Le 14 décembre 2020, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé être favorable à la révision constitutionnelle de l’article 1er de la Constitution proposée par la Convention citoyenne pour le climat, et que cette initiative, serait en outre soumise à référendum. L'objectif : inscrire l'environnement dans la Constitution.
À ce titre, le Conseil d’État a été saisi le 23 décembre 2020, de ce symbolique projet de réforme constitutionnelle.

Pour rappel, la plus haute juridiction administrative s’assure notamment de la cohérence de la mesure envisagée, « de son articulation avec les dispositions existantes », et veille à ce que celle-ci soit « limpide, concise et précise » et à ce qu’elle ne soit pas « source de difficultés d’interprétation ». À l’issue d’une séance en date du 14 janvier 2021, le Conseil d’État rend son avis sur ce projet de loi constitutionnelle.


Une révision constitutionnelle conforme à la proposition citoyenne

Il faut tout d’abord remarquer qu’il s’agit « du troisième projet de réforme constitutionnelle portant sur la question environnementale », qui lui est soumis en un peu plus de trois ans. Mais il faut reconnaître, qu’en vertu du choix du Président de la République de recourir au référendum, ce projet pourrait bien aboutir. Le projet de loi comporte un seul article ; il est prévu d’insérer après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, la phrase :
« Elle [La France] garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

Ce projet reprend donc à l’identique, la proposition de la Convention citoyenne pour le climat. L’inscription de l’environnement dans la Constitution était une des 149 propositions remises au gouvernement le 21 juin 2020, de l’initiative citoyenne. Petite parenthèse ; si on peut d’un côté, saluer la bonne volonté de l’exécutif et son effort de transcrire aussi fidèlement que possible les attentes citoyennes pour cette proposition plus que symbolique, il est légitime, d’un autre côté, de s’inquiéter quant à la transposition d’autres propositions de la Convention citoyenne pour le climat au regard de critiques récentes formulées contre le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (loi « Climat et Résilience »). Cette loi, doit notamment, permettre d’atteindre les objectifs fixés au niveau national et international. Et, le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) qui soutient depuis un certain temps que la France « ne se situe pas sur les trajectoires prévues par sa Stratégie nationale bas-carbone », n’est pas rassuré par l’ébauche de la loi Climat et Résilience qui, à ce jour, « ne paraît pas en mesure de redresser la situation climatique et de prendre en compte les inégalités sociales ». Le CESE affirme que les mesures apparaissent souvent « limitées, différées, ou soumises à des conditions telles que leur mise en œuvre à terme rapproché est incertaine ». Le Conseil d’État, lui-même, est très critique dans son avis consultatif du 10 février 2021. Il revient en détail sur un grand nombre de dispositions de ce projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets. D’aucuns avaient déjà alerté quant à l’insuffisance des mesures annoncées, lesquelles étaient censées adapter les nombreuses propositions citoyennes ; désormais, il ne reste plus qu’à espérer que le gouvernement et les parlementaires soient attentifs aux retours des différentes instances de consultation au risque de s’exposer à une déconvenue au terme de la période fixée, s'agissant des objectifs français.

Pour en revenir à ce projet de révision constitutionnelle, le Conseil d’État rappelle toutefois que, la « protection de l’environnement occupe déjà la plus haute place dans la hiérarchie des normes ». En effet, celle-ci est déjà consacrée dans la Charte de l’environnement de 2004 et fait donc partie du bloc de constitutionnalité [ces textes et principes à valeur constitutionnelle que les lois doivent respecter]. Par ailleurs, deux récentes décisions du Conseil constitutionnel (n° 2019-823 QPC ; n° 2020-809 DC), prouvent que le juge constitutionnel interprète déjà de manière extensive la Charte de l’environnement. Néanmoins, le Conseil d’État reconnaît, comme en 2019, qu’inscrire dans la Constitution la cause environnementale, aux côtés des principes fondateurs de la République, est justifié en vertu de son caractère prioritaire et du fait qu’il s’inscrit comme « un des enjeux les plus fondamentaux auxquels l’humanité est confrontée ». La juridiction du Palais Royal a conscience que ce projet revêt avant tout une portée symbolique.


Un engagement plus que symbolique : la prudence du Conseil d’État

Mais outre le symbole que constitue le fait d’inscrire la préservation de l’environnement dans la Constitution elle-même, il convient de noter que la démarche est plus ambitieuse qu’il n’y paraît. Comme énoncé dans les motifs du projet de loi constitutionnelle, présentés par les membres du gouvernement, l’inscription de l’environnement à l’article 1er de la Constitution introduit à la fois « un principe d’action positif pour les pouvoirs publics et une volonté affirmée de mobiliser la Nation ». Et le Conseil d’État s’en inquiète. En effet, reprendre les termes proposés par la Convention citoyenne pour le climat (« Elle garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique »), implique, au sens littéral, que l’État pourrait à l’avenir, engager sa responsabilité dans la mesure où la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ne serait pas garantie. Le Conseil d’État affirme que cela consisterait en une « quasi-obligation de résultat ». Par conséquent, cette révision n’est pas qu’une simple intégration des dispositions existantes de la Charte de l’environnement dans la Constitution, mais emporte un véritable engagement de la part de l’État. Il convient de rappeler que les obligations issues de la Charte de l’environnement ne constituent a contrario qu’une obligation de moyens, ce qui n’est pas assez contraignant, puisqu’en réalité, par exemple, l’air que nous respirons n’est pas aussi sain qu’il devrait l’être (contrevenant à l’article 1 de la Charte) et pourtant les pouvoirs publics ne sont que très rarement inquiétés (« Affaire du Siècle », quand le Conseil d’État et la CJUE enjoignent l’État français à prendre des mesures…).

Le Conseil d’État a conscience des conséquences que cette révision de la Constitution emporterait, c’est pourquoi, il enjoint le gouvernement à « indiquer plus précisément, dans l’exposé des motifs du projet, les effets juridiques qu’il attend de la réforme ». Il propose notamment de revoir à la baisse cet engagement, en remplaçant le terme « garantit » par le terme « préserve » qui permettrait d’assurer « une cohérence avec la Charte de l’environnement ». De même, substituer le verbe « lutter » [contre le réchauffement climatique] par le verbe « agir ». De plus, il relève très justement que l’article 34 de la Constitution qui dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux […] de la préservation de l’environnement », peut être source d’incertitude quant à la « compétence du législateur en matière de préservation de la diversité biologique et d’action contre le dérèglement climatique ».