Dans l’eau, le son se propage quatre fois plus vite que dans l’air… aux dépens de la faune marine. La pollution sonore des mers et océans, partout sur la planète, augmente en effet au rythme de nos échanges internationaux. 90% du commerce mondial transitant par le milieu marin, les plus de 92 000 porte-conteneurs, cargos et autres tankers qui sillonnent les mers génèrent plus de la moitié du bruit non naturel relevé dans les océans. Les autres sources de bruit sont principalement les forages pétroliers, les champs d’éoliennes et le tourisme.

Comme pour la plupart des activités humaines, les problèmes concernant l’environnement surgissent lorsque l’intensité de l’impact atteint un point de non-retour : on parle de seuil écologique, ou, au niveau mondial, de limites planétaires, un concept développé par une équipe internationale de chercheurs dès 2009 . Le bruit sous-marin entre-t-il lui aussi en zone rouge, à l’instar du changement climatique ou de l’érosion de la biodiversité ?

Quel impact ?

La réponse n’est pas évidente… parce que nous n’entendons rien. Des scientifiques lancent l’alerte depuis quelques années car les indices d’atteinte à l’écosystème marin se multiplient. On constate, par exemple, l’accélération des échouages massifs de cétacés. Rarissimes il y a cinquante ans, ce phénomène insolite tend à devenir récurrent sur toutes les côtes du monde. En effet, les cétacés s’appuient sur les signaux sonores communiquer entre eux, s’orienter et trouver de la nourriture. Ils sont donc particulièrement sensibles à la cacophonie ambiante. Par ailleurs, nous ne savons pas grand-chose encore des effets du bruit sur les autres espèces marines, plus discrètes en la matière.
Selon les données de l’UNCTAD1, le transport maritime augmente en moyenne de 5,8% par an depuis plus de 20 ans, soit un triplement des capacités depuis 1996. Avec la multiplication des capacités, dont de très nombreux bâtiments peu ou mal entretenus, les impacts sur la faune marine semblent devenir non négligeables. Selon l’OMI, l’organisation Maritime Internationale, dans certaines zones les navires interfèrent avec 90% des plages de communication des cétacés.

La crise engendrée par le virus Covid-19 aura été, au moins, une formidable occasion pour de nombreux scientifiques de mesurer l’impact des activités humaines. Par exemple, l’organisme public Ocean Networks Canada relève en continu les sons sous-marins. Avec la baisse de 20% du transport maritime et l’arrêt total des croisières et de l’observation touristique des baleines, ses chercheurs ont pu relever des modifications dans le comportement des cétacés. Ils ont rejoint l’expérimentation mondiale IQOE (International Quiet Ocean Experiment) qui a vocation à réunir et coordonner les efforts de recherche pour mieux comprendre les effets du bruit sur l’écosystème marin.

Encore peu de réglementation

Il n’existe aucune règlementation internationale pour la lutte contre la pollution sonore des océans. En premier lieu, il est difficile de connaître les seuils de bruit à ne pas dépasser, car la recherche est encore lacunaire.

La directive-cadre européenne de 2008 « Stratégie pour le milieu marin » évoque tout de même les impacts sonores des activités humaines à travers l’expression « bon état écologique » et la mise en œuvre d’un groupe de travail, mais elle laisse les Etats choisir les moyens de mise en œuvre. En France, le Plan d’action pour le milieu marin (2012-2018) coordonne les efforts en la matière.

En 2014, le MEPC, Marine Environment Protection Committe, groupe technique des Nations Unies, a publié des lignes directrices pour que les compagnies de fret maritime réduisent le bruit de leurs navires . Les recommandations portent sur plusieurs solutions techniques, telles que travailler sur la forme des coques ou des hélices, ou réduire la vitesse des navires.

La faune marine doit donc, pour le moment, compter sur les initiatives en grande partie volontaires des grands opérateurs de fret, mais aussi de tous les utilisateurs industriels du milieu marin, pour préserver leur quiétude…