Suite à l’urgence de la crise sanitaire de la Covid-19, les laboratoires se sont précipités pour trouver le vaccin qui mettrait fin à cette pandémie. Confronté à un véritable défi technologique et une course contre la montre, le vaccin AstraZeneca a reçu une autorisation de mise sur le marché par l’Agence Européenne du Médicament (EMA) le 29 janvier 2021, devenant le troisième vaccin autorisé dans l’Union Européenne après Pfizer/BioNTech et Moderna. Le vaccin a ensuite été approuvé le 15 février par l’Organisation Mondiale de Santé dans le cadre de la procédure d’évaluation et d’homologation en situation d’urgence. Le vaccin AstraZeneca fonctionne selon le principe d’un adénovirus, un virus non-pathogène modifié de manière à contenir le matériel génétique codant pour la protéine de pointe appelée « spike », responsable de la pénétration du virus SARS-Cov dans les cellules humaines. Il se distingue des vaccins à ARN (Pfizer/BioNTech et Moderna) activant le système immunitaire adoptif au moyen d’ARN messagers dont la séquence nucléotidique code une protéine identique à l’antigène d’agent pathogène. Le système immunitaire réagit alors en produisant des anticorps dirigés contre l’agent pathogène.

AstraZeneca est actuellement le principal fournisseur de plus de 100 pays. Cependant aujourd’hui ce vaccin est pointé du doigt par les médias et suscite la crainte dans plusieurs Etats. Depuis le début de la vaccination, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament a recensé plus de 20 000 cas d’effets indésirables avec le vaccin AstraZeneca, avec 86 cas de trhombopénie thrombotique, formant des caillots sanguins, dont 18 décès. Si plusieurs province du Canada, la Wallonie, l’Autriche, le Danemark, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie et le Luxembourg ont suspendu temporairement l’utilisation du vaccin, en France, la Haute Autorité de Santé (HAS) a confirmé le 12 mai ses recommandations concernant l’âge limite de 55 ans pour les injections du vaccin AstraZeneca, en observant un point de basculement du rapport bénéfice/risque individuel à partir de 50-55 ans, mais a affirmé que ce vaccin restait indispensable à la lutte contre la Covid-19.

L’Union européenne a ainsi annoncé ne pas renouveler son contrat avec le groupe, bien que 90 millions de doses du laboratoire soit toujours attendues. La France a prévu de donner environ 30 millions de doses de différents vaccins aux pays à revenu faible ou intermédiaire d’ici la fin de l’année avec le programme COVAX et a déjà fait don le 3 juin de 184 000 doses d’AstraZeneca au Sénégal. Les autres Etats auront le choix de revendre au prix d’achat les doses du vaccin aux autres gouvernements, ou d’en faire don.

Se pose alors la question de la responsabilité du laboratoire AstraZeneca pour ces cas de coagulation sanguine et de diminution des plaquettes apparus après l’administration du vaccin.

Le laboratoire AstraZeneca est-il responsable d’une défectuosité de son produit ?

Il est nécessaire d’analyser si le vaccin AstraZeneca souffre d’une défectuosité telle que définie par la directive européenne de 1985 (I) avant d’envisager la possible responsabilité du géant pharmaceutique (II).


I. La défectuosité du vaccin AstraZeneca

Le vaccin est un produit dangereux per se puisqu’il existe de nombreuses réactions indésirables, souvent mineures et passagères, après l’administration d’un vaccin. Mais cela ne présume pas de sa défectuosité (A). C’est pourquoi il est ,nécessaire d’analyser la directive européenne de 1985 sur les produits défectueux afin de savoir si AstraZeneca peut être considéré comme défectueux (B).

A. Un produit dangereux non présumé défectueux

Il faut distinguer entre un produit dangereux et un produit défectueux : le caractère intrinsèquement dangereux d’un produit ne fait pas présumer l’existence d’un défaut de sécurité. Un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre.

Le 7 avril 2021 l’EMA a conclu que les caillots sanguins inhabituels avec des plaquettes sanguines basses devraient être répertoriés comme effets secondaires très rare du vaccin AstraZeneca. Il a été analysé que la majorité des cas signalés sont survenu chez des femmes de moins de 60 ans dans les deux semaines qui ont suivi l’administration du vaccin. L’EMA a examiné 62 cas de thrombose veineuse cérébrale et 24 cas de thrombose veineuse splanchnique dans l’Union Européenne au 22 mars 2021, dont 18 cas qui ont conduit au décès des sujets. Dans le cas de thrombose veineuse cérébrale, les patients avaient également un taux de plaquettes faible. Ces sujets avaient tous dans leur sang un anticorps particulier qui semble provoquer l’agglutinement par erreur des plaquettes en entrainant la formation de caillots sanguins qui va par la suite activer d’autres parties du système de coagulation du corps. Selon les données du Royaume-Uni, après 23 millions de première doses et 9 millions de deuxième doses du vaccin AstraZeneca administrées, 309 cas de caillots sanguins majeurs avec de faibles plaquettes se sont produits depuis mi-mai au Royaume-Uni, dont 56 ont conduit au décès des sujets.

L’EMA considère que cet effet indésirable survient en réponse immunitaire après l’administration du vaccin, conduisant à une condition similaire observée chez certains patients traités par l’hépatite A. Selon la Food and Drug Administration des Etats-Unis, en avril 2021, 6 cas de thromboses veineuses cérébrales ont été détectés sur plus de 6,8 millions de doses du vaccin Johnson&Jonshon administrés. Ce vaccin fonctionne de manière similaire à celui d’AstraZeneca, sur le principe d’un adénovirus. Cependant en l’état de l’art, il n’est pas possible d’établir un lien de causalité certain, bien qu’il soit considéré comme plausible par l’EMA, ni d’identifier les facteur de risques spécifiques.

Bien entendu, un patient se faisant administrer un vaccin contre la Covid-19 ne s’attend pas à faire face à un risque de thrombose. Mais le vaccin peut-il vraiment être mis en cause pour ces cas de coagulations sanguines ? Est-il « défectueux » ?

B. L’analyse de l’application de la directive de 1985 au vaccin AstraZeneca

Pour qu’un produit soit considéré comme défectueux, il faut qu’il ait un défaut et que celui-ci ait causé un dommage à une personne ou à un bien. Si un vaccin est inefficace, on pourra engager la responsabilité du fabriquant pour manquement à l’obligation de conseil ou d’information, pour non conformité du produit ou encore pour vice caché puisqu’il ne répond pas aux attentes légitimes du consommateur. Mais lorsque le vaccin contient un élément de nature à causer un dommage aux patients, alors il s’agira de la responsabilité du fait des produits défectueux. Trois types de défauts peuvent être distingués : le défaut de fabrication, le défaut de conception et le défaut d’information. La victime devra prouver le défaut du vaccin, le dommage causé ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le défaut. C’est ce dernier point qui a posé problème aux demandeurs ayant saisi la responsabilité pour produits défectueux de laboratoires pharmaceutiques.

En effet, ce n’est pas la première fois qu’un vaccin est mis en cause pour l’apparition de maladies chez des patients. Rappelons-nous de la jurisprudence du vaccin contre l’hépatite B accusé par certaines victimes d’être à l’origine de la sclérose en plaques qu’elles ont développé suite à l’administration du produit. Les connaissances scientifiques ne permettent toujours pas aujourd’hui d’affirmer le caractère défectueux du vaccin, ce qui a donné lieu à un contentieux très important.

Dans un arrêt du 23 septembre 2003, la première chambre de la Cour de cassation avait exigé que le défaut du vaccin soit établi de manière certaine. Mais en raison de l’absence de consensus de la communauté scientifique, les victimes se voyaient réfutées de leurs demandes. Cette solution a été assouplie pour les victimes en 2008 lorsque les juges du fond ont admis que la preuve du défaut pouvait résulter de présomptions graves précises et concordantes.
Toutefois le 21 juin 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne a précisé que seul le recours à des présomptions simples était autorisé et que le recours à une liste d’indices factuels dont la conjonction établirait nécessairement le défaut du produit était contraire à la directive.
Il serait difficile aujourd’hui d’établir avec certitude la position de la haute juridiction de l’ordre judiciaire face aux cas de thrombose suite à l’administration du vaccin AstraZeneca.

Lors de campagne de vaccination à grande échelle il est normal que des pays soulignent des effets indésirables postvaccinales. Toutefois cela ne signifie pas nécessairement que ces dommages soient liés à la vaccination. Bien entendu ces évènement doivent faire l’objet d’une enquête pour que tous les problèmes d’innocuité soient traités rapidement. A l’heure actuelle, il est impossible de déterminer avec certitude que le vaccin AstraZeneca comporte un élément déclenchant la coagulation dans le sang de certains patients. La vaccination contre la Covid-19 ne permet pas de réduire le nombre de malades ou de décès imputables à d’autres maladies. Or la thromboembolique veineuse est la troisième maladie cardiovasculaire la plus courante à l’échelle mondiale. Le laboratoire AstraZeneca devrait toutefois indiquer sur la notice de son vaccin le risque de coagulation du sang et de réduction des plaquettes comme effet secondaire du produit pour ne pas risquer de se voir imputer un défaut d’information. En effet les utilisateurs devront prouver un défaut de conception pour engager la responsabilité du fabriquant dans le cas où ils ont été suffisamment informés par la notice de l’existence d’effets indésirables.

Il sera très difficile pour les victimes de thrombose de prouver la défectuosité du vaccin AstraZeneca mais surtout le lien de causalité entre leur dommage et la défectuosité du produit, et donc d’engager la responsabilité du laboratoire AstraZeneca.


II. La responsabilité du laboratoire

Le laboratoire britannique jouit d’une limitation de sa responsabilité grâce à une technique contractuelle employée dans le contrat d’achat anticipé avec la Commission européenne (A) en plus d’une possible exonération envisagée par la directive de 1985 (B).

A. Une clause limitative de responsabilité dans le contrat avec l’Union Européenne

Dans le contrat d’achat anticipé des doses de vaccin entre le laboratoire AstraZeneca et la Commission européenne, soumis au droit belge, la clause 14 stipule que les Etats membre se voient obligés de garantir le laboratoire contre un éventuel engagement de sa responsabilité civile du fait des dommages que pourrait causer son vaccin. En effet la clause 14 « indemnisation » prévoit que « chaque Etat Membre participant doit indemniser et dégager de toute responsabilité AstraZeneca, ses filiales, ses sous-traitants, ses concédants de licences et ses sous-licenciés, ainsi que ses dirigeants, administrateurs, employés et autres agents et représentants de et contre tous les dommages-intérêts et responsabilités, ainsi que contre les frais juridiques nécessaires résultant de ou liés à des réclamations en cas de décès, d’atteinte à l’intégrité physique, psychique ou émotionnelle, de maladie, d’invalidité ou de dégradation de l’état de santé; de crainte de ce qui précède, de perte ou de dommage matériel ou d’interruption de l’activité professionnelle d’une personne ayant subi un tel dommage matériel ou d’interruption de l’activité professionnelle d’une personne ayant subi un tel dommage ou d’un proche de cette personne, lié ou découlant de l’administration du vaccin ».

Selon Jean-Sebastien Borghetti, professeur à l’Université Paris 2 Panthéon Assas, il ne s’agit pas d’une clause limitative ou exclusive de responsabilité et cette clause ne réduit pas ni n’exclut la responsabilité d’AstraZeneca à l’égard des tiers, mais il s’agit d’un transfert de la charge finale de la responsabilité du producteur vers les Etats membres. Dans un arrêt du 29 mars 1962, la deuxième chambre de la Cour de cassation a affirmé que « si le responsable ne peut, par une convention passée avec la victime éventuelle s’exonérer de sa responsabilité quasi-délictuelle, il ne lui ait pas interdit de se faire garantir par une autre personne, de la conséquence pécuniaire de ses fautes; qu’en effet un tel accord, qui n’est pas opposable à la victime, puisqu’elle y est étrangère et n’a pas pour effet de supprimer la responsabilité de l’auteur du dommage, n’est contraire ni à la loi, ni à l’ordre public ».
En effet une clause contractuelle ne peut pas écarter le régime de la responsabilité délictuelle du fait des produits défectueux institué par la directive européenne de 1985. Cette technique contractuelle imite la clause limitative de responsabilité en reportant le poids de cette responsabilité sur les Etats membres.

Ce partage des risques entre les parties contractantes se comprend par la situation d’urgence de mettre au point un vaccin pour lutter contre la pandémie. Le laboratoire AstraZeneca, comme les autres laboratoires ayant développés un vaccin, ne voulait pas supporter seul les conséquences juridiques de dommages résultant de son produit.

Le risque zéro n’existant pas, aux Etats-Unis, une loi de 1886 appelée « the National Childhood Vaccine Injury Act » protège les fabricants de vaccins. Leur responsabilité ne peut pas être engagée en cas d’effets secondaires. Les victimes d’un dommage corporel peuvent obtenir une indemnisation grâce à un programme national d’indemnisation des victimes de vaccins.
L’Union Européenne n’aurait pas pu bénéficier des doses de vaccin contre la Covid-19 sans adopter une telle clause permettant de protéger les fabricants de vaccins.

En plus de cette clause protégeant le laboratoire, AstraZeneca bénéficie également d’autres exonérations issues de la directive de 1985.

B. Une exonération de responsabilité par le rapport bénéfice-risque favorable

La responsabilité du faits des produits de santé défectueux peut également s’apprécier par le rapport de bénéfices/risques du produit afin de prouver la faute du fabricant. Or, le vaccin AstraZeneca reste positif dans le rapport bénéfices/risques : le 22 mars le laboratoire britannique a défendu son vaccin et a précisé qu’il n’entrainait pas une augmentation des risques de caillots sanguins ou de problèmes de coagulation. Le laboratoire a également fait part de l’avantage de transport de son vaccin et de sa conservation plus simple que celle d’autres vaccin puisque AstraZeneca exige uniquement des températures d’un réfrigérateur classique.

L’efficacité du vaccin AstraZeneca est estimé de 63% chez les sujets n’ayant jamais été infecté par la Covid-19. Lors d’un essai clinique mené auprès de près de 33 000 participants dans plusieurs sites pilotes aux Etats-Unis, au Pérou et au Chili, les conclusions ont montré que l’efficacité du vaccin était de 76% dans la prévention de l’infection symptomatique, et une efficacité de 100% dans la prévention de formes graves de la maladies et des hospitalisations.

Une étude menée aux Etats-Unis a conclu que 39 personnes sur 1 million ayant été infectées par la Covid-19 sont atteintes de thrombose veineuse cérébrale dans les deux semaines suivant leur diagnostic de l’infection et compte 4 cas pour 1 million de personnes ayant été vaccinées par Pfizer et Moderna et 5 cas par million après la première dose du vaccin AstraZeneca.
David Smajda, docteur au service d’hématologie biologique à l’hôpital Européen Georges Pompidou a déclaré qu’ « il n’y a pas de signal indiquant que les personnes vaccinées font plus de thromboses veineuses ou artérielles que celles non vaccinées » et que « les autres évènements thrombotiques surviennent très rarement, ce qui ne permet pas de conclure à un risque accru de thrombose lié à l’a vaccination, quel que soit le vaccin ».
Le Royaume-Uni a fait état de 1 risque de contraction d’une thrombose pour 250 000 adultes vaccinés selon les données britanniques, et environ 1 risque pour 100 000 dans l’Union Européenne. L’infection au Covid-19 exposerait les individus à un risque plus élevé de contracter une thrombose veineuse cérébrale que l’administration du vaccin AstraZeneca.
Ainsi la balance bénéfice-risque reste largement favorable pour le vaccin AstraZeneca et tous les autres vaccins face aux risques de développement d’une thrombose.

Par ailleurs en raison de l’urgence qui a obligé le laboratoire à accélérer la mise en circulation de son vaccin, le fabriquant pourra faire valoir l’exonération pour risque de développement. Il s’agit d’un régime spécial permettant d’exonérer le producteur d’un produit de santé s’il prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n’a pas permis de déceler l’existence du défaut. Cependant l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile présentée le 13 mars 2017 souhaite supprimer cette cause d’exonération pour les dommages provoqués par des éléments du corps humain ou des produits issus de celui-ci mais aussi ceux provoqués par des médicaments à usage humain afin de favoriser la réparation des dommages corporels des victimes d’accidents sanitaires collectifs.
Pourtant le 25 juin 2019 un groupe de travail de la cour d’appel de Paris a rendu public un rapport sur la réforme soutenant que l’abandon de cette exonération risquerait « de nuire à l’innovation et à la compétitivité des entreprises ».