« La véritable sagesse consiste à ne pas s’écarter de la nature, mais à mouler notre conduite sur ses lois et son modèle ». A l’heure où la pêche européenne est menacée par le constat alarmant de l’état des stocks halieutiques, cette citation ancienne de Sénèque, philosophe de l’école stoïcienne, et récemment reprise par le juriste R. Laulier dans son étude intitulée « Analyse juridique d’un marché des ressources halieutiques », semble des plus actuelles. En effet réunis à Bruxelles, les Etats ont débattu sur les propositions de la Commission européenne concernant la réforme de la pêche.
L’érosion de la biodiversité, plus précisément des menaces d’extinction pesant sur un nombre important d’espèces marines telles que l’anguille, a poussé la Commission à durcir sa réglementation en vue de la rendre plus respectueuse des ressources halieutiques. D’aucun ne remettra en cause la nécessité, au sein de l’Union Européenne, de réformer la politique commune de la pêche (PCP). Cependant, les 27 ont affiché leurs divergences quant à la forme et à l’application des nouveaux principes que l’Union Européenne veut voir appliquer au sein de la Communauté. Ainsi, la Commission européenne entend réduire drastiquement les stocks « en ne pêchant que le strict nécessaire ». On peut s’interroger sur la signification de la notion de « strict nécessaire ». S’agit-il des seuls besoins des Etats membres de l’Union Européenne, ou cela inclut-il également les possibilités d’exportations de poissons vers d’autres pays tels que le Japon ? On ne peut en effet pas oublier les récentes polémiques entourant une décision de la Commission européenne interdisant toute exportation de la civelle vers le Japon pour l’année 2010. Cette décision a en effet entraîné de graves conséquences pour l’avenir des pêcheurs pour qui la vente de la civelle représente une part importante de leurs pêcheries, a fortiori, de leur chiffre d’affaires. La commissaire Maria Damanaki souhaite d’ailleurs agir rapidement. Elle prévoit une mise en application de la réforme de la Politique commune de la pêche d’ici 2015.

1. Présentation de la Politique commune de la pêche (PCP)

La mise en œuvre d’une organisation commune de la pêche est née dans les années 1970 sous l’égide de l’introduction des zones économiques exclusives (ZEE) dans le système communautaire. Elle est intégrée au sein du Traité de Rome de 1957. C’est en réalité l’avènement de la notion de quotas de capture en 1976 qui donne acte de la naissance de l’Europe bleue.
La première inflexion s’est produite en 1972 lors des négociations d’adhésion du Royaume Uni, de l’Irlande et du Danemark. C’est à compter de cette date que la Communauté européenne s’est éloignée du principe de libre accès à la mer. Les Etats membres ont également décidé de confier à la Communauté européenne la gestion de leurs ressources halieutiques. En 1983, la Communauté européenne promulgue douze règlements dont un instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche. Cette construction communautaire marque une étape dans la volonté affirmée de la Communauté européenne d’assurer la gestion et la conservation des ressources de pêche. Cela ne semble cependant pas suffisant puisque la Communauté constate le maintien d’une surexploitation des ressources halieutiques. C’est pourquoi une nouvelle réglementation voit le jour en 1992 en vue de limiter l’effort de pêche. A compter de cette date, apparaît la notion de « licence de pêche communautaire » dont l’objectif de base est d’œuvrer dans un sens de conservation des stocks et de mettre en place un bilan de l’efficience des mesures adoptées en ce sens. Il faudra cependant attendre dix années pour que la Communauté européenne inscrit explicitement dans un de ses règlements « l’activité de pêche dans une perspective de développement durable en introduisant dans le règlement de base gestion de la capacité de la flotte et contrôle de l’activité ».
La PCP vise notamment à garantir la sécurité des approvisionnements. La Communauté européenne applique une politique de précaution pour adopter des mesures de protection et de conservation des ressources aquatiques vivantes, et permettre une exploitation durable de la pêche. La Communauté européenne tend également à minimiser les conséquences des activités de la pêche sur les écosystèmes marins.

Depuis sa réforme en 2002, l’objectif principal de la PCP est essentiellement d’assurer une exploitation durable des ressources issues de la pêche et de garantir des revenus et des emplois stables aux pêcheurs. Elle a, en dernier lieu, été modifiée par le traité de Lisbonne.
Dans un souci de compréhension de l’évolution e la PCP et de sa place au sein des Etats membres de la Communauté européenne, il est intéressant de retracer son parcours. La Politique Commune de la Pêche a fait l’objet de trois réformes importantes.
En premier lieu, le Règlement européen de 1983 a établi une PCP dite de « nouvelle génération » promouvant un nouveau principe : le principe de stabilité. Il prévoit des mesures de conservation et de gestion basées sur les Totaux Admissibles de Capture (TAC) et sur les quotas.
En second lieu, la PCP est réformée par le règlement (CEE) promulgué en 1992. Il a trait à la recherche de mesures permettant de remédier au déséquilibre non négligeable qui existait entre la flotte présente sur les mers et les possibilités de capture. Cette réforme préconisait tout particulièrement une réduction de la flotte communautaire combinée à des mesures structurelles de réduction des conséquences sociales. La Communauté européenne introduit également une nouvelle notion : la notion d’« effort de pêche » en vue de rétablir et de maintenir l’équilibre entre les ressources disponibles et les activités de pêche. On parle ici du système des licences.
La Communauté européenne s’est cependant inquiétée du fait que ces mesures n’ont pas permis de réduire les conséquences liées à la surpêche ainsi qu’à l’épuisement des ressources halieutiques. N’ont pas été atteints les objectifs de diminution du risque d’effondrement de certains stocks, de gestion de l’impact sur les écosystèmes marins, des pertes économiques importantes pour l’industrie, l’approvisionnement en poisson des marchés communautaires et de la suppression des emplois. C’est dans ce contexte qu’est intervenue la réforme entreprise en 2002 et entrée en vigueur le 1er janvier 2003.

La nouvelle Politique Commune de la Pêche a engendré trois principaux dispositifs :

- le règlement cadre (CE) n°2371/2002 relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques (il se substitut au règlement (CEE) n°3760/92) ;

- le règlement (CE) n°2369/2002 définissant les modalités et conditions des actions structurelles de la Communauté dans le secteur de la pêche (il modifie le règlement (CE) n°2792/1999) ;

- le règlement (CE) n°2370/2002 relatif à l’établissement d’une mesure communautaire d’urgence pour la démolition des navires de pêche.

La nouvelle politique générale de cette réforme vise la promotion du principe de pêche durable en adéquation avec la garantie des revenus et des emplois stables pour les pêcheurs, tout en préservant l’équilibre des écosystèmes avec l’approvisionnement des consommateurs.
Le Règlement (CE) du Conseil du 20 décembre 2002 relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche vise à garantir la viabilité - à long terme - du secteur de la pêche grâce à la mise en œuvre progressive d’une approche reposant sur des avis scientifiques et d’un procédé de précaution de l’application des nouvelles mesures
Pour garantir l’exercice durable des activités de la pêche, le règlement du 20 décembre 2002 a entrepris plusieurs actions :

- adopter des plans de reconstitution pour les stocks dont le volume est en dehors des limites biologiques sûres ;

- adopter des plans de gestion pour maintenir le volume pour maintenir le volume des stocks dans les limites biologiques sûres ;

- fixer des objectifs pour l’exploitation durable des stocks ;

- limiter les captures ;

- fixer le nombre et le type de navires autorisés à pêcher ;

- limiter l’effort de pêche ;

- adopter des mesures techniques pour promouvoir une pêche plus sélective ou dont l’incidence sur les écosystèmes marins et sur les espèces non ciblées est plus faible. Ces mesures peuvent également porter sur la structure, le nombre et la taille des engins de pêche embarqués, l’établissement des zones et/ou les périodes d’interdiction ou de limitation des activités de pêche.

La politique commune de la pêche aborde essentiellement quatre volets représentant pour chacun une facette de la réglementation de 2002. Sont ainsi abordés la conservation de la ressource, les mesures structurelles, l’organisation commune des marchés et les relations entretenues avec les pays tiers. Cette étape marque le passage d’une pêche en libre accès à un encadrement strictement défini de l’activité. Le règlement aborde cela en ces termes : « La portée de la politique commune de la pêche s’étend à la conservation, à la gestion et à l’exploitation des ressources aquatiques vivantes et à l’aquaculture, ainsi qu’au traitement et à la commercialisation des produits de la pêche et de l’aquaculture, pour autant que ces activités soient pratiquées sur le territoire des Etats membres ou dans les eaux communautaires ou par des navires de pêche communautaires ou des ressortissants des Etats membres, considérant les dispositions de l’article 117 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, sans préjudice de la responsabilité première de l’Etat du pavillon (…).
La politique commune de la pêche devrait ainsi avoir pour objectif de permettre une exploitation durable des ressources aquatiques vivantes et de l’aquaculture dans le cadre du développement durable, en tenant compte des aspects environnementaux, économiques et sociaux de manière équilibrée ».


2. Une approche globale de la préservation et de l’exploitation des ressources

La finalité principale de la politique commune de la pêche est d’envisager une approche globale de la préservation et de l’exploitation durable des ressources. Toutefois, contrairement aux premiers règlements promulgués par la Communauté européenne en 1983, cette dernière a pris conscience de l’importance des facteurs économiques et sociaux dans son approche communautaire de la gestion de la ressource biologique marine. Outre les menaces d’épuisement des stocks, la question de la pérennité économique de la profession de la pêche se pose. Ce sont sur ces préoccupations communautaires qu’apparaît la notion de « quotas de captures ». Initiée par la Politique commune de la pêche, cette notion fait son apparition sur la scène communautaire et nationale. Elle prévoit la mise en place annuelle de mesures d’exploitation des ressources halieutiques selon les espèces concernées et les zones où la pêche est pratiquée. Autrement dit, dans un souci de rationalisation des captures, la Communauté européenne a mis en place un système de quotas de capture, décidé au niveau communautaire, et ensuite distribué au sein des Etats membres. Il appartient ensuite à ces derniers de répartir la teneur de ces quotas selon sa réglementation nationale.

Dans son étude consacrée au marché des ressources halieutiques, Romain Laulier aborde la question de la détermination communautaire de la mesure de l’accès aux ressources halieutiques en mettant en exergue le phénomène du Total Admissible des Captures conjugué au principe dit de « stabilité relative » de fractionnement du volume entre les Etats membres. La politique communautaire de conservation et d’exploitation des ressources biologiques de la mer se décompose en deux phases : la fixation, en principe annuelle, du volume des stocks disponibles au moyen des Totaux Admissibles de Captures (TAC), c’est-à-dire une limitation globale des captures pour l’ensemble des Etats membres. Ensuite, chaque Etat membre se voit assigner un volume de captures qu’il pourra répartir au sein de son territoire en application de sa réglementation nationale en conformité avec le principe de « stabilité relative ». L’avènement en 1983 de l’Europe bleue a ensuite fait place à un système plus élaboré préférant la conciliation des impératifs économiques des populations tributaires de la pêche avec l’objectifs de lutte contre une surexploitation des ressources à une approche plus restrictive de la simple lutte contre la surexploitation des espèces. C’est ainsi que la réglementation communautaire a proposé un nouveau système dit de TAC. Aux termes du Règlement de 1983, « Lorsque, pour une espèce ou des espèces apparentées, il s’avère nécessaire de limiter le volume des captures, le total admissible des captures par stock ou groupe de stocks, la part disponible pour la Communauté ainsi que, le cas échéant, le total des captures allouées aux pays tiers et les conditions spécifiques dans lesquelles doivent être effectuées ces captures sont établis chaque année ». Cette approche globale de la pratique de la pêche maritime tend à ramener à un seuil raisonnable l’accès aux ressources halieutiques et de préétablir le volume des captures pour l’ensemble des Etats membres, aux fins de préservation des espèces.

En 2001, la Commission européenne a fait part de l’urgence d’introduire dans la PCP une dimension environnementale exposant les objectifs poursuivis pour une gestion efficace de la ressource ainsi que les moyens propres pour y parvenir. C’est dans ce contexte que le 20 mars 2001, a été introduit un livre vert relatif à l’avenir de la PCP. Dans son étude, la Commission européenne appuie sur quatre points principaux qu’elle a menée depuis 1992 :

- « Du point de vue biologique, la durabilité d’un grand nombre de stocks sera menacée si l’intensité de l’exploitation se maintient au niveau actuel (…). De nombreux stocks sont dans un tel état qu’il est urgent d’agir ;

- La PCP n’a pas mis en œuvre tous les instruments susceptibles d’être utilisés conformément au règlement 3760/92. Les progrès sont restés limités malgré une programmation pluriannuelle (…) ;

- Le Conseil a fixé certains TAC à des niveaux systématiquement supérieurs à ceux proposés par la Commission sur la base d’avis scientifiques ; la surpêche, les rejets et la surcapacité de la flotte ont eux aussi leur part de responsabilité dans les problèmes actuels ;

- Il y a des lacunes et des faiblesses notables dans les avis et les informations émanant des scientifiques ».

C’est ainsi que dès 2002, la Commission européenne rompt avec ces exigences antérieures pour introduire une nouvelle notion, l’intégration des exigences environnementales au sein de sa volonté de préserver et de conserver les ressources halieutiques. Elle considère en effet que « les exigences en matière d’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté (…), en particulier afin de promouvoir le développement durable ». La réforme de 2002 vient ainsi compléter l’amorce avancée par le règlement de 1992 en son article 2.1. Cette approche implicite de 1992 était insuffisante et a poussé la Communauté européenne à s’affirmer expliciter en 2002 en ces termes :
« La PCP devrait ainsi rompre avec l’approche stock par stock qui était traditionnellement la sienne pour s’engager vers une pratique intégrée tenant compte cette fois non seulement des interactions entre les différents stocks mais aussi des interactions entre ces stocks et les écosystèmes marins.
Alors que les faibles connaissances sur les écosystèmes étaient de nature à aggraver les déficiences environnementales de la PCP, l’application du principe de précaution devrait permettre de réduire les incertitudes en matière d’évaluation des stocks ». La Commission européenne va plus loin dans ses retranchements en affirmant explicitement que l’absence ou l’insuffisance des données scientifiques ne peut être un prétexte pour ne pas adapter ou pour différer la prise de mesures de gestion en vue d’une conservation des ressources marines et de leur environnement, notamment leurs habitats.
Pour appuyer ces opinions, la Commission européenne entreprend de créer un Comité permanent, le Comité Scientifique Technique et Economique de la Pêche dont sa fonction principale est d’assister dans la mise en œuvre de la PCP en apportant son concours sur toute question relative à la réglementation régissant l’accès aux zones de pêche et à leurs ressources communautaires.

La réglementation actuelle relative à la politique commune de la pêche manquerait d’efficacité puisque, comme le souligne Maria Damanaki, la situation halieutique est catastrophique. La quasi totalité des stocks serait en effet surexploitée. Les Etats membres semblent divisés sur la question. En effet, à l’instar de la France et de l’Espagne, des pays comme le Danemark ou encore la Suède soutiennent globalement la Commission. Considérant la proportion importante de pêcheurs issus de ces pays au sein de l’Union Européenne, leur voix n’est pas sans importance. Pourtant, Bruno Le Maire s’est récemment exprimé dans la presse pour faire valoir les intérêts de la France en qualifiant « inacceptables » les réformes proposées par l’exécutif européen. Cela marqueraient, selon le ministre de l’agriculture, la mort de la pêche française. C’est dans ce contexte que les ministres français et espagnols préféreraient une application graduelle des mesures de diminution de la pêche à une date butoir plus éloignée, à savoir 2020.
D’autres idées ont également été développées par la commissaire Maria Damanaki, telles que la création sur le marché européen des quotas de pêche., ou encore l’interdiction des rejets en mer. On attend les conclusions issues des négociations sur la réforme de la pêche pour que le Parlement européen puisse à son tour s’exprimer.