La plus haute juridiction administrative a souvent été accusée de rendre des arrêts qui n'allaient pas dans le sens d'une meilleure protection de l'environnement. La décision du 20 septembre, rendue dans le cadre d'une demande de suspension de travaux de recalibrage d'une route départementale dans le Var, n'en fait a priori pas partie.

Le Conseil d'État y affirme que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative. Cet article prévoit que, saisi d'une demande justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne publique a porté une atteinte grave et manifestement illégale.

Il en résulte, juge le Conseil d'État, que toute personne peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article, si elle justifie qu'une telle atteinte est portée à ce droit du fait de la carence ou de l'action de l'autorité publique, « notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés ». Il appartient alors à cette personne de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier d'une mesure de sauvegarde dans le bref délai de quarante-huit heures que la loi accorde au juge pour se prononcer. Dans tous les cas, ajoute le Conseil d'État, l'intervention du juge des référés est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre « utilement et à très brefs délais » les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu de ce délai, le juge doit aussi tenir compte des moyens dont dispose l'autorité administrative et des mesures qu'elle a déjà prises.

En l'espèce, les requérants estimaient que les travaux portaient atteinte de manière irréversible à des espèces protégées et entraînaient la destruction de leur habitat. Le Conseil d'État rejette la demande de suspension. D'une part, il estime que la condition d'urgence n'est pas remplie dans la mesure où les travaux avaient fait l'objet d'une déclaration au titre de la loi sur l'eau et d'une autorisation de défrichement que les requérants n'avaient pas contestées. D'autre part, il estime que la poursuite des travaux ne porterait pas « une atteinte grave et manifestement illégale » à leur droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Pour l'affirmer, il relève que la sensibilité du milieu naturel au projet est modérée, qu'aucun enjeu de conservation notable n'a été identifié et que le préfet a dispensé le projet d'étude d'impact, compte tenu de la nature et de l'ampleur limitée des travaux.

Certains commentateurs jugent cette décision de grande importance. Elle fait suite à celle du Conseil constitutionnel en date du 31 janvier 2020. Il découle du préambule de la Charte de l'environnement, avaient affirmé les Sages dans cette dernière, que « la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ». Les gardiens de la Constitution ont rendu, le 12 août dernier, une autre décision marquante en la matière. « Il résulte du préambule de la Charte de l'environnement que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins », affirmaient les Sages.

Cette décision du Conseil d'État correspond, par ailleurs, à l'une des préconisations de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le référé spécial environnemental, qui avait publié ses travaux en mars 2021. Les députées Naïma Moutchouc et Cécile Untermaier y suggéraient d'intégrer formellement les droits prévus par la Charte de l'environnement, en particulier le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la santé, dans le champ du référé-liberté.

Le maître de conférences en droit à l'université de Toulouse, Julien Bétaille, relativise toutefois la portée de cette décision. « La nouveauté, ici, ce n'est pas que le droit à l'environnement soit une liberté fondamentale, mais seulement que le Conseil d'État veuille bien le reconnaître, cinquante ans après la Déclaration de Stockholm, presque vingt-cinq ans après la Cour européenne des droits de l'homme, dix-sept ans après la Constitution et le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne », réagit le spécialiste du droit de l'environnement, sur Twitter. Pour celui-ci, le Conseil d'État ne fait que rattraper son retard en mettant en cohérence sa jurisprudence avec l'ordre juridique.

S'agit-il d'une révolution pratique pour le contentieux de l'environnement ? « Impossible à prédire pour le moment, mais il faut garder à l'esprit que les conditions du référé-liberté sont strictes », rappelle le docteur en droit public, qui souligne les avancées possibles en matière de protection des espèces. « Mais cela reste à confirmer, les associations ne vont certainement pas tarder à soumettre cela au juge administratif », projette le juriste.