Le RGPD à décharge ( ?) : la confidentialité des données personnelles ne constitue pas un passe-droit
(Com. 24 juin 2020 (F-P+B, n°19-14.098))

Aux termes de l’article L. 611-2 du Code de commerce :
« I. - Lorsqu'il résulte de tout acte, document ou procédure qu'une société commerciale, un groupement d'intérêt économique, ou une entreprise individuelle, commerciale ou artisanale connaît des difficultés de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, ses dirigeants peuvent être convoqués par le président du tribunal de commerce pour que soient envisagées les mesures propres à redresser la situation.
A l'issue de cet entretien ou si les dirigeants ne se sont pas rendus à sa convocation, le président du tribunal peut, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, obtenir communication, par les commissaires aux comptes, les membres et représentants du personnel, les administrations publiques, les organismes de sécurité et de prévoyance sociales ainsi que les services chargés de la centralisation des risques bancaires et des incidents de paiement, des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique et financière du débiteur.
II. - Lorsque les dirigeants d'une société commerciale ne procèdent pas au dépôt des comptes annuels dans les délais prévus par les textes applicables, le président du tribunal peut leur adresser une injonction de le faire à bref délai sous astreinte.
Si cette injonction n'est pas suivie d'effet dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, le président du tribunal peut également faire application à leur égard des dispositions du deuxième alinéa du I. »

Usant des prérogatives à lui reconnues par la loi, le juge chargé de la surveillance du registre de commerce et des sociétés du tribunal de commerce, enjoint au président et unique associé d’une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) de procéder au dépôt des comptes annuels de cette société pour les exercices 2015, 2016 et 2017 dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance, sous astreinte de 100 € par jour de retard à l’encontre du président et de la SASU, tenus solidairement.
Devant le refus de l’associé unique de déférer à ladite injonction, ce dernier a été condamné par le même juge, par une seconde injonction, condamné in solidum avec sa société unipersonnelle à payer la somme de 3000 euros en liquidation de l’astreinte.

Le demandeur et sa société font grief à la première ordonnance de lui enjoindre de procéder au dépôt des comptes annuels de ladite société. Il reproche à la deuxième ordonnance de le condamner au paiement de l’astreinte. Selon ce dernier : « la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L. 611-2, II, du code de commerce, dont il résulte que le président du tribunal de commerce peut enjoindre sous astreinte à une société commerciale unipersonnelle propriétaire d’un seul bien de déposer ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce, l’obligeant ainsi à dévoiler des informations à caractère personnel relatives à son associé unique, qui sera prononcée sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. H... et la société Polair, privera de fondement les ordonnances attaquées, qui devront ainsi être annulées. »
Il fait également grief aux ordonnances respectives de porter une atteinte disproportionnée à son droit à la protection de ses données personnelles d’ordre patrimonial, violant ainsi l’article 9 du Code civil, 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 16 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne et le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil relatif à protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données du 27 Avril 2016.
Sur le premier moyen, la Cour de Cassation, par un arrêt en date du 17 Octobre 2019[2] (arrêt n° 884 F-D), a dit qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L.611-2, II du Code de Commerce, privant par là même le moyen ci-dessus de sa portée.

En ce qui concerne le deuxième moyen, après avoir rappelé, se basant sur la jurisprudence de la Cour européenne[3], que les données portant sur le patrimoine d’une personne physique relevaient de sa vie privée, les juge sont affirmé que ladite règle ne s’appliquait pas en l’espèce.
Selon les juges en effet, « les comptes annuels d’une société par actions simplifiée unipersonnelle ne constituent, toutefois, qu’un des éléments nécessaires à la détermination de la valeur des actions que possède son associé unique, dont le patrimoine, distinct de celui de la société, n’est qu’indirectement et partiellement révélé. »
Ils ont donc conclu que l’atteinte au droit à la protection des données personnelles de cet associé était proportionnée au but légitime de détection et de prévention des difficultés des entreprises.

La survie de la société l’emporte donc en l’espèce sur la protection de la vie privée du président d’une SAS en dépit de la nature confidentielle des données patrimoniales de ce dernier.