
Des nouveaux engagements contractuels pour inciter la diminution de la consommation énergétique
Par Joy TOURET
Avocat
Posté le: 19/09/2011 0:32
La loi « Grenelle 2 » utilise la technique de l’instrumentalisation des contrats de droit privé au bénéfice d’une cause d’intérêt général, avec la création de l’annexe environnementale (1) et du contrat de performance énergétique (1).
1. La naissance du bail vert
L’article 8 de la loi « Grenelle 2 »a introduit dans le Code de l’environnement un article L. 125-9, obligeant les parties à ajouter au bail portant sur des bureaux ou des commerces de plus de 2000 mètres carrés une annexe environnementale, qui pourra mettre à la charge des preneurs des obligations de limitation de la consommation énergétique des locaux concernés.
A titre de précision, la loi parle d’annexe environnementale tandis que la pratique parle couramment de bail vert. Il s’agit-là d’une commodité de langage, emprunté au « green lease » qui serait né en Australie. L’annexe environnementale ou annexe verte est un accord contractuel visant à maintenir ou à améliorer les performances environnementales de l’immeuble loué.
Cet article vient ainsi placer le bail, contrat de droit privé, au service de la poursuite de l’objectif de développement durable visant à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs (article L. 110-1 du Code de l’environnement).
On s’intéressera au champ d’application (1.1) du nouvel article L. 125-9 et aux obligations (1.2) qu’il institue.
1.1 Le champ d’application de l’annexe environnementale
L’article 8 de la loi « Grenelle 2 » fait désormais obligation aux parties signataires d’un bail ou d’un renouvellement de bail « portant sur des locaux de plus de 2000m² à usage de bureaux ou de commerces» de comporter une annexe environnementale (article L. 125-9, alinéa 1 du Code de l’environnement).
Cette obligation ne concerne que les bureaux et les commerces, mais tous les bureaux et les commerces. Elle ne concerne donc pas les immeubles résidentiels ni les entrepôts, usines, locaux d’activités ou autres bâtiments d’une nature particulière, mais tous les bureaux sont concernés : bureaux commerciaux, administratifs ou civils.
De la même façon, tous les commerces entrent dans le champ d’application de cette obligation, qu’ils soient en pied d’immeuble ou dans les centres commerciaux, par exemple.
Toutefois, en ce qui concerne les commerces, le seuil de plus de 2000m² apporté à l’obligation de conclure une annexe verte, va exclure l’écrasante majorité de ceux-ci du champ de l’obligation nouvelle.
A titre d’illustration, une enquête de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Paris a démontré que 97% des commerces de l’agglomération parisienne étaient d’une surface inférieure à 300m² !
De plus, en l’absence d’une définition légale de la notion de commerce, il subsistera inévitablement quelques zones d’ombre. Ainsi, peut-on par exemple se demander si les hôtels sont des commerces au sens du nouvel article L. 125-9 du Code de l’environnement. En outre, l’obligation d’annexe verte s’apprécie au regard des locaux loués et non pas au regard du type d’immeubles, ce qui conduira à avoir dans un immeuble important des baux relevant de cette obligation et d’autres qui n’y seront pas assujettis.
Toutefois pour les locaux concernés, l’article L. 125-9 in fine du Code de l’environnement précise que cette obligation s’applique dès le 1er janvier 2012 aux baux conclus ou renouvelés à partir de cette date.
Ses dispositions prendront effet trois ans après l’entrée en vigueur de la loi (soit le 14 juillet 2013) pour les baux en cours. Pour ces derniers, la loi institue donc la possibilité pour les bailleurs de modifier les contrats en cours, en ajoutant des obligations aux locataires sans contrepartie.
S’agissant des baux renouvelés, les parties ne pourront donc pas se prévaloir de la règle qui, en matière de bail commercial, interdit (sauf accord des parties) de modifier le bail initial à l’occasion de son renouvellement.
Enfin, si le caractère restrictif apporté au champ d’application du bail vert ne favorisera sans doute pas son développement, son utilité conduira les grands acteurs ainsi que toutes les entreprises engagées dans des objectifs RSE à l’aborder volontairement si la loi ne leur impose pas.
1.2 Un partage des tâches
L’article L. 125-9, alinéa 2 du Code de l’environnement oblige en premier lieu les deux parties à se communiquer « mutuellement toutes informations utiles relatives aux consommations énergétiques des locaux loués ».
Chaque partie devra donc relever les consommations dont elle supporte le coût, et ce, en fonction des consommations mises contractuellement à la charge de l’une ou de l’autre. En effet, la législation spéciale relative au bail commercial (articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce) ne comporte pas de disposition spécifique aux charges et aux réparations, les règles du Code civil ayant vocation à s’appliquer.
Toutefois, celles-ci sont d’application supplétive de la volonté des parties, et la plupart des baux commerciaux répartissent les charges entre le bailleur et le preneur de façon originale. Les baux commerciaux peuvent ainsi instituer une règle de répartition des charges inspirée de celle, légale, applicable aux baux d’habitation (article 23 de la loi du 6 juillet 1989, article L. 442-3 du Code de la construction et de l’habitation pour le logement social). Ils peuvent tout aussi bien stipuler que le preneur supporte l’intégralité des charges.
Par ailleurs, chaque partie devant communiquer « toutes informations utiles », on peut penser que l’information mutuelle portera sur des éléments autres que les seules consommations. Notamment, le bailleur pourrait se voir exiger de transmettre un diagnostic de la performance des locaux loués du point de vue énergétique. Le preneur pourrait pour sa part se voir obligé à justifier de la performance énergétique des équipements qu’il aurait fait installer sous sa responsabilité (appareils de refroidissement, chauffages individuels, ventilation etc.).
En deuxième lieu, l’alinéa 3 de l’article L. 125-9 du Code de l’environnement dispose néanmoins que : « l’annexe environnementale peut prévoir les obligations qui s'imposent aux preneurs pour limiter la consommation énergétique des locaux concernés ».
Cela devrait donc conduire, à terme, à des dispositions relatives notamment à des engagements de consommation raisonnée des éclairages, des systèmes de climatisation, de chauffage et d’eau, ainsi qu’aux modalités de transport des salariés du locataire.
Il va de soi, puisqu’il s’agit de contrats de droit privé à titre onéreux, que les locataires exigeront des contreparties à ces engagements. Encore faut-il apprécier ceci en fonction des marchés spécifiques immobiliers.
On peut ainsi penser que les grands utilisateurs de surfaces de bureaux sauront peser dans les négociations avec les bailleurs pour imposer que la logique de progrès environnementale soit supportée à frais partagés. En revanche, cette négociation semble moins évidente pour les locataires de commerce, notamment ceux portant sur des locaux dépendant d’un centre commercial, imposant fréquemment aux locataires un loyer net de charges non négociable.
Les pouvoirs publics espèrent quant à eux engager les propriétaires et les utilisateurs dans un dispositif « gagnant-gagnant », les économies d’énergie étant censées être partagées entre les propriétaires et les locataires, toute ambigüité sur le niveau des loyers et des charges étant donc en théorie levée.
Les précédents constitués par le dossier de diagnostic technique dans le domaine sanitaire, et par l’article L. 514-20 du Code de l’environnement dans le domaine environnemental fournissent une base utile de réflexion sur le texte nouveau. Force est ainsi de constater, comme le remarque M. Bruno Wertenschlag, que l’obligation faite d’annexer des diagnostics sanitaires aux actes de vente et de location a contribué au développement d’une culture de la sécurité dans le domaine immobilier.
Cependant, la grande différence réside dans le fait que l’article L. 514-20 in fine du Code de l’environnement prévoit une réelle sanction, contrairement au nouvel article L. 125-9 ne prévoyant aucune sanction civile ni pénale.
Dans ce sens, certains auteurs proposent que les praticiens puissent s’inspirer du « contrat de partenariat de performance énergétique » établi par la Mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat (MAPPP), selon lequel le partenaire s’engage à obtenir une économie d’énergie sur un niveau de service donné (la « garantie de performance »).
Seulement, à la différence du contrat de performance énergétique, l’objet du bail n’est pas de réaliser des économies d’énergie…
2. Le contrat de performance énergétique
Le contrat de performance énergétique (CPE) est défini par l’article 1 de la Directive 2006/32/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2005 comme « un accord contractuel entre le bénéficiaire et le fournisseur ou prestataire sur une mesure visant à améliorer l’efficacité énergétique, selon lequel des investissements dans cette mesure sont consentis afin de parvenir à un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique contractuellement défini ».
Selon, le Commissariat général au développement durable, le CPE n’est pas un mode contractuel supplémentaire, il utilise les modes contractuels existants en les caractérisant pour leur conférer la dimension « amélioration de l’efficacité énergétique avec garantie de résultat dans la durée ».
Actuellement, le paysage des CPE est dominé par le développement des premiers contrats conclus qui portent sur des bâtiments publics et ont emprunté la forme des contrats de partenariat. Or, s’il existe de nombreux autres modèles de CPE (2.1), leur mécanisme reste identique (2.2).
2.1 Les différents contrats de performance énergétique
Le rapport de M. Olivier Ortega chargé de formuler des propositions pour faciliter le développement du CPE, a été remis au ministre de l’écologie et du développement durable le 11 mars 2011. Ce rapport fait notamment ressortir trois grandes familles de contrats de performance énergétique.
La première famille de CPE regroupe les contrats portant sur les équipements énergétiques, les équipements de gestion et leur maintenance. Ce sont des contrats mixtes portant sur des fournitures et des services. Ils supposent, selon le besoin, des investissements assez modérés par rapport aux CPE ayant fait l’objet des contrats de partenariat actuellement conclus.
Leur horizon est donc logiquement plus court et peut varier, selon le cas, de quatre à dix ans. Ces contrats prétendent à parvenir à des baisses de consommations d’énergie de 15% à 20% environ. Les premières expériences, y compris celles conduites à l’étranger, font ressortir que ces contrats peuvent s’autofinancer : les économies de charges réalisées sur a période contractuelle peuvent couvrir le coût du contrat pour le maitre d’ouvrage.
Ces contrats, en ce qu’ils ne touchent pas à la structure du bâtiment, pourront même être conclus par les utilisateurs eux-mêmes sur les parties privatives et pour la durée de leur bail, dans les immeubles à usage tertiaire.
Une seconde famille de CPE peut rassembler les contrats portant sur des travaux tels que l’isolation du bâtiment. Ces contrats qui n’excluent pas une part de fournitures ou de services, appellent donc, pour la plupart, des investissements lourds qui ne pourront pas être portés sur une durée courte et conduiront, souvent, à un financement résiduel à la charge du maître de l’ouvrage.
Ainsi ces CPE n’ont pas structurellement vocation à s’autofinancer par les économies de charges qu’ils génèrent. Pour autant, ces contrats permettent de réaliser des économies de charges, dans la perspective de l’objectif de réduction de la consommation d’énergie de 38% d’ici 2020.
La dernière famille serait celle des contrats globaux plus complexes – tant dans leur conception que dans leur conclusion– intégrant les dimensions précédentes et portant plutôt sur des parcs de bâtiments que sur des bâtiments pris isolément, avec une ambition de réduction de charges forte permettant d’atteindre une baisse de 40%.
2.2. Le fonctionnement du CPE
Dans tous les cas, le contrat nécessite avant tout, un audit préalable, réalisé par le maître de l’ouvrage assisté d’un bureau d’étude, permettant de définir les besoins et les actions à mettre en œuvre, c’est-à-dire le périmètre du CPE.
Puis, dans un second temps, la société de services énergétiques (S2E) identifie et conçoit les projets d’amélioration de la performance énergétique : équipement, isolation, comportement des utilisateurs, gestion énergétique...
La S2E a généralement pour rôle, en plus de réaliser les opérations nécessaires à la réalisation du projet, de rechercher le financement ou de financer elle-même le projet.
En outre, ces contrats donnent une véritable garantie de résultat puisque la rémunération est assise sur l’économie réalisée.