, est dépourvu de caractère impératif, et son non respect ne conduit pas nécessairement à reconnaître l'illégalité de l'autorisation d'exploiter (CE, 23 mai 2001, n° 201938, Assoc. défense environnement pays arédien et Limousin, Rec. tables p. 1051).
En substance, seul compte pour le Conseil d’Etat, que la justification du dépôt de la demande de permis de construire ait été apportée avant la délivrance de cette autorisation (voir notamment, CE, 18 déc. 1996, n° 156270 et n° 156543, SA Omya et a., Rec. p. 497).

En vertu de dispositions tirées également du code de l’environnement et du code de l’urbanisme, la coordination des procédures de délivrance d’un permis de construire et d’ouverture d’une ICPE soumise à autorisation, est également assurée au stade de la clôture de l'enquête publique.

Sa portée a toutefois été réduite par l’ordonnance précitée du 8 décembre 2005 (art. 15 et 28).
II. Le dispositif de coordination en aval de la procédure d’autorisation d’une ICPE

L’examen de la portée des modifications apportée par l’ordonnance précitée du 8 décembre 2005 aux dispositions assurant la coordination des procédures de délivrance d’un permis de construire et d’ouverture d’une ICPE soumise à autorisation, au stade de la clôture de l'enquête publique (B/) sera classiquement précédé d’un rappel du cadre juridique antérieur (A/).

A/ Le cadre général du dispositif de coordination tiré du dernier alinéa de l’article 512-2 C. env. et de l’ancien R. 421-12 C. urb.

Aux termes de l’article L. 512-2 du code de l’environnement, l'autorisation d'une installation classée ne peut être accordée qu'après une enquête publique.

Pour donner force à cette exigence et afin d'empêcher que le permis de construire puisse être acquis avant la clôture de l'enquête publique, la loi n° 92-654 du 13 juillet 1992, relative au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des OGM (art. 8), a complété le dispositif de coordination des procédures tirées des codes de l’urbanisme et de l’environnement, en modifiant la loi précitée du 19 juillet 1976 par un alinéa ainsi rédigé :

« si un permis de construire a été demandé, il ne peut être accordé avant la clôture de l'enquête publique. Il ne peut être réputé accordé avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la date de clôture de l'enquête publique » (C. env., art. L. 512-2).

De manière symétrique, l’ancien article R. 421-12 du code de l'urbanisme prévoyait que :

« lorsque la demande de permis de construire concerne une installation classée soumise à autorisation, l'autorité compétente, pour statuer, fait connaître au demandeur (...) que le délai d'instruction de la demande de permis de construire court jusqu'à l'expiration du délai d'un mois suivant la date de clôture de l'enquête publique concernant l'installation classée et que le permis de construire ne pourra lui être délivré avant la clôture de ladite enquête publique (...). L'autorité compétente pour statuer avise en outre le demandeur que si aucune décision ne lui a été adressée (...) avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la date de clôture de l'enquête publique lorsqu'il s'agit d'une demande de permis de construire concernant une installation classée soumise à autorisation, la lettre de notification des délais d'instruction vaudra permis de construire et les travaux pourront être entrepris conformément au projet déposé, sous réserve du retrait, dans le délai du recours contentieux, du permis tacite au cas où il serait entaché d'illégalité ».


Les codes de l’environnement et de l’urbanisme tendent ainsi à garantir que le permis de construire soit délivré à l'issue d'un délai d'un mois suivant la clôture de l'enquête préalable de l'autorisation d'installation classée


Cette exigence est destinée à empêcher la politique dite du « fait accompli ». En effet, avant l'intervention du législateur, 60 % des installations étaient déjà réalisées ou en cours de réalisation au moment de l'enquête publique (voir, Rép. min. n° 36828 : JOAN, 22 avr. 1991, p. 1639 et Rép. min. JOAN 3 janv.1994, p. 48).

B/ La portée réduite du dispositif de coordination par l’ordonnance du 8 décembre 2005

L’ordonnance no 2005-1527 du 8 déc. 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme a modifié sensiblement la portée du dispositif de coordination en procédant à une réécriture du dernier alinéa de l’article L. 512-2 du code de l’environnement (art. 28 ; ordonnance ratifiée par L. no 2006-872 du 13 juill. 2006, art. 6-I). Il dispose désormais que :

«Si un permis de construire a été demandé, il peut être accordé mais ne peut être exécuté avant la clôture de l'enquête publique.»

De manière symétrique, le code de l'urbanisme a été amendé dans les termes suivants :

« Lorsque le projet porte sur une installation soumise à autorisation en vertu de l'article L. 512-2 du code de l'environnement, les travaux ne peuvent être entrepris avant la clôture de l'enquête publique » (Ord., art. 15, insérant un nouvel article L. 425-10 du code de l'urbanisme).

En vertu de ces nouvelles dispositions, le délai d’un mois entre la clôture de l’enquête publique et la décision d’octroi ou de refus du permis de construire une ICPE, qui s’imposait à l’autorité administrative, est donc supprimé.

En d’autres termes, le permis de construire sera délivré dans les délais de droit commun mais il ne pourra pas être exécuté avant la clôture de l'enquête publique.

Il convient de relever que, selon le nouvel article L. 425-12 du code de l’urbanisme, la suppression de ce délai s’applique également aux projets portant sur une installation nucléaire soumise à autorisation.

La lecture du « Rapport au Président de la République » relatif à cette ordonnance (JORF n°286 du 9 décembre 2005) nous donne les motifs de cette évolution du dispositif de coordination :

« … le droit actuel prévoit que le permis de construire est délivré à l’issu d’un délai d’un mois suivant la clôture de l’enquête publique préalable de l’autorisation d’installation classée, ce qui introduit souvent une ambiguïté pour les citoyens. Cette disposition a pour objet d’éviter que les travaux de construction commencent pendant l’enquête publique mais le fait de lier la délivrance du permis de construire à la fin de l’enquête, sans pour autant permettre à l’autorité compétente de prendre en compte le résultat de cette enquête, crée une ambiguïté source d’insécurité juridique et d’incompréhension. A l’avenir, le permis de construire sera délivré dans les délais de droit commun mais il ne pourra pas être exécuté avant la clôture de l’enquête publique. Cela permettra au constructeur de purger les délais de recours et de retrait pendant l’instruction de l’autorisation d’installation classée. Cette solution présente l’avantage, par rapport à la situation actuelle, de ne pas retarder les chantiers. »

Afin d’en apprécier leur portée, ces considérations doivent être lues en combinaison avec l'article L. 424-5 du code de l’urbanisme modifiée par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (art. 6, II, 3° modifiant l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005) :
« Le permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s'il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision. Passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire. »

Il en résulte que l’administration ne pourra retirer le permis de construire une ICPE au vu des résultats de l’enquête publique, que si la clôture de cette procédure intervient dans un délai de trois mois après la délivrance du permis.

Or, la pratique montre que ce délai est loin d’être la règle, mais au contraire, l’exception, puisqu’il se situe entre six et huit mois.

Dans cette hypothèse, la mise en œuvre de l’enquête publique se trouve donc privée de toute portée vis-à-vis de la règle d’urbanisme.


On relèvera en conclusion, que la législation relative à l’urbanisme commerciale assure une meilleure coordination des procédures d’autorisation d’une activité, tout en rallongeant, il est vrai, les délais de construction.

L’article L. 425-7 du code de l’urbanisme prévoit en effet que le permis de construire d’un projet d’exploitation commerciale ne peut être accordé avant l'expiration du délai de recours relatif à l’autorisation d’exploitation, et, en cas de recours, avant la décision de la commission nationale.

L’ironie veut que ce soit la même ordonnance du 8 décembre 2005 qui ait instituée ce dispositif (art. 15-II). Preuve que l’urbanisme est un sujet à géométrie variable.