Pour la première fois en France, la firme Monsanto - entre temps rachetée par Bayer pour 63 milliards de dollars - a été condamnée sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux.
C’est aux Etats-Unis notamment que le géant américain de l’industrie agricole avait été condamné pour son roundup, un herbicide hautement toxique notamment composé de glyphosate. En France, il aura fallu attendre le 15 janvier 2019 et un arrêt du tribunal administratif de Lyon pour que son autorisation de commercialisation soit annulée au nom du principe de précaution.

C’est cette fois-ci pour un autre herbicide, le Lasso - également interdit à la vente en France depuis 2007 - que Monsanto a été condamné en France à la suite d’une longue saga judiciaire.

C’est en ouvrant une cuve de nettoyage - restée exposée au soleil - que Paul François, agriculteur céréalier du Pays Charentais est victime, en 2004, d’un grave accident du à l’inhalation de vapeur de chlorobenzène présent dans ledit herbicide acheté auprès d’une coopérative agricole.

La saga judiciaire qui démarre en 2007 va couvrir de nombreux pans du droit de la responsabilité, allant du droit commun de la responsabilité jusqu’à la responsabilité du fait des produits défectueux, s’attachant - notamment - aux notions de date de mise en circulation du produit, de faute de la victime de risques de développement ou encore de producteur.

Cette dernière va en effet s’étaler sur 16 ans et pas moins de 5 décisions de justice seront rendues à ce sujet. Si à l’issue de la décision de première instance - confirmée en appel - c’est sur le terrain du droit commun de la responsabilité que la firme Monsanto sera condamnée, c’est finalement sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux - que l’on retrouve aux articles 1245 et suivants du code civil - que la saga trouvera son épilogue.

Nous reviendrons sur cette saga ainsi que son épilogue en nous interessant à l’ensemble des arrêts rendus par les diverses instances tout au long de la procédure.

Le Lasso, un produit mis en circulation ne présentant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre qui a causé un dommage

Un produit mis en circulation et mal étiqueté

Le terrain du droit de la responsabilité du fait des produits défectueux suppose d’une applicabilité temporelle de la loi du 19 mai 1998. Il est ici à rappeler que le Lasso est un produit existant depuis de longues années, déjà interdit en 1985 au Canada.
La date de mise en circulation du produit est ainsi un élément charnière de l’applicabilité du régime. Cette date fixe également le point de délai butoir de 10 ans au delà duquel la responsabilité du producteur est éteinte. Conformément à l’article 1245-4 alinéa 1er du Code Civil « un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement ».
Le producteur peut en outre s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve qu’il n’a pas mis en circulation du produit.

On retrouve dans cette affaire des dispositions déjà définies par la doctrine s’attachant à définir la date de mise en circulation du produit non pas comme celle de sa mise en place à la vente générale mais comme celle de la commercialisation du lot dans lequel se trouvait le produit litigieux et non pas celle de la commercialisation du produit Lasso.
La Cour de Cassation a ainsi par exemple approuvé la cour d’appel d’avoir fixé la date de mise en circulation au mois de juillet 2002, date de remise effective du produit au distributeur.

Cette idéologie se veut particulièrement protectrice de la victime dans la mesure dans laquelle la défectuosité du produit s’est appréciée - tout au long de l’affaire - du fait du mauvais étiquetage de ce dernier.
En effet, l’une des principales conditions de l’application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux tient à ce que le produit en cause puisse être qualifié de défectueux.
On retrouve cette notion à l’article 1245-3, alinéa 1er du Code Civil qui prévoit qu’un produit est défectueux dès lors qu'il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre.
Il doit en outre être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit ou encore de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu.

La défectuosité du produit peut donc être extrinsèque au produit lui-même.
Dans le cas d’espèce, l’étiquetage du produit ne répond pas à la réglementation dans la mesure où les risques liés à l’inhalation du chlorobenzène, présent en quantité importante dans le Lasso, n’étaient pas signalés.

Très tôt à l’instance ce problème d’étiquetage a été l’un des points principaux soulevés, c’est ainsi que le tribunal de grande instance de Lyon avait considéré - quand les moyens soulevés se fondaient sur le droit commun de la responsabilité - que Monsanto s’était rendu coupable d’une faute contractuelle auprès de la coopérative de distribution du produit en n’ayant pas indiqué sur l’étiquette du produit les risques qui y étaient inhérents, manquant ainsi à son obligation d'information et commettant ainsi une faute contractuelle représentative d’une faute délictuelle auprès du tiers, la victime.

Le demandeur devait donc rechercher le défaut du produit sans se fonder sur la dangerosité seule du produit, comme le tribunal de grande instance de Lyon l’avait exprimé en première instance. Ici, c’est sur la dangerosité anormale du produit résultant de son défaut d’information sur l’étiquette que le requérant a obtenu gain de cause.
Si intrinsèquement le produit n’était pas défectueux puisque propre à être utilisé pour désherber, extrinsèquement, le manque d’information a permis de caractériser la défectuosité du produit.

Ce n’est pas la première fois que le droit français s’est attaché à retenir la défectuosité d’un produit du fait d’un mauvais étiquetage sur des bonbonnes de gaz dans un arrêt rendu par la cour de cassation le 4 février 2015

Dommage et lien de causalité

S’il s’agit d’une responsabilité sans fautes, la victime doit néanmoins prouver que ledit produit a bien participé à la réalisation de son dommage.
Cette preuve s’avère compliquée lorsque le dommage effectif est une pathologie, même si le droit français - après avoir beaucoup hésité - s’est montré prompt à reconnaitre plus facilement une causalité lorsque la science ne peut la rapporter avec certitude, notamment lorsque la pathologie se déclare longtemps après le fait dommageable.
Les juges se basent ainsi très souvent sur des indices tels que l’état de santé de la victime avant la réalisation du fait, le nombre de personnes ayant subi les mêmes conséquences (cas du vaccin pour l’hépatite B) ou encore sur la question de la proximité temporelle.

Dans l’affaire d’espèce, la question de la causalité entre dommage et préjudice était relativement simple à établir - à aucun moment tout au long de la saga cette question n’a d’ailleurs été infirmée par le juge - compte tenu de la dangerosité effective ainsi que du court laps de temps entre l’inhalation dudit produit et les conséquences dommageables pour la victime.

La victime - a qui incombe la preuve du lien de causalité - s’est donc contenté de prouver qu’il avait été en contact direct avec le produit au moment ou son malaise s’est produit.
Les cours tout au long des diverses instances se sont donc basées sur des témoignages de proches de la victime ainsi que sur le fait que l’étiquette du produit ait été transmise au personnel hospitalier en charge de prendre en charge le patient qui présentait tous les signes d’une intoxication à un produit chimique.

Même si - comme précisé en amont - lorsque le dommage est pathologique, le lien de causalité ne peut jamais être établi avec certitude, l’ensemble de ce faisceau d’indices a suffit à caractériser la causalité entre l’inhalation de l’herbicide et les troubles neurologiques auxquels la victime est toujours exposée.

Sur le dommage en lui-même, la firme a tout au long de la « saga » reproché le fait de tenir pour acquis que les troubles étaient liés à l’inhalation dudit produit qui ne pouvait pas être en tant que tel prouvée, toutefois, la présomption était précise grave et concordante, suffisant ainsi à présumer que le produit avait bel et bien été inhalé par l’agriculteur.

Monsanto, un producteur qui ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité

Le producteur : la société dont le nom et les coordonnées figurent sur l’étiquette

Concernant le champ d’application personnel de la responsabilité du fait des produits défectueux, ce dernier s’applique au producteur dudit produit.
C’est ainsi que l’article 1245-5 alinéa 2 du Code Civil prévoit qu’est assimilée à un producteur toute personne, agissant à titre professionnel, fabricant d'un produit fini, producteur d'une matière première ou encore fabricant d'une partie composante qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.

La société française pour sa part arguait, en appel, qu’il était impossible de la qualifier de producteur dans la mesure dans laquelle était indiqué sur le produit que le produit était fabriqué en Belgique. Etait indiquée toutefois indiquée sur la produit la mention « herbicide Monsanto » suivie de « siège social Monsanto agriculture France SAS », accompagnée de l’adresse de la société à Lyon ainsi que le numéro d’immatriculation de la société au RCS.

Cela a suffit pour la Cour d’appel pour retenir que la société devait être considérée comme producteur au regard de la retenant ainsi un critère objectif selon lequel il faut rechercher qui se présente comme le producteur.

C’est un critère objectif qui est ici retenu, il ne faut pas retenir qui le public retient comme étant le producteur mais la personne qui se présente comme producteur en tant que tel, le public peut en effet ne pas être en capacité de se faire un idée sur la personne du producteur ou bien encore avoir une croyance erronée

L’absence de causes exonératoires

En matière de responsabilité du fait des produits defectueux, le producteur peut s’exonérer - totalement ou partiellement - en invoquant le risque de développement ou bien la faute de la victime.

Ces deux moyens ont d’ailleurs été invoqué par la société Monsanto.
On retrouve la notion de risque de développement à l’article 1245-10 du code civil qui prévoit que : « la responsabilité du producteur est écartée lorsque « l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ».

Dans cette affaire, ce moyen n’a pas été retenu les juges du fond ayant estimé que que la fiche toxicologique du produit ainsi que les avancées scientifiques permettaient, dès 2002, date de mise en circulation du produit, de connaitre les risques qui y étaient liés.
Ces connaissances devant s’apprécier objectivement compte tenu des avancées scientifiques globales étaient pour la cour d’appel de Lyon ainsi que pour la cour de Cassation des connaissance qu’auraient du avoir le producteur au moment de la mise en circulation du produit.
Il est à noter que cette exonération est exclue si le dommage a été causé par un élément du corps humain ou bien par un produit issu de celui-ci, cela s’explique par le genèse du droit de la responsabilité du fait des produits défectueux qui coïncide avec l’affaire du sang contaminé.

Concernant la faute de la victime, c’est un moyen qui a été invoqué par Monsanto tout au long de la procédure, en effet, du fait de la profession agricole de la victime ainsi que des diligences générales pour la manipulation de produits indiqués comme toxique, la firme estime que l’agriculteur aurait du porter une combinaison.
Si la cour d’appel avait estimé que le dommage était exclusivement lié au manque d’information sur le produit, la cour de cassation a estimé que la faute de la victime était sans causalité avec son dommage puisqu’il aurait du porter une combinaison mais ne pouvait se douter qu’il devait protéger ses voies respiratoires.  

Ici, le fait d’exclure tout lien de causalité entre le dommage subi et le comportement de l’agriculteur ne va pas nécessairement de soi mais l’on retrouve la volonté de préserver le droit à indemnisation de la victime.