Affaire du nuage de Tchernobyl : un non lieu qui ne surprend personne

La décision de non lieu prononcée au bénéfice du professeur Pierre Pellerin par la Cour d’Appel de Paris le 7 septembre 2011 l’exonère de toute accusation de « tromperies », « blessures involontaires » dans ce qu’il est convenu d’appeler aujourd'hui « l’affaire du nuage de Tchernobyl », pour laquelle il était le seul mis en examen.

En 1986, Pierre Pellerin dirigeait le Service Central de Protection contre les Rayons Ionisants. Dans plusieurs communiqués, le SCPRI avait signifié que « le nuage s'était arrêté à la frontière française ». Le nuage de Tchernobyl « ne menace actuellement personne... Sauf peut-être dans le voisinage immédiat de l'usine et encore… La santé n'est absolument pas menacée aujourd'hui" avait indiqué Pierre Pellerin lors d'un JT.

Une enquête avait été ouverte en 2001 après une plainte de l'Association française des malades de la thyroïde et de la Commission de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité (Criirad). La juge d'instruction, Marie-Odile Bertella-Geffroy, avait concentré ses investigations essentiellement sur les informations communiquées en termes de radioactivité sur l'Hexagone, au moment du passage du nuage au printemps 1986.

Le ministère public a requis, le 31 mars 2011, la clôture de l'enquête, jugeant les charges insuffisantes. La juge avait d'ailleurs été priée d'interrompre ses investigations, dans l'attente de la décision de la Cour d'Appel.

La Cour d’Appel de Paris a donc balayé, dans cette décision argumentée, toutes les accusations portées à l’encontre de Pierre Pellerin depuis ce mois de mai 1986, le libérant d'une épée de Damoclés qui pesait sur lui depuis 25 ans.

Analysons la décision dans ses 3 points principaux. J'emploierai le conditionnel car un non lieu ne veut pas dire que Mr Pellerin est non coupable mais que le faisceau d'indices n'était pas suffisant pour le mettre en examen.

Premier point souligné par la Cour d’Appel, le professeur «  n’a jamais dissimulé l’existence du panache radioactif sur le territoire français  ». L'allégation que Mr Pellerin aurait évoqué lors d'un JT que le nuage se serait arrêté à la frontière est donc démenti. Ce qu’aurait dit le professeur, c’est que le panache de Tchernobyl était arrivé sur le territoire français mais que la radioactivité induite n’était pas une menace pour la santé publique.

Deuxième point : « Aucun, à l’époque, n’a fait état d’un danger pour la population et n’a préconisé des mesures de précaution ». Les équipes du professeur avaient effectués des analyses d’échantillons alimentaires (6 500 contrôles effectués de mai à juin 1986) pour surveiller les niveaux de contamination radioactive en France et les risques éventuels encourus par la population. La Cour d’Appel de Paris note, dans son arrêt, que d’autres Instituts et organismes, comme l’IPSN, les Directions Départementales de la Consommation et de la Répression des Fraudes ainsi que des laboratoires indépendants ont mené de leur côté, sans se concerter, leurs propres analyses, notamment sur le lait et la viande.

Donc d'après la CA, les spécialistes de l'époque, (qui ont mené leurs enquêtes chacun de leur côté), ont tous conclu à la non nécessité de mesures de restrictions.

De plus, très peu de pays Européens après la catastrophe ont mis en place des mesures de restrictions. Un rapport, daté du 6 mai 1986 de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé), sur les cancers et autres pathologies pouvant être provoqués par l’iode contaminant les produits laitiers ou les légumes-feuilles énumère les mesures mises en œuvre. A l’exception de la Suisse, de la Pologne, de la Yougoslavie et de la Suède, aucun autre gouvernement national n’a pris des mesures de restriction de la consommation de lait. Quant aux légumes à feuilles, seuls l’Autriche, la Suède et San Marin ont recommandé de ne pas les manger, les 17 autres pays recensés ayant laissé libre cette consommation, certains l’assortissant du conseil de laver les denrées au préalable. Et huit pays, dont la France, avançaient la recommandation explicite de ne prendre aucune mesure.
Le principe de précaution n'était pas encore à l'époque prédominant, et donc la France n'a pas voulu engendrer de psychose excessive.

Troisième point et c'est celui qui fait le plus débat : c'est le lien de causalité entre le nuage et la recrudescence de cancers de la thyroïde depuis 1986.

La juge d’instruction avait demandé à des experts de recenser les cas de pathologies de la thyroïde constatés dans certains villages corses. Et d'après la CA, ils se sont basés sur les dossiers d’un médecin endocrinologue pour en tirer des estimations et des pourcentages dont la Cour souligne le caractère contestable et non pertinent.

Le 3 septembre dernier, des extraits d'un rapport médical sur les cancers de la thyroïde en Corse ont été publié dans le quotidien Corse Matin. « Les analyses ont donné des résultats qui montrent pour la proportion des affections thyroïdiennes après 1986 sur l'échantillon étudié, une augmentation sensible à très sensible... »
L'échantillonnage effectué représente aux yeux de plusieurs experts réputés « l'estimation la plus fiable que nous ayons pu trouver concernant l'impact du passage du nuage consécutif de l'accident de Tchernobyl puisqu'elle est comparativement avant et après 1986. Nous avons observé une augmentation très importante, après 1986, dans l'espèce humaine de la proportion des troubles thyroïdiens par rapport aux autres affections endocriniennes, le pourcentage moyen étant de 44 % et pouvant atteindre plus de 100 % ».

Mais la CA, a respecté le principe « le doute profite à l'accusé », et comme, il n'a pas pu être prouvé à 100% que l'augmentation des cancers de la thyroïde proviennent de ce nuage, elle a confirmé le non lieu qui été demandé. (Le rapport médical précité est surement sorti trop tard).

C'est donc ce lien de causalité qui manque à la justice pour pouvoir mettre en examen et ainsi, enclencher un procès.

Le lien de causalité est souvent très dur à rapporter, et il a fait et fera toujours l'objet de nombreux débats et cette décision ne fera que les raviver...

Les associations flouées par ce non lieu ont décidé de se pourvoir en cassation pour aller jusqu'au bout de leur combat en espérant que la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français casse la décision de non lieu et qu'un procès puisse voir le jour, tout en sachant que le principal accusé, le professeur Pellerin, est âgé de 88 ans et est très malade...