(*) Introduction
Dans un courrier daté du 30 avril 2020 adressé à Muriel Pénicaud, le Medef, la CPME, l'U2P et d'autres organisations patronales ont demandé à la ministre du travail "une mesure législative dans l'esprit d'une directive européenne du 12 juin 1989 qui laisse aux États membres la possibilité d'exclure ou diminuer la responsabilité des employeurs » […] "pour des faits dus à des circonstances qui sont étrangères à ces derniers, anormales et imprévisibles, ou à des événements exceptionnels, dont les conséquences n'auraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée". Le souhait des employeurs était alors « de limiter et de clarifier le périmètre de cette obligation pour éviter d’éventuelles mises en cause de la responsabilité civile et pénale de l’employeur » qui fait diligence face à un risque « dont nul ne peut prétendre avoir la maîtrise et dont les entreprises ne sont pas à l’origine » [1].
Ainsi, les organisations patronales ont demandé à la ministre du Travail qu’elle prenne des mesures pour encadrer la responsabilité de l’employeur. Les requérants précisaient qu’il ne s’agissait nullement d’une demande d’exonération de responsabilité mais qu’elle était destinée à mettre « à l’abri, les chefs d’entreprise d’une obligation de résultats » [1] en ne sanctionnant que « les fautes intentionnelles ou commises par négligence ou par imprudence » [2].
(*) Une réponse mesurée de l’Etat.
Suite à l’implication du Sénat mais au refus du Gouvernement d’« atténuer les responsabilités de qui que ce soit »[3], « le nouvel article L.3136-2 du Code de la santé publique traitant de la question et adopté par la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire [4] » a vu le jour.

(*) La loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire impacte l’article 121-3 du code pénal
La loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire [5] précise que « l’article 121-3 du code pénal [infractions d’homicides ou de blessures involontaires] est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».

Ce texte qualifié par beaucoup de « compromis » a été élaboré par la commission mixte paritaire. Son objectif est, dans l’éventualité de poursuites pour homicides ou blessures involontaires, d’encourager le juge à contextualiser l’appréciation des moyens, des compétences et des pouvoirs du chef d’entreprise à l’époque des faits.

La formulation du texte semble avoir été inspiré par un arrêt « Amiante » du 14 avril 2015 [6]. Cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rappelait en effet, que l’appréciation de la connaissance du risque (un critère pour apprécier la faute caractérisée) s’effectue « dans le contexte des données scientifiques de l’époque ».

(*) la responsabilité pénale peu impactée
Compte tenu de l’absence de régime spécifique adopté en matière de Covid-19, la responsabilité pénale de l’employeur, personne morale et personne physique demeure en période de crise sanitaire.
En effet, le code pénal prévoit que le délit pénal est caractérisé en cas de : « mise en danger délibérée de la personne d’autrui » ou de « faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

(*) Mesure somme toute symbolique
« Il est important, sur le plan symbolique, que ce texte soit l’aboutissement d’un débat parlementaire, cela montre que l’inquiétude des chefs d’entreprise a été entendue, et qu’une réponse y est apportée, dans un moment sensible qu'est celui du déconfinement »." a commenté Me Astrid Mignon Colombet, avocate au cabinet August Debouzy.
Mais il est à remarquer que cette mesure ne porte rien de réellement nouveau ainsi, c’est le propre du juge d’évaluer le contexte au moment des faits.
(*) Propos conclusifs : un risque pénal inchangé mais malgré tout somme toute limité
Par ailleurs, le risque pénal pour les infractions de droit commun semble, comme le précise Emmanuelle Brunelle, Avocate chez Freshfields Bruckhaus Deringer, se heurter à deux écueils principaux :
« la preuve du caractère délibéré de la violation dont la démonstration sera difficile au regard des diligences mises en œuvre par les employeurs dans le contexte actuel ».
« il sera également malaisé de prouver avec certitude le lien de causalité entre cette violation et le décès du salarié, à savoir la démonstration que le salarié aura bel et bien contracté la maladie sur son lieu de travail ».
Sous réserve de l’appréciation souveraine des juges, un employeur ne devrait pas se trouver dans l’une de ces situations s’il se conforme à la démarche de prévention.


(*) Principales références :
[1] Déclaration du Président délégué du Medef, Patrick Martin, le 4 mai 2020.
[2] Communiqué de la CPME, de l’U2P et du Medef du 7 mai 2020
[3] Allocution de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, du 4 mai 2020.
[4] Loi n°2020-546 du 11 mai 2020 et publié au JORF n°0116 du 12 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
[5] LOI n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions
[6] Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 14 avril 2015, 14-85.333