Le décret d’application de l’article 29 de la loi Energie-climat (LEC) a été publié au journal officiel le 29 mai dernier. Il modifie l’article L533-22-1 du code monétaire et financier, relatif au reporting extra-financier des acteurs de marché. Avec ce décret, la France se place à nouveau à l’avant-garde de la finance durable en Europe.
En effet, le règlement Disclosure, ou SFRD (Sustainable Financing Reporting Disclosure), mis en application cette année, a été largement inspiré de l’expérience française de l’article 173-VI de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. En matière de transparence en finance durable, le législateur français n’a pas hésité dès 2015 à contraindre tout investisseur gérant plus de 500 millions d’euros, un seuil très bas, à se positionner sur son intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, dans la gestion des fonds. Dans la pratique, cette obligation de reporting a obligé les équipes de gestion à se poser la question de cette intégration, et donc, si ce n’était pas déjà fait, à se former sur le sujet, à construire des outils et des méthodologies. Par effet de contagion, les investisseurs ont embarqué l’ensemble de la communauté financière dans leurs travaux. Les entreprises cotées ont dû fournir des données extra-financières plus nombreuses, plus pertinentes, et répondre aux questions stratégiques qui leur sont soumises de manière plus récurrente, à la fois lors des assemblées générales mais aussi à l’occasion des présentations de résultats. Les analystes financiers, alors rarement concernés par les enjeux ESG sauf lorsque leur secteur était directement concerné (on pense à l’automobile ou aux industries extractives, par exemple), voient leur métier radicalement changer ces dernières années, pour intégrer ces questionnements de manière systématique.
En revanche, le reporting « Article 173 » présentait encore quelques lacunes, que le législateur français a souhaité combler à l’occasion de la promulgation de la loi Energie-climat. A cette occasion, il s’est aligné avec les avancées européennes du règlement Disclosure, mais, comme souvent, le texte français porte les ambitions encore plus loin.
Le principal écueil des obligations de reporting, lorsqu’elles ne sont pas assorties de sanctions, porte sur la propension à ne pas respecter la réglementation. Une grande partie des investisseurs se fonde ainsi sur le principe du « comply or explain » pour ne pas y satisfaire. Dans la nouvelle réglementation, les équipes qui ne seront pas en mesure de publier les informations devront présenter un plan d’amélioration assorti d’un calendrier de déploiement.
En ce qui concerne la gouvernance de l’intégration ESG, les investisseurs devront être plus précis sur leurs votes en assemblée générale et sur leur politique d’engagement. Le nouveau texte consacre aussi le principe de « double matérialité » : les risques environnementaux et sociaux portés par les portefeuilles devront être décrits et chiffrés, tandis que l’impact de ces portefeuilles doit aussi être publié, tant sur le climat que sur la biodiversité.
Le reporting climat, grâce à la maturité des outils développés ces dernières années, gagne en précision : le décret précise que le reporting des fonds et des sociétés de gestion devra être aligné avec la taxonomie européenne des activités durables, en cours de développement, mais également que l’exposition aux énergies fossiles doit en particulier être publiée. Plus complexe, l’alignement des portefeuilles avec les Accords de Paris devra être précisé. Les observateurs notent jusqu’à présent une grande diversité de méthodologies et de degré de transparence sur le sujet. A présent, les investisseurs devront détailler les scénarios et hypothèses retenus. Ils devront fixer des objectifs d’émissions de gaz à effet de serre en valeur absolue ou en intensité, à horizon 2030, objectifs qui devront être revus tous les 5 ans jusqu’en 2050.
Enfin, grande surprise pour l’ensemble de la communauté financière, la biodiversité n’est plus la grande oubliée du reporting environnemental : en cela, la France s’affiche comme pionnière comme elle l’avait été en 2015 pour le reporting climat. Les investisseurs devront en effet afficher leur politique biodiversité respectant les grands objectifs internationaux, déterminés par l’IPBES. Toute la communauté financière est d’ailleurs en ordre de marche pour définir des « indicateurs d’empreinte biodiversité » et définir des objectifs 2030, comme elle l’a fait pour le climat.
Le législateur laisse le temps aux entreprises pour expérimenter, sur ces sujets très complexes, car les reportings complets sont attendus pour 2023, sur l’exercice 2022.