I. L’accident de la centrale de Fukushima : retour sur un drame nucléaire au Japon

Le 11 mars 2011, un séisme d'une magnitude 9,1, soulève une vague qui atteint 30 mètres de haut sur certaines parties de la côte orientale japonaise et qui se répand jusqu'à dix kms à l'intérieur des terres. La vague atteint la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, située sur le littoral. Avec15 mètres de haut, elle met hors service les systèmes assurant le refroidissement des réacteurs et des piscines de stockage du combustible irradié. Cela entraine la dégradation du combustible nucléaire puis la fusion du cœur de 3 réacteurs, suivie d’explosions d’hydrogène. Il s’agissait là de la deuxième catastrophe de centrale nucléaire de l’histoire classée au niveau 7, le plus élevé sur l’échelle internationale des événements nucléaires. L’accident nucléaire de Fukushima-Daiichi est au même degré de gravité que la catastrophe de Tchernobyl en termes de rejets radioactifs selon l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire).
Depuis l’accident, près d'un million de m3 d'eau contaminée avec des substances radioactives est stocké dans un millier de citernes. Cette eau provient de la pluie, des nappes souterraines ou des injections qui étaient nécessaires pour refroidir les cœurs des réacteurs entrés en fusion après le tsunami. En 2020, les autorités japonaises annonçaient que les capacités de stockage de cette eau étaient bientôt saturées et qu’il fallait s’en débarrasser. De plus, cette étape est obligatoire avant de pouvoir décontaminer et démanteler la centrale en toute sécurité. Mais comment se débarrasser de cette eau radioactive et dangereuse en compromettant le moins possible la santé et la sécurité de l’environnement et des populations ?

II. La solution du rejet des eaux dans l’Océan

Parmi les solutions évaluées par les experts commissionnés par le gouvernement, le choix de rejeter l’eau dans la mer avait été privilégiée plutôt que de la laisser s’évaporer ou d’enfouir les citernes. Ainsi plus de 1,3 million de tonnes d’eaux radioactives (soit l’équivalent du contenu de 500 000 piscines olympiques) seraient déversées dans l’océan Pacifique. Les eaux seront progressivement relâchées (500.000 litres par jour maximum) via un tunnel sous-marin à 1km de la côte. Avant d'être déversée dans la mer, l'eau contaminée serait filtrée, traitée par un système de décontamination qui élimine les éléments radioactifs à l’exception du tritium, et diluée. Néanmoins, plusieurs pêcheurs, agriculteurs locaux et ONGs s’étaient opposé à la décision craignant les conséquences sur la biodiversité marine et les populations humaines. Certains pays voisins du Japon notamment la Chine et la Corée du Sud avaient également exprimé leurs réserves, inquiétudes voire condamnations de cette solution au vu de son impact environnemental. Mais les autorités japonaises avaient confirmé le plan en 2021. Puis le 4 juillet 2023 la solution a reçu le feu vert de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’organe de surveillance nucléaire des Nations unies. En effet, ce dernier a estimé que, malgré les inquiétudes qu’il soulève, le plan répond aux normes internationales et que l’impact sur la population et l’environnement est « négligeable ». Le mardi 22 août 2023 le Premier ministre japonais, Fumio Kishida a annoncé que le déversement des eaux radioactives dans l’Océan commencera ce jeudi 24 août 2023. Le gouvernement avait déclaré la veille avoir obtenu un « certain degré de compréhension » des pêcheurs. Mais certains d’entre eux craignent toujours des conséquences économiques d’un éventuel boycott de leurs produits par des consommateurs inquiets.

III. Les réactions internationales suscitées par le plan de rejet japonais

Le Japon a tenté de rassurer à nouveau ses citoyens ainsi que l’opinion internationale notamment ses voisins sur l’impact moindre de sa solution. Des tests seraient effectués sur l’eau de mer après le déversement. Et un responsable japonais a déclaré que les premiers résultats pourraient être disponibles au début du mois de septembre. Le pays testera également les poissons dans les eaux proches de la centrale et publiera les résultats des tests sur le site Internet du ministère de l’Agriculture. L’AIEA s’est engagée, quant à elle, à publier des données de surveillance « en temps réel et quasi réel ».
Toutes ces assurances n’ont toutefois pas suffi à effacer les doutes des pays voisins. La Chine, farouchement opposé au plan avait interdit en juillet 2023 les importations de fruits de mer provenant de dix préfectures japonaises dont Fukushima et Tokyo. Les produits issus d’autres préfectures devaient subir des tests de radioactivité. Pour Wang Wenbin porte-parole de la diplomatie chinoise « L'océan est la propriété de toute l'humanité, ce n'est pas un lieu où le Japon peut arbitrairement rejeter de l'eau contaminée ». John Lee, le chef de l’exécutif de Hongkong a également annoncé mardi que le territoire va appliquer « immédiatement » des restrictions sur des denrées provenant du Japon. Du côté sud-coréen, le gouvernement avait mené une étude qui concluait, en juillet, que le rejet d’eau aurait un impact négligeable sur ses eaux. Il a donc déclaré qu’il respecterait l’évaluation de l’AIEA. Des militants sud-coréens ont toutefois montré leur désaccord face à cette position et ont protesté à deux reprises (le 7 juillet après le rapport de l’AIEA puis le 22 août 2023 après l’annonce du Japon). Enfin s’agissant des états insulaires du Pacifique, elles sont divisées sur la question, flottant entre inquiétudes et confiance au rapport de l’AIEA. Le premier ministre fidjien a par exemple soutenu publiquement ledit rapport tout en reconnaissant que la question est controversée.
Du reste, la décision japonaise intervient au lendemain de l’adoption du Traité international de protection de la haute mer. Adopté le 19 juin 2023, ce traité a pour ambition « d’assurer la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine dans les eaux internationales ». L'enjeu du traité est ainsi d'atteindre les objectifs et les cibles liés aux océans du Programme de développement durable des Nations Unies à l'horizon 2030 et du cadre mondial pour la biodiversité établi dans la Convention de Kunming-Montréal, issu de la COP15. La question de la conformité de l’action japonaise par rapport à ces engagements et ces objectifs pourrait à l’avenir se poser très tôt. De plus, le Japon est également un pays signataire de la Convention de Montego Bay de 1994 qui réglemente le droit international maritime et fait de la Haute mer un patrimoine commun de l’humanité. Elle contient également des dispositions relatives à la protection de la biodiversité et des ressources biologiques notamment en son article 119. Un contentieux devant le Tribunal international du droit de la mer, organe créé par la convention, ne serait pas à exclure dans les années à venir.