
La responsabilité du maître de l’ouvrage face au défaut de performance énergétique
Par Joy TOURET
Avocat
Posté le: 19/09/2011 0:38
La technique permettant d’attribuer l’origine du dommage au maître de l’ouvrage est encadrée dans deux mécanismes juridiques distincts : l’immixtion fautive (1) et l’acceptation délibérée des risques (2). Qu’en est-il son utilisation(3)?
1. L’immixtion fautive du maître d’ouvrage
L’immixtion est la première modalité d ‘exonération des constructeurs appliquée par la jurisprudence. Elle se caractérise par deux conditions, un comportement totalement unilatéral du maître prenant la forme d’un acte positif accompagné d’une une compétence notoire du maître d’ouvrage
L’immixtion entraine l’exonération ou le partage de la responsabilité du constructeur.
Toutefois, l’interprétation de la jurisprudence est restrictive puisque la compétence notoire n’est retenue que dans deux hypothèses :
- Celle où le maître d’ouvrage possède de par sa structure interne une compétence technique en matière de construction équivalente, voire supérieure, à celle des constructeurs, notamment grâce à des services techniques développés.
- Celle, où le maître d’ouvrage entraîne les constructeurs à travailler dans un secteur spécifique dans lequel il possède une compétence particulière pour apprécier la conception de son projet affecté à une destination précise.
L’immixtion est d’ailleurs rarement plaidée, compte tenu de la montée en puissance de la prise de risque.
2. L’acceptation délibérée des risques
L’acceptation délibérée des risques est aujourd‘hui fréquemment soulevée par les constructeurs. Ce mécanisme est différent de l’immixtion dans le sens où elle n’exige aucune compétence notoire du maître de l’ouvrage, ce qui élargit bien sûr son champ d’application.
Un maître d’ouvrage peut ainsi se voir reprocher d’avoir pris certains risques en toute connaissance de cause, même s’il n’a pas de compétence technique particulière en matière de construction.
La Cour de cassation a ainsi considéré en 1995 qu’il n’était « pas très honnête de faire supporter intégralement aux constructeurs le coût des réparations consécutives aux désordres qui ne pouvaient manquer de survenir compte tenu des contraintes budgétaires imposées… peu respectueuses des normes qui s’imposent à tous.
Néanmoins, pour considérer que la faute du maître d’ouvrage exonère les constructeurs de tout ou partie de leurs responsabilités, la prise de risque suppose qu’un conseil ait été donné et que ce conseil ait été refusé.
La jurisprudence est, de ce point de vue intransigeante puisqu’elle exige de la part des constructeurs, une mise en garde du maître d’ouvrage « en des termes particulièrement précis informant clairement des risques encourus dans toute leur ampleur et leurs conséquences » pour caractériser l’entière responsabilité du maître de l’ouvrage.
Il est important de préciser que ce conseil n’est pas conditionné à une demande formelle du maître de l’ouvrage; mais que le conseil donné doit être explicitement refusé. Comme le souligne le Professeur Hugues Marquet- Périnet, le maître d’ouvrage bien que dûment averti de tous les risques qu’il prend, doit décider de passer outre et de « préserver dans ses errements ».
A noter que cette exonération de responsabilité profite à TOUS les constructeurs même s’ils n’ont pas personnellement donné le conseil qui a été refusé.
Cette décharge de responsabilité entraîne aussi des conséquences pour les assureurs de responsabilité qui n’auront pas à supporter l’éventuelle action directe du maître.
3. Vers une utilisation anormale du maître de l’ouvrage
En effet, si la faute du maître de l’ouvrage est généralement recherchée pendant la période de construction, certains arrêts admettent aussi la faute postérieure à la construction c’est à dire rattachée à « l’utilisation anormale de l’immeuble ».
C’est ainsi que certains arrêts mettent en exergue l’évidence selon laquelle la réduction de la consommation énergétique dépend aussi de l’usage de l’occupant.
De plus, la loi « Grenelle 2 » met également des obligations à la charge du propriétaire. Celui-ci a tout d’abord l’obligation de savoir, celle de connaître l’état énergétique de son bien et cette connaissance passe par l’expertise d’un professionnel compétent et indépendant. Le diagnostic de performance devient ainsi un instrument d’incitation efficace pour limiter sa responsabilité.
Ainsi, toute la difficulté réside dans la preuve de ce « comportement anormal ». Il est difficile d’envisager la prise en charge par les constructeurs d’un devoir de conseil relatif à « l’instruction écologique » des usagers. La notion de performance, qui suppose une approche dans la durée et confrontée à l’usage, suscitera sans doute un développement du contentieux sur ce point.
Enfin, qu’en est-il de l’argument de l’innovation technologique ?
Le Grenelle impose de nouvelles techniques, de nouveaux matériaux et donc de nouveaux risques. Or, le « risque du développement » a bien été admis comme cause d’exonération dans le très spécifique régime de la responsabilité des produits défectueux, codifiée à l’article 1386-11 du Code civil. Aucune faute ne peut alors être reprochée au producteur.
Néanmoins, en matière de construction, le risque du développement n’est pas admis. La jurisprudence est en effet constante et ne permet pas d’exonération en raison de l’utilisation de matériaux innovants ou de techniques mal connus.