Le 11 mai dernier, le sénat de la République du Chili a approuvé la souscription à l’Accord International pour la Protection des Obtentions Végétales connu sous le nom de UPOV 91, cet Accord fait partie des clauses approuvées par l'Etat Chilien pendant les négociations des Traités de Libre Commerce avec Les Etats Unis, le Japon et l'Union Européenne et a comme objectif de protéger la propriété intellectuelle des nouvelles variétés végétales. Cette adhésion s'est réalisée dans le but d'actualiser l'Acte de 1978, dont le Chili est membre et qui a été intégré à la législation chilienne par la loi 19.342 sur la protection des obtentions végétales, établissant un droit de propriété intellectuelle pour les créateurs des nouvelles variétés des végétaux, en vertu duquel a été permise l'exploitation exclusive de leur création pendant une durée déterminée (création des graines hybrides améliorées professionnellement à partir de variétés déjà existantes). Cette norme sera donc remplacée dès que le nouveau projet de loi d'obtenteurs des végétaux aura été approuvé.

La nouvelle de l'adoption de cet accord a généré une grande controverse à l'intérieur du pays, car on craint que cela permette aux entreprises transnationales d’imposer des variétés nouvelles et améliorées et que, dans le même temps, se développe la culture massive d'aliments transgéniques, ce qui occasionnerait alors une détérioration du modèle économique agricole existant et un changement radical de l'agriculture chilienne. Où est la vérité?

Face à cette initiative, des associations environnementalistes, agricoles et des autorités chiliennes ont montré leur inquiétude en signalant que dans la pratique l’UPOV 91 pourrait signifier, non seulement une privatisation des semences, qui empêcherait les paysans de conserver les semences de leurs cultures précédentes et les obligerait à acheter de nouvelles graines tous les ans. Ainsi, les entreprises transnationales, une fois les variétés de fruits et légumes inscrites et en vertu de leur droit d'obtenteur, pourront exiger des frais pour l'utilisation de variétés de semences. De plus, cela signifierait l'élimination des semences naturelles et leur remplacement par des semences manipulées, permettant ainsi la vente de semences hybrides et transgéniques au travers de ces sociétés, qui en vertu du présent accord international, verront également s'étendre la durée de validité de leurs droits et garanties relatives au droit du détenteur. Les groupes environnementaux et agricoles affirment que cette mesure affectera principalement les petits agriculteurs et les paysans en milieu rural, signifiant alors la fin de l'agriculture naturelle en accordant ainsi un monopole exclusif des semences génétiquement modifiées dans l'agriculture.

Par ailleurs, les associations stigmatisent le fait qu'au moment où le président de la République du Chili, Sebastián Piñera ratifiera cet instrument international « commencera à disparaître une pratique paysanne qui depuis des siècles avait permis à la population une alimentation saine ». La plus value des semences biologiques en raison de leur « pureté » et de leurs qualités de patrimoine horticole sera également supprimée, alors qu’elle plaçait pourtant le Chili à la pointe de la production alimentaire sans OGM.

De façon à empêcher la mise en œuvre de l'UPOV 91, les parlementaires opposants à la mesure, ont déposé un recours par voie d'action auprès du Tribunal Constitutionnel (TC) afin de statuer sur la constitutionnalité de la ratification de la Convention, en invoquant comme premier moyen que, avant de voter la dite ratification, la loi sur la protection des obtentions végétales aurait dû être débattue, (loi abrogeant la loi n° 19.342, qui avait créé au Chili, un Registre des espèces végétales et dont les termes étaient beaucoup moins dommageables pour l'agriculture). De plus, du fait que son approbation a été faite en violation des règles fixées dans la convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT), stipulant à l'article 6, que l’Etat a l’obligation légale de consulter les peuples indigènes, quand des projets de lois peuvent les affecter. Par ailleurs, l'inconstitutionnalité de cette Convention réside essentiellement dans l’incompatibilité du contenu de ses normes avec les dispositions constitutionnelles - telles que l'article 1er, paragraphe final et l'article 19 N° 2, 8, 22 et 24 de la Constitution Politique de la République du Chili - de sorte que son approbation devrait être frappée de nullité conformément aux dispositions des articles 6 et 7 de la Constitution. Les moyens du recours se réfèrent principalement au fait que l'UPOV 91 porte atteinte au droit de propriété, en changeant et enfreignant les règles établies dans le Code Civil chilien sur les moyens d'acquérir la propriété, et bafouant le droit de vivre dans un environnement exempt de pollution, le droit des individus de participer équitablement à la vie de la nation et aussi le droit à l'égalité devant la loi, tous droits essentiels protégés par la Constitution de la République du Chili. Le Tribunal Constitutionnel a jugé recevables les voies du recours et a admis celui-ci en révision.

D'un autre côté, les partisans de l'accord font valoir qu'il n'a pas lieu à polémiquer, car ce document international stipule clairement que les semences naturelles ne seront pas affectées, et qu’un grand pas est réalisé pour encourager la recherche et le développement de nouvelles variétés de cultures, donnant ainsi accès à l'agriculture chilienne aux meilleures variétés que la génétique mondiale offre, en améliorant ainsi les revenus et la production alimentaire dans le pays, ce qui profitera aux petits et moyens producteurs agricoles. En effet, l'UPOV 91 étant un système de protection qui offre des différences significatives avec le dépôt de brevet, ce système donne la possibilité aux petits agriculteurs de réutiliser une partie de leurs récoltes dans les plantations à venir. « Ce qui finalement est interdit, n’est pas la réutilisation de la graine, mais plutôt la commercialisation de quelque chose dont la production provient du travail d’autrui » de telle sorte que si un producteur achète une graine, celle-ci pourra sans problème être réutilisée l'année suivante par le même producteur.

Un autre point extrêmement important à noter est que, au Chili, il n’est pas permis de patenter des variétés végétales originelles, par exemple les pommes de terre ne sont pas brevetables (loi 19342). Avec l'UPOV 91, pour enregistrer une variété, ou opter pour le droit d'obtenteur végétal, il faut satisfaire aux quatre exigences suivantes : la variété doit être nouvelle, distincte, homogène et stable. Par conséquent, la protection s'applique aux variétés qui n'ont pas été commercialisées avant, ne sont pas connues et ne figurent sur aucune liste de registres officiels. Ainsi, dans l’absolu, cet accord ne menace pas le patrimoine d'espèces natives ou d'utilisation historique au Chili.

Ils soulignent aussi, qu’il existe une confusion sur la portée de l'accord et prétendent que cette controverse est due à la désinformation dramatique à l’intérieur du pays, en mélangeant deux projets de loi qui n’ont en fait rien à voir l’un avec l'autre. D'une part, on parle du projet de Loi de l’« Accord International pour la Protection des Propriétés Végétales » (UPOV 91) récemment approuvé et d'autre part, du projet de loi réglementant l'utilisation des cultures génétiquement modifiées au Chili, « projet de biosécurité des organismes végétaux modifiés » traitant les aspects de biosécurité à considérer pour la libération et l'utilisation à une échelle commerciale de ces produits au Chili, de façon sûre pour l'environnement et la santé humaine. Le premier projet n'a absolument aucun rapport avec l'introduction massive des cultures OGM et n’est en aucun cas un moyen de permettre sa culture au Chili. En outre, l'UPOV 91 permet tout de même aux petits agriculteurs d’utiliser leur propre production comme graines pour les cultures suivantes. Ce qui est curieux en soi, est que l'adoption de l'UPOV 91 est étroitement liée à l'approbation de la seconde loi en question, laquelle est en train d’être révisée en urgence.

Quels changements apporte l'UPOV 91?

Un des principaux changements est la prolongation de la durée de protection des végétaux, passant par exemple d’une période de 15 à 20 ans pour les cultures. Dans le cas des arbres et des vignes, ces délais seront portés de 18 à 25 ans.
Un autre changement est la liberté donnée aux pays de réglementer le privilège de l'agriculteur (droit en vertu duquel l'agriculteur peut semer le produit de sa récolte obtenue à partir de graines protégées par un certificat d'obtention des végétaux). C’est-à-dire ce qui peut se faire avec des produits patentés après les avoir achetés. La protection s'étend à l'utilisation à but commercial de tout produit de la variété. Ainsi, outre la variété protégée, les droits d'obtenteurs touchent aussi des variétés qui ne se distinguent pas nettement de la variété protégée, des variétés dont la production nécessite l'utilisation répétée de la variété protégée et autres variétés essentiellement dérivées de la variété protégée, faisant ainsi disparaître le privilège de l'agriculteur implicitement reconnu avec l'UPOV 78. Il ajoute également une protection provisoire pendant la période durant laquelle se présente la demande du certificat d'obtenteur, jusqu'à ce qu'il soit accordé et inscrit officiellement.

En conclusion, il est nécessaire de souligner que la protection selon l'UPOV est limitée aux nouvelles variétés, homogènes et stables dans plusieurs générations successives. Par conséquent, les écotypes propres de la biodiversité, bien qu’ils fassent partie du patrimoine des communautés indigènes ou des agriculteurs, n’ont pas à être protégés, ni peuvent être appropriés par un tiers. Ainsi, la biodiversité existante n’est pas limitée et les communautés pourront continuer à semer les variétés et se les échanger sans restriction. Toutefois, afin de suffisamment protéger le développement agricole des peuples autochtones et de protéger leurs droits à des activités traditionnelles de subsistance, un renforcement de la législation chilienne est nécessaire et urgent afin d'éviter la perte du système de culture et d'échange de semences que ces peuples ont hérité de leurs ancêtres. Par ailleurs, ce renforcement devrait également être étendu au développement agricole des petits et moyens producteurs et aux variétés développées par des créateurs non enregistrés, afin protéger leurs créations, éviter la perte de la biodiversité agricole, l'élimination des petits agriculteurs et cueilleurs, et en empêchant finalement, la perte des pratiques traditionnelles et des connaissances millénaires liées à l'activité agricole.